L’Insoutenable légèreté de l’Etre -de Kundera

Relire ou réécouter Kundera en ces temps troubles, est une joie immense pour un lecteur qui cherche à comprendre..ce monde si tragique, avec les lunettes de l’ ironie, du rire, de l’humour et de l’érotisme. P B CISSOKO

Ecoutez-le  chez PIVOT Apostrophes 1984 Un régal

Milan Kundera est un des principaux écrivains contemporains. Auteur dont la vie a été tourmentée par le communisme, Kundera a quitté la Tchécoslovaquie pour se réfugier en France au milieu des années 70. La plupart de ses romans (La plaisanterie, La vie est ailleurs, Risibles Amours, Le livre du rire et de l’oubli, …) sont des romans que l’on peut qualifier de philosophiques : ils mettent tous en scène des individus aux prises avec l’histoire, la politique, leur destinée (comme en témoignent notre sélection des citations de Kundera). La principale difficulté rencontrée par ses personnages est celle de la création du sens : Comment donner un sens à son existence ?

C’est sans doute l’Insoutenable légèreté de l’être qui peut être considérée comme le plus sujet à l’analyse philosophique au sein de l’oeuvre de Milan Kundera.

Résumé de l’Insoutenable légèreté de l’être de Kundera :

L’Insoutenable légèreté de l’être se déroule principalement à Prague dans les années 1960 et 1970. Il explore la vie artistique et intellectuelle de la société tchèque au cours de la période communiste, à partir du printemps de Prague jusqu’à l’invasion soviétique de 1968. Les personnages principaux sont Tomáš, un chirurgien, sa femme, Tereza, photographe angoissée par les infidélités de son mari; Sabine, maîtresse de Tomáš, une artiste à l’esprit libre ; et Franz, un universitaire suisse amoureux de Sabine.

Chacun de ces quatre personnages incarne une figure métaphorique :

– Tomáš est l’ambiguïté, à la fois mari et volage, autrement dit, pour utiliser les catégories kierkegaardiennes, éthique et esthétique.

– Tereza est la morale, femme fidèle dévouée à son mari, prônant l’amour pur.

– Sabine est la légèreté, qui est selon Kundera le trait marquant de la modernité.

– Franz, comme Tereza, représente la pesanteur. Ce personnage est englué dans un mauvais mariage. Elle incarne le vieux monde.

Analyse de l’Insoutenable légèreté de l’être :

La richesse de ce roman est indiscutable. Kundera discute notamment avec les philosophes grecs et Nietzsche.

Kundera et l’éternel retour :

Face à Nietzsche et sa théorie de l’éternel retour, cette théorie qui pose le caractère cyclique de l’univers et de ses événements, Kundera oppose une vision de l’histoire unique, chaque personne n’ayant qu’une seule vie à vivre, devant saisir les opportunités qui ne se représenteront jamais plus : l’être est léger, il file, il échappe aux individus. C’est l’idée de l’éternel retour qui introduit de la pesanteur dans nos vies.

De même, l’éternel retour suggère une philosophie de l’histoire statique, alors que Kundera croit en une histoire dynamique, il croit au progrès.

Kundera et l’amour :

Contre la vision romantique, qui voit dans la rencontre amoureuse la rencontre programmée de deux êtres, Kundera oppose une conception accidentelle de l’amour. Personne n’est destiné à personne selon lui. L’amour, en sus d’être fortuit, est fugace : pour cette raison l’homme moderne y accorde beaucoup trop d’importance.

Kundera et la Politique :

La politique apparaît dans ce roman comme une toile de fond. Le communisme est rapproché du nazisme dans la mesure où leur idéologie partage le refus de l’individualité et en corolaire du primat du collectif. Le communisme est synonyme chez Kundera du silence culturel, du vide de la pensée. L’Occident représente au contraire la liberté, l’affirmation de l’individu.

Kundera et la Sexualité :

Kundera présente la sexualité en termes de légèreté et de poids, et comme Freud en termes de moi, de surmoi et de ça. Les personnages légers sont érotiques et voient la sexualité comme une activité créative. La sexualité chez Sabina est liée à l’imagination, comme l’art. Les personnages lourds (Tereza et Franz) associent la sexualité à la culpabilité. Le sexe léger est aussi associé à la force chez Thomas, alors que le sexe lourd refuse la force de la séduction. Le corps nu est aussi vu par Teresa comme une source d’horreur et le corps musclé comme inutile par Franz.

Kundera et l’Etre :

Kundera aborde cette question à l’aune des philosophes grecs présocratiques, Parménide notamment. Ce dernier voit le monde divisé en paires d’entités opposées: lumière / obscurité, être  / néant, entité positive d’un côté et négative de l’autre. Selon Parménide, la légèreté est positive, le poids est négatif. Kundera affirme au contraire que la légèreté est ambigüe, à la fois positivité (liberté) et négativité (poids de la vacuité de la vie libertine de Sabina). Cette ambiguïté fait d’ailleurs le malheur de Sabina.

Kundera nous apprend que la vie est un paradoxe insolvable. En témoigne l’évolution de chacun des personnages, dont chacun s’oriente vers un pôle opposé à leur choix initial : Tomas en finit avec ses infidélités; Sabina réalise la vacuité de son existence; Tereza se libère de Tomas et Franz quitte sa femme pour vivre ses rêves sexuels et poursuivre ses idéaux politiques. Cette évolution traduit ce paradoxe, ainsi que le fait que les individus sont libres de leur choix. Le destin est une chimère, l’existence humaine précaire.