» Cette autrice est à suivre, sa double culture lui donne des forces pour nous traduire et nous dire des vérités enfouies. Je la découvre avec joie en ce moment où nous allons commémorer l’abolition de l’esclavage » P B CISSOKO
Années 1780, Guadeloupe. La jeune métisse Solitude est demoiselle de compagnie. Relativement favorisée, elle ne remet pas en question l’ordre colonial et esclavagiste jusqu’à ce que des rencontres décisives lui fassent rejoindre la lutte pour l’abolition de l’esclavage. Car un vent de révolte souffle dans les Caraïbes…
Entre les Neg’ Marrons qui s’enfuient et s’organisent collectivement, les insurgés de Saint-Domingue, et la Révolution en France, l’Histoire est en marche. En 1789, tous les hommes sont proclamés libres et égaux en droits. Mais la France des Lumières oublie une partie de l’humanité : dans les colonies, l’esclavage est maintenu…
Solitude se bat pour la liberté générale avec ses soeurs et frères révolutionnaires, avec succès : l’esclavage est enfin aboli en 1794. Mais l’euphorie est de courte durée car rien n’est pensé pour intégrer les anciens Esclaves, sans terres, analphabètes, traumatisés par des années d’asservissement.
Lassée de la violence de cette société prédatrice et exploitatrice, Solitude crée alors une communauté utopiste clandestine, basée sur la sororité et l’entraide – qui ne survivra cependant pas au rétablissement de l’esclavage par Bonaparte en 1802. Solitude, la flamboyante décrit la complexité des relations dans les colonies : entre maîtres et Esclaves, Esclaves et Affranchis, Métis clairs et Noirs foncés de peau. Il raconte également la résistance spirituelle et culturelle de ces femmes et hommes soumis à une brutalité perverse.
C’est cette résilience, puisée dans une force ancestrale, qui les a maintenu·e·s en vie. Librement inspiré de la vie de cette grande héroïne guadeloupéenne, ce roman révèle une Solitude bienveillante et généreuse.
Menant avant l’heure un combat antiraciste, écologiste, féministe et décolonial, elle apparaît dans toute sa modernité. En racontant son histoire à la première personne, l’autrice mêle volontairement histoire et mémoire pour renverser la perspective du récit dominant.
Paula Anacaona a fondé les éditions Anacaona fin 2009, par passion pour la littérature brésilienne, trop méconnue, trop peu publiée en France. Elle porte la double casquette d’éditrice et de traductrice – ayant traduit à ce jour, pour les éditions Anacaona et d’autres maisons, plus de cinquante livres.
Paula Anacaona a fondé les éditions Anacaona fin 2009, par passion pour la littérature brésilienne, trop méconnue, trop peu publiée en France. Elle porte la double casquette d’éditrice et de traductrice – ayant traduit à ce jour, pour les éditions Anacaona et d’autres maisons, plus de cinquante livres.
Dans un roman illustré, l’autrice et éditrice franco-brésilienne Paula Anacaona revient longuement sur l’histoire de la « mulâtresse Solitude », figure emblématique de la résistance guadeloupéenne au rétablissement de l’esclavage par Napoléon Bonaparte en 1802.
Philippe Triay • Publié le 29 décembre 2020 à 10h19, mis à jour le 29 décembre 2020 à 12h15
Il existe peu d’éléments biographiques sur la vie de cette résistante, qui rejoignit le combat antiesclavagiste de Joseph Ignace et du colonel Louis Delgrès. Mais la symbolique est forte. Née en Guadeloupe au début des années 1770 (l’année généralement mentionnée est 1772), d’une esclave africaine violée par des marins sur un navire de traite négrière, celle qui restera célèbre sous le nom de « mulâtresse Solitude » fut séparée de sa mère quand elle était enfant pour devenir une esclave de maison.
En février 1794, à la suite de la révolution en France, de la progression des idées antiesclavagistes au niveau international ainsi que des nombreuses révoltes armées qui ébranlent la suprématie des colons à Saint-Domingue (Haïti), la Guadeloupe et la Martinique, l’abolition de l’esclavage est décrété dans toutes les colonies françaises. Mais les nouvelles autorités veulent que les affranchis demeurent sur les plantations pour continuer d’y travailler… Solitude rejoint alors une communauté de Marrons, esclaves en fuite réfugiés dans les forêts, communauté dont elle devient l’un des piliers.
Condamnée et suppliciée
Quand, au début du mois de mai 1802, Napoléon Bonaparte envoie le général Richepance en Guadeloupe pour rétablir l’esclavage, Solitude, bien qu’en début de grossesse, se joint aux insurgés menés notamment par les officiers « de couleur » Joseph Ignace et Louis Delgrès. Elle joue dans les combats, avec de nombreuses autres femmes, un rôle capital. Ignace, Delgrès et leurs compagnons préfèrent se suicider plutôt que de se rendre aux plus de 3000 soldats venus de France pour les soumettre. Capturée à la fin mai (ou quelques mois plus tard selon les sources, ayant rejoint d’autres foyers de révolte), Solitude est emprisonnée jusqu’au jour de son accouchement, puis condamnée et suppliciée (fouettée et/ou pendue) jusqu’à la mort dès le lendemain, le 29 novembre.
♦ Paula Anacaona présente « Solitude la flamboyante »
Dans son roman, magnifiquement illustré par Claudia Amaral, avec qui elle avait déjà travaillé sur son précédent livre, Paula Anacaona imagine librement ce qu’a pu être la vie de la flamboyante Solitude mais effectue également un travail de mémoire basé sur de solides recherches historiques. Elle raconte l’économie du sucre, l’émergence du capitalisme moderne avec le commerce triangulaire, décrit avec précision le système régissant les habitations et les plantations. Elle évoque les stratégies et la vie des maîtres, la question toujours actuelle de la hiérarchie des couleurs et leurs codes, et bien sûr le travail des esclaves et leurs ignobles conditions d’existence (notamment les tortures auxquelles ils étaient soumis).
Synthèse chronologique
L’autrice rappelle au passage certains faits fréquemment occultés, tel celui-ci : « L’abolition (de 1848) concerna en Guadeloupe 87.087 esclavagisés – le chiffre est précis, car il vient des indemnités payées par l’Etat français aux propriétaires. (…) L’Etat versa donc aux colons guadeloupéens une indemnité de 470 francs par esclavagisé. Au total, les propriétaires français d’esclavagisés (de Guadeloupe, Martinique, Guyane, Saint-Louis du Sénégal, La Réunion et Madagascar) reçurent 123 millions de francs – l’équivalent de 5 milliards de tes euros aujourd’hui« . Les esclaves n’obtinrent aucune compensation. « Cette abolition ratée sera la base d’inégalités futures qui, plus de 150 ans plus tard, n’ont toujours pas disparu« , écrit justement Paula Anacaona.
À noter que l’ouvrage comprend une synthèse chronologique bien utile des principales dates de l’histoire de la Guadeloupe, mentionnant entre autres les importantes révoltes d’esclaves – bien souvent oubliées – de 1738, 1793 (massacre de colons), et bien sûr de mai 1802, avec les troupes d’Ignace et de Delgrès, au cri de « Vivre libre ou mourir !« . De même, les dates des mesures prises à l’encontre des « Libres de couleur » pour préserver les privilèges des Blancs, de l’impôt individuel à l’interdiction de pratiquer certaines professions et aux interdictions de rassemblement…
Paula Anacaona, « Solitude la flamboyante » (illustré par Claudia Amaral) – Anacaona éditions, 230 pages, 22 euros.