LES TROIS VOLONTÉS DE MALIC D’AHMADOU MAPATÉ DIAGNE ET COMMENT IL FAUT ECOUTER DE PLUTARQUE : DES REPÈRES EN CLASSE par  Eric NDIONE

Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), Sénégal ndioneeric@yahoo.fr

« Pour bien vivre, il faut bien écouter »

Notre ami Faly DIAITE a remis en selle cet auteur méconnu et qui fut un grand penseur de l’éducation. Il pense à une pédagogie de l’écoute et ce serait bien de le revisiter et c’est en cela que nous devons saluer tout le travail de notre ami et poète Faly récemment reçu par Sada KANE et qui de façon argumentée et donc scientifique a démontré qu’Amadou Mapaté DIAGNE fut le premier écrivain de subi saharien. Il a su distinguer une œuvre dactylographiée ‘d’une œuvre éditée. Dans notre univers c’est l’édition avec ses caractéristiques ‘ l’imprimerie, et sutrtout l’ISBN, qui font la carte d’identité d’une œuvre. Nous reviendrons sur Faly DIAITE, qui mérite l’attention du pays et des penseurs enseignants et hommes de cultures ».  P B CISSOKO

« in wikipedia  – Il avait appris le français à Saint-Louis. Élève à l’École normale, il obtient le Brevet supérieur. En 1915, il fut employé par Georges Hardy, le directeur de l’Enseignement en Afrique-Occidentale française.

Instituteur, il publie des essais dès 1919 et son premier roman Les Trois Volontés de Malic en 1920 évoque la cohabitation de la culture occidentale et de la civilisation noire dans son village de Diamaguène. « Cet écrit constitue le premier texte romanesque en langue française. »1

En 1942, il fut nommé inspecteur de l’enseignement du Sénégal. Après avoir été affecté à Dakar, il s’installe définitivement à Sédhiou où il décède le 5 janvier 1976. Il avait 90 ans ».

Le philosophe et moraliste grec Plutarque et l’instituteur Ahmadou Mapaté Diagne, même à des siècles d’intervalle, s’arrogent le privilège de donner au monde moderne des leçons d’école et de vie. Dans leurs œuvres respectives qui sont Comment il faut écouter et Les Trois volontés de Malic, il est possible d’entrevoir un caractère pédagogique. Elles sont des références en ce sens qu’elles permettent de comprendre le sens de l’écoute active, de pouvoir réorganiser l’interaction dans la classe et de faire le choix de l’humilité, de la vertu et du partage, le tout pour une éducation saine. Ce sont donc deux œuvres d’une grande complémentarité qu’il faudrait lire avec un nouvel œil pour en tirer la quintessence. Le but est de rendre les enseignements-apprentissages plus vivants et résolument tournés vers la formation morale et non vers le transfert stérile de connaissances

 Mots clefs : Écoute, communication, humilité, éducation, morale

La question de l’éducation s’impose à tous les peuples et à toutes les cultures. C’est un impératif qui ne tolère pas l’amateurisme et l’incompétence. Son manque engendre une grande désolation mentale. Placée donc à ce degré Les trois volontés de Malic d’Ahmadou Mapaté Diagne et Comment il faut écouter de Plutarque : des repères en classe 182 Septembre 2021 ç pp. 181-194 d’importance, l’éducation mérite un soin particulier et des moyens financiers et humains immenses.

Et elle n’est surtout pas une exclusivité de l’état. Tout le monde y est impliqué. De gré ou de force, nous sommes tous éducateurs même si c’est par à-coups. Les penseurs et spécialistes de l’éducation s’y sont bien épanchés.

De la période antique aux temps contemporains, ils nous ont fait l’écho de méthodes et de pratiques révolutionnaires qui ont toujours eu pour but de former concomitamment l’âme et le corps. Plutarque et Ahmadou Mapaté Diagne, dans respectivement Comment il faut écouter et Les Trois volontés de Malic, représentent le dialogue des générations et la transversalité de la question de l’éducation.

Le premier écrit est un traité moral au sujet de la manière d’accueillir convenablement les discours.  

Le deuxième est généralement considéré comme le récit fondateur du roman africain d’expression française.

Il raconte la vie dans un village paisible du Sénégal avec comme héros principal le petit Malic clamant avec abnégation ses trois volontés : aller à l’école, aller apprendre à l’école de la ville, devenir forgeron. Les éléments que ces deux textes ont en commun nous inspirent cette présente réflexion.

Elle présente ces écrits comme des repères en classe, pour le maître et pour le disciple.

En d’autres termes, ce sont des livres qui devraient être des manuels d’école. Mais pourquoi dit-on que ces livres sont des repères en classe ?

Qu’est-ce qui justifie une telle équivalence ?

Tel est l’axe central de ce propos.

En clair, il s’agira de voir en quoi il est bénéfique de lire Les Trois volontés de Malic et Comment il faut écouter.  

Nous nous évertuerons à montrer que le premier objectif général est de les lire pour comprendre le sens de l’écoute, c’est-à-dire s’exercer à écouter avant de s’exercer à discourir. Le deuxième objectif est de les lire pour apprendre à réorganiser l’interaction en classe.

En troisième objectif, il y a à apprendre à s’abaisser pour pouvoir accueillir la parole dans de bonnes dispositions. 1.

Pour comprendre le sens de l’écoute Pour un échange fructueux, il faut miser sur une écoute active.

C’est la parabole du semeur où il ne s’agit pas d’une bonne graine, mais d’une bonne terre prête à accueillir la semence. Les dispositions d’écoute, plus que les talents oratoires, déterminent la réussite de la communication. On comprend aisément donc Plutarque (1844, [3])1: « Si la nature a donné à chacun de nous deux oreilles et une seule langue, c’est parce que notre devoir est de moins parler qu’écouter » 1.1. Bien avoir deux oreilles « Le silence est pour le jeune homme un ornement assuré » (Plutarque, 1844, (1844, [4]) ; « le talent d’accepter convenablement les discours est antérieur 1

Il s’agit ici du numéro des paragraphes selon le texte grec Eric NDIONE Akofena çn°004, Vol.2 183 au talent de les prononcer ». (Plutarque, 1844, [3]). Chez Diagne, la prépondérance de l’écoute sur la parole se transcrit d’abord par le personnage de Malic. Il est toujours présenté comme quelqu’un de calme, de très attentionné et de silencieux. Les termes « les oreilles tendues, les yeux écarquillés » (Diagne, 1920, p.7), « long silence » (Diagne, 1920, p. 8), « Malic est silencieux » (Diagne, 1920, p.9), « silence complet » (Diagne, 1920, p. 15), « respectueuse attention » (Diagne, 1920, p. 18) sont des indices qui révèlent l’objectif pressant de l’écrivain qui est d’imposer le silence à son monde. Le bruit ne favorise ni la réflexion ni la communication. Si cette écoute est active, donc positive puisqu’elle permet de mieux cerner les objectifs de la communication, les interlocuteurs en profitent pleinement.

Le sens de l’écoute de Malic, bien avant son admission à l’école, est tributaire de sa curiosité précoce. En effet, l’écrivain attire très tôt l’attention du lecteur sur cette attitude qui doit être celle de tout apprenant et de tout formateur : « Parmi les plus curieux et les plus adroits se distingue le petit Malic… Il veut surtout voir de tout près, du plus près possible, les hommes qui sont en train de la construire, la fameuse école » (Diagne, 1920, p. 2). Telle est l’entrée en scène du personnage principal. L’auteur s’intéresse donc au goût du savoir, à la gratuité de l’acte d’apprendre qui libère le chercheur des considérations utilitaires et mercantilistes. C’est en toute logique que la première volonté de Malic reste sans appel : « je veux aller à « l’écone » (Diagne, 1920, p. 7). L’interférence « écone » mise pour « école » renforce la détermination de Malic qui ne craint guère le mystère sur la nouvelle bâtisse.

L’écoute se traduit aussi chez Malic par le sens de la réserve que Plutarque expose en ces termes : « Celui, au contraire, qui a été habitué à prêter l’oreille en restant maître de sa personne et en montrant de la réserve, celui-là recueille et garde les discours utiles ; » (1844, [4]). Avoir de la réserve c’est ne pas couper le détenteur de la parole, l’écouter jusqu’à la fin, même si ces propos sont pour le moins irrévérencieux et irrémissibles. Avec Diagne, faire preuve de réserve signifie mettre à l’aise son maître, l’écouter « les têtes dressées, les yeux étincelants d’attention » (Diagne, 1920, p. 13). Malic lui est « vraiment sympathique » (Diagne, 1920, p. 14) et écoute les « belles histoires » du maître (Diagne, 1920, p. 14). Il squatte même la palissade de l’école et prend notes en se servant du sable comme ardoise (Diagne, 1920, pp. 7-8).

Il ne sommeille ni ne bavarde en classe ; ses yeux ne sont jamais distraits et il ne se présente pas non plus avec un air mécontent. Il y a ensuite le trio inséparable, formé par les personnages Dargueune, Manoté, Yakham, qui corrobore la primauté de l’écoute sur la parole. Etant d’un âge avancé, ils n’hésitent pas à se faire disciples du petit Malic qu’ils écoutent religieusement. C’est d’abord à propos des doléances du petit : « Approche, mon brave lion, crie le vieux Yakham. Dis-moi franchement tout ce que tu veux. » (Diagne, 1920, p. 12) ; Ensuite, « le petit Malic est devenu l’instituteur de trois vieux élèves » (Diagne, 1920, p. 17) « très curieux » (Ibid). Ils « regardaient avec une affectueuse admiration leur petit professeur » (Diagne, 1920, p. 23) Les trois volontés de Malic d’Ahmadou Mapaté Diagne et Comment il faut écouter de Plutarque : des repères en classe 184 Septembre 2021 ç pp. 181-194 parce que la leçon avait pris « une plus grande importance que d’habitude » (Diagne, 1920, p. 22). Le caractère sérieux des leçons de Malic pour « ses trois grands écoliers » (Diagne, 1920, p. 27) équivaut à l’attention et à la saine admiration qu’ils lui portent. C’est dire que la sagesse ne prête pas attention à l’âge ni au rang social. Elle est accessible à tous et elle nous presse d’ailleurs.

C’est grâce à cette attention auditive que les vieillards ont compris que le temps des castes finit : «les trois vieillards ne tardèrent pas à en être troublés et à se demander si ce n’était pas leur petit « professeur » qui avait raison.» (Diagne, 1920, p. 27). Ainsi, le petit obtient « la permission d’apprendre le métier de forgeron » (Diagne, 1920, p. 27) et l’histoire connait une issue heureuse. C’est un récit plein d’enseignements : tout se dénoue par l’attention que des vieillards ont portée à Malic. Il faut ici encore mentionner l’attention maternelle dont bénéficie Malic. En fait, n’eût été la prompte réaction de sa mère Sokhatile, le petit aurait mis sa menace en exécution : « Je veux aller à l’école ou me jeter dans la mer. » (Diagne, 1920, p. 12).

C’est dans le silence que la mère a pu trouver une solution à cette tendance suicidaire de Malic : « Sokhatile se tut un instant. » (Diagne, 1920, p. 11). C’est le silence réparateur d’avant la prise de parole, la préparation psychologique. Elle pensa donc en secret et la décision salvatrice, celle qui allait dénouer le récit, fut prise : « Demain, de très bonne heure nous irons voir ton grand-père Manoté qui te conduira à l’école. » (Diagne, 1920, p. 11). Le silence d’une mère qui ressasse et accepte le destin de son fils orphelin est un symbole vivant de l’importance de l’écoute.

Donc, il faut aimer et surtout remercier « ceux de qui on profite par les oreilles », comme l’exige Plutarque. (1844, [2]). 1.2. Et une bouche Apprendre « tout ensemble à recevoir la balle et à la lancer » (Plutarque, 1844, [3]). La langue, définie par la parabole d’Esope, est la meilleure et la pire des choses2. Mapaté Diagne la représente dans son récit comme une parole avenante. Il s’agit en fait de favoriser, dans toute communication, une éthique verbale qui, il faut le dire, joue en contraste avec le caractère agressif voire insolent du langage moderne. Toujours employé en modèle, Malic épate son lecteur par sa parole saine et son discours apaisé.

Il essuie tous les revers avec grande responsabilité. Le personnage est taillé pour démontrer les techniques d’une bonne communication. Par exemple, son entrée par une anecdote, une histoire pour convaincre ses grands-parents est une technique bien difficile de la communication.

De plus, les types d’arguments qu’il emploie sont dignes des grands orateurs et harangueurs de public. Pour tout couronner, il utilise la persuasion car il fait appel à un discours argumentatif qui convoque les sentiments et les émotions de ses interlocuteurs.

C’est une sorte de manipulation ou de chantage. Mais sa volonté pressante n’embarrasse pas ses 2 La Fontaine – Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/26 Eric NDIONE Akofena çn°004, Vol.2 185 interlocuteurs qui du coup se trouvent désarmés par une tel talent de communicateur.

Malic finit toujours par gagner grâce à ses paroles avenantes. Confronté encore à son cousin Mafal rongé par la jalousie et ne cessant de l’intimider « avec un air orgueilleux et narquois » (Diagne, 1920, p. 20), Malic ne se révolte jamais avec des paroles outrageantes.

Et « Mafal avait fini par reconnaître la supériorité de Malic » (Diagne, 1920, p. 28). De plus, la manière dont Malic parle à ses vieux est plus qu’un signe de respect et d’attention. Ses paroles sont en fait un enseignement ; ce sont des paroles « trop sérieuses et trop nouvelles », des « raisons…si sérieuses » (Diagne, 1920, p. 27). Il est le professeur de vieux hommes. Il se fait le devoir de répondre « sans hésiter à toutes leurs questions » (Diagne, 1920, p. 16), même si elles sont nombreuses et même si encore les élèves n’ont pas la même rapidité de compréhension.

C’est le secret de la patience et de la disponibilité d’un enseignant toujours prêt à soutenir et à répéter les leçons pour les traînards.

Et, comme le dit François Closets en substance, les violons ne doivent jamais aller plus vite que le danseur (Closets, 1970). Le maître doit être infatigable et ne doit jamais s’éclipser devant les difficultés quand bien même il ne saurait prétendre à la connaissance absolue. Le choix de ses mots, son attitude et son tempérament peuvent sauver des vies en classe. La joie des vieillards après les explications de Malic témoigne de l’importance de la bonne parole. Le prophète n’a-t-il pas dit à ses disciples : Parlez-leur de la meilleure des façons3.

En outre, la réplique des vieillards et de la mère à l’éthique verbale de Malic est à mettre au crédit d’un écrivain qui se réclame de l’harmonie africaine. Cette harmonie originelle africaine, qui sera tant vantée par l’aède de la négritude Léopold Sédar Senghor se trouve ici mentionnée par les civilités verbales. En effet, les trois vieillards rendent à Malic sa bienséance verbale. En plus de leur attention, il lui parle avec des mots tendres : « mon lion » (Diagne, 1920, p. 9), « brave Malic » (Diagne, 1920, p. 10), « mon brave lion » (Diagne, 1920, pp. 12-16), « mon cher petit Malic » (Diagne, 1920, p.12), « mon petit » (Diagne, 1920, p. 12). Même au summum de leur colère, leurs remontrances sont toujours teintées de retenue et de tendresse : Mon lion est revenu, et nous sommes contents. Mais nous étions tristes pendant qu’il était absent. –

Oui, reprend le vieux Manoté, nous étions tristes, nous étions désolés parce qu’il voulait être forgeron. Diagne (1920, p.6) Il s’agit de protéger l’enfant de ces paroles qui dissipent sa confiance et sa créativité et l’enferment dans la cangue du scepticisme, de la peur et de la négativité. Aussi, Plutarque cite-t-il Xénocrate, lequel : 3 Coran, 16, V 125 Les trois volontés de Malic d’Ahmadou Mapaté Diagne et Comment il faut écouter de Plutarque : des repères en classe 186 Septembre 2021 ç pp. 181-194 […] conseillait de mettre des « couvre-oreilles » aux enfants plutôt qu’aux athlètes, parce que ces derniers ne sont en danger d’avoir que les oreilles meurtries par les coups, tandis que c’est l’âme des jeunes gens qui est pervertie par les discours. Plutarque (1844, p.2) César Chesneau Du Marsais plagie presque le philosophe grec en disant qu’il serait à souhaiter que l’enfant ne fût approché que par des personnes sensées, et qu’il ne pût voir ni entendre rien que de bien. (1755).

L’entourage de Malic n’est pas médiocre et son univers est favorable à sa réussite. Qui plus est, il est le héros d’un récit qui se déroule dans un village calme et paradisiaque : « Diamagueune est tranquille » (Diagne, 1920, p.10).

La critique a d’ailleurs qualifié le roman de complaisant et naïf, œuvre de commande faisant l’apologie de la France. En fait, il faut surtout y voir un éloge de la paix. Le souci des bonnes paroles et des bons rapports avec l’étranger prend le dessus sur un hypothétique reniement de la race. Le constat est clair : « La paix est bonne. La paix vaut mieux que tout. C’est pourquoi notre village a échangé son nom de khékhane contre celui de Diamagueune. » (Diagne, 1920, p.4). En somme, dans les deux œuvres, l’écoute est primordiale.

Elle est le secret d’une bonne prise de parole. Donc pour bien parler, il faut s’exercer à bien écouter, comme pour conclure avec Plutarque que « le commencement de bien vivre, c’est de bien écouter. » (1844, [18]). Ces œuvres sont encore des repères en ce sens qu’elles permettent de réorganiser l’interaction. 2. Pour réorganiser l’interaction Plutarque s’adresse principalement aux auditeurs tout juste sortis de l’adolescence. Mais son discours est bien utile aux maîtres car, connaissant la psychologie générale des apprenants, ils pourront affiner leurs stratégies communicatives et atteindre leurs objectifs. Ils auront surtout à travailler l’interaction en classe et même au dehors. 2.1. Par une gestion participative.

C’est accepter l’apprenant tel qu’il vient à nous avec ses désirs, son style, son vécu et avec beaucoup de secrets qui entourent sa vie.

C’est reconnaître aussi qu’il faut rediriger la centralité de l’apprentissage vers l’apprenant qui se voit ainsi membre actif d’une communauté qui a besoin de lui pour exister.

Mapaté Diagne offre le spectacle d’un maître qui est un animateur, un guide. Il est d’abord présenté par le commandant en homme de bien, ce que les élèves confirmeront dès le premier jour d’école : L’instituteur n’est pas comme le marabout. Il ne torture pas les petits enfants […]. L’instituteur est l’ami de ses élèves, il est leur grand camarade, Eric NDIONE Akofena çn°004, Vol.2 187 il cause avec eux, leur explique tout, et leur apprend des choses utiles et très amusantes. Diagne (1920, p.8) À son arrivée à l’école, Malic prend très tôt ses aises. Le narrateur se demande « Comment aurait-il peur de ce maître qui sourit aux enfants, leur parle d’une voix douce et leur donne des tapes amicales. » (Diagne, 1920, p. 12). Il est évident que le modèle proposé par l’auteur est celui du maître ouvert, qui ne s’enferme pas dans ses considérations personnelles, qui n’a pas peur de s’engager.

En effet, certains maîtres, refusant l’échange et le contact, se barricadent sous un casque de sévérité ou se créent une réputation de dur en la matière, le plus souvent pour masquer des carences et éviter d’être mis à nu.

On dira que c’est de bonne guerre puisque la salle de classe a été présentée comme un champ de Mars. Mais l’ouverture en classe est un gage de réussite. Mettre l’apprenant à l’aise. Toujours à propos du comportement de l’instituteur, le narrateur ne tarit pas d’éloges : «L’instituteur est content des progrès de ses élèves» (Diagne, 1920, p. 14), « il aime tous les écoliers » (Diagne, 1920, p. 14). Au même titre que le maître, l’inspecteur qui rend visite aux élèves est une merveille de gentillesse et de sympathie : « en disant d’une voix paternelle : « Asseyez-vous, mes enfants. » (Diagne, 1920, p. 18), « Monsieur l’Inspecteur sourit et approuve par des gestes. » (Diagne, 1920, p. 18). Ils incarnent à eux deux l’attrait d’une éducation centrée sur l’élève qui devient le seul ressort de l’activité pédagogique.

Et, en parlant de méthodes pédagogiques, on peut voir comment le maître mène ses activités en classe. Les mentions suivantes exposent les éléments essentiels pour une leçon réussie : «L’instituteur montre une série de cartons représentant des animaux domestiques et interroge sur les leçons précédentes. » (Diagne, 1920, p.13), « L’instituteur conduit la leçon, pose des questions courtes et claires. » (Diagne, 1920, p.13), « série de réponses individuelles » (Diagne, 1920, p.13) ; lors de la leçon du dessin, «L’instituteur a donné la plus grande liberté à ses petits écoliers » (Diagne, 1920, p. 13) ; « une félicitation du maître » (Diagne, 1920, p. 13) et récompenses pour les meilleurs élèves (Diagne, 1920, p. 15). Il y a là une panoplie de techniques à explorer. Elles nécessitent une concentration et une abnégation du maître qui fait presque tout le travail en amont.

C’est sacrifier tout son temps, sa propre personne. La gratuité de l’acte d’enseigner, c’est-à-dire, le fait d’enseigner par amour, est pris en charge par la responsabilité du maître qui surveille même la récréation des élèves : « L’instituteur circule parmi les enfants, aide les uns, encourage les autres et excite les paresseux. » (Diagne, 1920, p. 14). Malgré la fatigue, il est là pendant la pause. On dirait un conte de fées où le maître, être surhumain, arrive à conduire les petits anges aux lumières. Mais le présent employé réactualise ces propos et les rend réels.

C’est là véritablement une louange à la fonction enseignante. Les trois volontés de Malic d’Ahmadou Mapaté Diagne et Comment il faut écouter de Plutarque : des repères en classe 188 Septembre 2021 ç pp. 181-194 Par ailleurs, la gestion participative ne s’arrête pas simplement en classe. Extra muros, les élèves doivent être occupés avec des activités ou des divertissements sains. Il faut cultiver en eux la conscience sociale, individuelle et collective.

Dans l’école de Malic, ses trois cousins « défoncent un coin du futur jardin scolaire » (Diagne, 1920, p. 14). Cette pratique mérite d’être promue dans nos établissements. Pendant les vacances, « Les uns retourneront à l’école du marabout, et d’autres aident leurs parents aux travaux champêtres. Malic continue à donner des leçons à ses trois vieux élèves. » (Diagne, 1920, p. 19). Des occupations saines maintiennent le flambeau allumé. Mais certains parents regrettent même l’école qui, disent-ils, leur permettait de souffler. En fait, l’implication des parents dans l’éducation des enfants serait un facteur clé dans le fonctionnement du système.

Un seul dysfonctionnement, une seule défection dans les rangs de l’éducation entraîne l’effondrement de toute la structure. Il faut donc une participation commune et, singulièrement pour l’enseignant encore, une bonne communication. 2.2. Par une bonne communication Communiquer en classe est un exercice intellectuel sérieux nécessitant un travail. Permettant une interaction par l’apprentissage, il ne doit pas imposer un rapport autoritaire à la connaissance. C’est en fait l’argument, d’où qu’il émane, qui fera office d’autorité. Et pour en trouver, il faut se préparer et chercher. En effet, la préparation et la documentation constituent le premier palier pour une maîtrise des connaissances à partager. Cette dernière permet au maître de se mettre à l’aise dans son rôle de médiateur et de passeur. Préparer donne de l’assurance à celui qui parle.

Le modèle que choisit Diagne est encore Malic. Il est dit qu’il « écoute de belles histoires, il feuillette des livres pleins d’images et lance de temps en temps d’amusantes réflexions. » (Diagne, 1920, p. 14). Il dit encore à son maître : « N’ayez pas peur, mon maître, je travaillerai bien, je travaillerai toujours. » (Diagne, 1920, p. 20). Le narrateur le confirme : « C’est vrai que Malic travaillait beaucoup, travaillait toujours et faisait de grands progrès. Il lisait couramment, causait assez bien le français et apprenait un peu de tout. » (Diagne, 1920, p. 22). Malic finit par résumer cette leçon sur le travail en disant : « J’aime tous les métiers » (Diagne, 1920, p. 24). Ces gradations dans l’expression du travail traduisent l’urgence de la recherche et de la documentation.

Elles marquent aussi ce désir cuisant de savoir. C’est encore un clin d’œil aux apprenants : il faut lire car la sagesse nous presse.

Cependant, la maîtrise des connaissances ne doit en aucune manière occulter l’essentiel de la communication. Il s’agit de construire quelque chose avec quelqu’un d’après l’étymologie du mot communiquer.

Ce ne sera donc pas un étalas de connaissances, un mécanique transfert de données mais un échange constructif Eric NDIONE Akofena çn°004, Vol.2 189 et bénéfique pour tous. Communiquer signifie donc être avec le public et non face au public.

Par ailleurs, le savoir-faire devant être associé au faire savoir, il est utile pour tout maître de connaître les autres facteurs de réussite d’une prise de parole. Une voix bien audible mais sans hurlement est un atout. Une expression claire et simple, un judicieux choix de mots, un contact visuel, des moments de silence, une fière allure et une bonne mine, de l’humour qu’il faut manier avec dextérité constituent la boîte à outils d’un orateur quelconque.

De plus, puisque, selon Paul Watzlawick de l’école Palo Alto, « on ne peut pas ne pas communiquer » (1967, p. 7), il y a lieu de ne pas négliger la communication non verbale. La présence du griot Yakham dans le récit de Diagne suffit à démontrer l’importance de la gestuelle, du rythme, de la mélodie, etc. S’agissant des questions, le maître doit les accueillir convenablement. Il peut même dans sa préparation anticiper les types de questions de ses apprenants.

En ce qui concerne maintenant l’auditeur, nous convoquons le traité de Plutarque. A travers une série d’images parcourant son texte, il relève quelques obstacles à une écoute féconde : « la rivalité accompagnée de jalousie et de mauvais vouloir » (1844, [5]), « la manie de mépriser » et par conséquent « la manie d’admirer » (1844, [7]), embarrasser le maître en l’entraînant dans un domaine qui n’est pas le sien (1844, [11]), « de proposer un trop grand nombre de questions et d’en proposer trop souvent » (1844, [12]), l’indifférence ou l’indignation face aux réprimandes (1844, [16]), tout attendre du maître au lieu de pousser soi-même la recherche, « Car l’esprit n’est pas un vase qui a besoin d’être rempli ; c’est plutôt une substance qu’il s’agit seulement d’échauffer ; » (1844, [18]), etc.

Dans Les Trois volontés de Malic, c’est Mafal qui incarne l’élève jaloux : il « ne cesse d’inquiéter le nouvel écolier en lui affirmant qu’il ne sera jamais de force à suivre les leçons de la grande école. Et il presse Malic de questions, cherchant à l’embarrasser. » (Diagne, 1920, p. 24). Toutes ces inconvenances sont souvent notées dans les classes actuelles. Qui pis est, les écoles sont devenues des lieux de violence. Les disciples et les maîtres s’agressent et se poignardent dans les classes sous les yeux complices des autorités occupées à s’éterniser au pouvoir. La promiscuité et les crises sociales aidant, l’école n’est plus ce lieu de l’éthique communicationnelle sans laquelle tout échange vire à la violence verbale voire physique.

Mais a-t-on seulement le droit de s’en offusquer vu que c’est le même spectacle violenteur de la morale et de la bienséance qu’offrent nos arènes et nos télévisions, chaque soir, comme tous les soirs, pour plagier certains ! Tous ces phénomènes nouveaux finissent par avoir raison de la motivation du maître ; la peur lui lacère les entrailles et la faim, comme une horloge qui tictaque dans le ventre, lui rappelle ses misérables pécules qu’il se voit parfois obligé de réclamer à coups de grèves et de pierres. Mais, comme il a été dit plus haut, la gratuité de l’acte d’enseigner et le don de soi deviennent ses seuls objets de motivation. En somme, il s’oublie en pensant au droit à l’éducation de toutes ces jeunes âmes.

Par sa gestion participative et sa communication bien affinées, il réussit à repenser l’interaction en classe. Les Les trois volontés de Malic d’Ahmadou Mapaté Diagne et Comment il faut écouter de Plutarque : des repères en classe 190 Septembre 2021 ç pp. 181-194 Trois volontés de Malic et Comment il faut écouter nous apprennent encore l’humilité du maître et du disciple. 3. Pour le choix de l’humilité « Rien ne rehausse plus réellement, plus sûrement, le mérite personnel que l’aveu du mérite d’autrui. » (Plutarque, 1844, [13]).

Le choix de l’humilité est parfois difficile pour des gens imbus de leur propre personne. Ils n’ont de considération que pour eux-mêmes car se croyant plus instruits. C’est là l’heureux début de la parfaite ignorance qui conduira à une fâcheuse honte. 3.1. Par le refus de l’hautaineté Apprendre nécessite une attitude, une position de l’adorateur. S’abaisser, reconnaître ses insuffisances et repousser son orgueil signifient se faire prêt à recevoir la parole. L’hautaineté n’est jamais un atout puisque le rapport au savoir n’est guère fermé.

Dans le récit de Diagne, quelques indices nous donnent des leçons sur l’humilité et le respect. Hormis le cas de Mafal toujours enclin à jalouser et à embarrasser son cousin Malic, il faut noter les rapports Nord-Sud qui ne sont pas teintés de préjugés racistes. Autrement dit, Blancs et Noirs ne se livrent pas à la séculaire guerre de préjugés et de discours racistes.

Une comparaison entre deux discours prononcés dans presque les mêmes circonstances, celle d’une inauguration d’école par l’administration coloniale et celle d’une intronisation d’un chef indigène par un chef blanc, corroborera ce refus de la hauteur et de la ségrégation pour Diagne : Nous avons dépensé beaucoup d’argent pour construire votre école, dit le commandant. Nous vous amenons un homme de votre race pour instruire vos petits-enfants. Il leur apprendra à lire, à écrire et à parler le français […] Cet homme que nous vous amenons ne maltraitera jamais vos enfants. Il ne leur imposera aucune corvée pour son intérêt personnel, il ne réclamera aucun salaire en échange de sa peine […] Diagne (1920, p.6) Vs Nous avons répondu avec ce sens de la générosité et de la paix qui nous a toujours animés.

Nous ne répondrons pas à vos grossièretés de nègres farceurs. Nous avons une haute idée de notre mission, car vous approcher, vous, vos légendaires maladies et votre odeur de marcassin faisandé, sans aucun système de protection, relève d’un profond dévouement humanitaire. Et cette mission, nous l’assumerons avec courage. Monénembo (1986, p.63) La générosité et l’humanisme de façade chez Monénembo contraste avec la sincérité et l’humilité chez Diagne. En fait, les rapports Nord-Sud sont très Eric NDIONE Akofena çn°004, Vol.2 191 humanitaires et sincères avec Diagne. Au lieu de foncer aveuglément dans des considérations vilipendeuses du texte de Diagne, il faut surtout se remémorer le contexte et le moment de l’apparition de l’œuvre. Le témoignage du vieux Dargueune en donne une explication : Finies les guerres sans merci et sans motifs sérieux. Plus de ces alertes nocturnes, de ces après-midi (sic) de combats succédant brusquement à des matinées de calme.

Mon Dibi et mon Quilifiting qui rouillent au coin de ma case sont bien les meilleures preuves que les blancs n’apportent que la paix. Diagne (1920, p.4) Ces propos seraient ceux de tout un peuple qui a fait la paix avec soi[1]même et qui vit dans une harmonie parfaite. Il traite le Blanc comme un frère et un ami. Il l’accueille aussi en médiateur et promoteur de la paix entres les royaumes au Sénégal. Donc ce rapport Nord-Sud est le symbole de l’humilité des peuples, de leur acceptation mutuelle.

C’est du moins l’image que fait ressortir Diagne dans son récit. D’ailleurs, tous les personnages s’abaisseront et se rendront ouverts au dialogue. Les vieillards acceptent humblement de se mettre à l’école de Malic. Et, de leçons sérieuses en leçons sérieuses, ils finissent par comprendre et même par changer leurs croyances ancestrales sur les castes. C’est peut-être Malic qui s’est surpassé en techniques pédagogiques, ou encore les apprenants qui ont librement fait le choix de l’humilité.

Au demeurant, le récit se termine par l’exemple d’humilité qu’est le personnage principal. Il offre le spectacle d’une foi formée d’humilité et de charité dans un lieu paisible : Malic qui est très modeste et sérieux, a réalisé quelques économies… Il tend souvent la main à ses voisins malheureux. Grâce à son travail Malic vit heureux dans son village natal. Si cela lui faisait plaisir, il se promènerait tous les soirs dans de grands boubous damassés entre les cocotiers et les baobabs de Diamagueune. Mais Malic n’est pas un homme de parade. Diagne (1920, p. 28) C’est le couronnement d’une vie faite d’abnégation, de sérieux et d’humilité. La hautaineté ne réussit pas à un apprenant. Il l’écarte plutôt du droit chemin. Pour recevoir la parole et pour qu’elle soit fructueuse, l’apprenant a le devoir de bien s’abaisser. C’est ainsi que tout réussit à Malic, corroborant par là-même les propos bibliques selon lesquels « Qui s’élève sera abaissé et qui s’abaisse sera élevé »4.

Plutarque, toujours avec ses nombreuses images, propose une allégorie qui peut bien expliquer l’attitude d’un bon disciple : « Pour que les vases reçoivent la liqueur qui s’y verse, nous les penchons, nous les tournons de notre côté, nous tâchons qu’il y ait réellement introduction, et 4 Bible de Jérusalem, Luc 14, 11 Les trois volontés de Malic d’Ahmadou Mapaté Diagne et Comment il faut écouter de Plutarque : des repères en classe 192 Septembre 2021 ç pp. 181-194 non pas effusion ; » (1844, [3]). En insistant sur cette différence lexicale, le penseur grec invite autant le disciple que le maître à une rétrospection commandée par un devoir individuel d’humilité. Il dit encore : « Laissons rire de nous ceux qui se regardent comme des génies privilégiés » (1844, [18]). Ils incarnent l’inverse de l’humilité et Plutarque les nomme « nos prétentieux », « nos superbes » qui « s’occupent constamment de dissimuler et de couvrir l’ignorance qui est restée dans leurs esprits » (1844, [17]).

Ils se gonflent de hauteur et ne reçoivent pas convenablement la parole. Pour eux, il y a effusion. En résumé pour un apprentissage fécond, il faut une humilité sans limites. Aussi, à ce refus de l’hautaineté le sens du partage s’ajoute-t-il. 3.2. Par le sens du partage L’obligation est faite, pour tout homme dont le feu de l’esprit a été allumé par une parole, d’allumer et d’attiser son propre feu pour à son tour devenir lumière des nations. La seule loi, la seule règle qui vaille la peine d’être respectée est d’être lumière : lux mea lex, dit-on. Il faut partager, « Transmettre, transmettre au plus vite pour que les jeunes générations bâtissent par-delà les cimes. Pour que l’homme en étendant ses bras élargisse l’horizon. » comme le conseille Felwine Sarr (2009, p.79). La gratuité de l’acte d’enseigner et celui d’accepter cet enseignement fait écho au sens du partage que doivent développer tous les acteurs de ce système. Eduquer et apprendre sont des devoirs d’humanisme.

Et, s’ils sont abordés avec haine, sans un cœur d’amour et de partage, il y a lieu de craindre une éducation stérile ne générant que des lourdauds et des machines intellectuelles. Chez Diagne, même hors du contexte de l’école, on note des actes de partage certes anodins mais qui installent le climat de confiance propice pour un échange : le partage du repas familial (Diagne, 1920, p. 9) et du « thé, l’athaïa des marocains » (Diagne, 1920, p. 11) sont des gestes de convivialité bien de chez nous. Tout homme, passant, voyageur, vendeur, promeneur solitaire, y a part sans aucune distinction. Le partage symbolique « des noix de kolas » (Diagne, 1920, p. 9), représentant beaucoup plus qu’un simple acte de partage, évoque la paix et le pardon entre les hommes, condition indispensable pour une vie harmonieuse. Le partage est donc le fondement d’une communauté. A l’école, il y a beaucoup à partager.

Le savoir occupe une place importante dans cette hiérarchie de choses à partager. Malic le corrobore : « Malic, qui est bon camarade, a promis à son cousin Mafal de regarder les images » (Diagne, 1920, p. 16). En plus, il « se place au milieu des vieillards et commence à tourner les feuilles de son livre vert. » (Diagne, 1920, p. 16). Il « leur répète les leçons de l’école » (Diagne, 1920, p. 17). Le savoir n’a pas de limites ni encore de détenteur exclusif. Avec la couleur de l’espérance, l’écrivain préfigure un avenir radieux aux hommes s’ils acceptent de partager gratuitement leurs biens matériels et intellectuels. Malic partage ensuite son temps : il est d’une disponibilité et d’une serviabilité à nulle autre Eric NDIONE Akofena çn°004, Vol.2 193 pareilles : «Il passe une bonne partie de ses jeudis et de ses dimanches auprès de son maître » (Diagne, 1920, p. 14). Les acteurs de l’éducation, du sommet à la base, sont censés se rendre disponibles pour une gestion efficiente de l’institution qu’ils partagent. Une gestion ou une présence d’apparat ne fera qu’enfermer l’école dans un cercle vicieux où la routine consiste à faire retourner les façonnés de l’école à l’école. L’attitude de Malic à la fin du roman est encore un symbole du partage. Même avec ses richesses, « il préfère distraire ses vieux parents, diminuer les maux de leur vieillesse en leur rappelant les jours passés qui les font sourire. » (Diagne, 1920, p. 28). Là, c’est sa propre personne qu’il partage.

C’est un sacrifice de soi pour sa famille. Accepter de s’effacer pour autrui, s’oublier pour que l’autre soit, tel est un comportement utile pour l’éducation.

Il faut donc, selon les propos de Felwine Sarr, en nous « Tuer Narcisse. Tuer Polichinelle. Tuer Ubu. » (2009, p. 107).

Ce don de soi équivaut en outre à un partage de qualités et de cultures. L’image qu’offre Malic invite au bal des nations, à la fin des préjugés raciaux, à la fin des guerres de castes, etc.

L’école est aussi et surtout une institution pour la morale.

Le conseil de Rabelais reste toujours valable en toute circonstance : science et conscience (1868, p. 257). En faisant profiter tout le monde de ses qualités humaines, Malic symbolise le maître qui inspire la vertu à ses élèves et vice versa. En définitive, tout leur advient convenablement s’ils ont fait le choix de l’humilité.

En n’étant pas sous l’emprise de la hauteur et en ayant le sens de la gratuité et du partage, le maître et le disciple rehaussent le système auquel ils appartiennent et, partant, incitent les dirigeants à prendre au sérieux la question de l’éducation.

En fin de compte, on lira Les Trois volontés de Malic sous le prisme de l’éducation, tout en gardant bien à l’esprit que son auteur est un instituteur de la première génération sénégalaise, et donc un éventuel partisan des méthodes pédagogiques classiques. Nonobstant, il y a à s’étonner du fait qu’il prône des méthodes très modernes contrastant avec celles de la discipline, c’est-à-dire du fouet, et des interminables sévices corporelles et dont le maître est le seul centre.

Ce constat fait de Mapaté Diagne un pédagogue avant-gardiste, un pionnier de l’éducation au Sénégal. En rapport avec le texte de Plutarque, son récit donne toutes les raisons de croire en un système éducatif performant, car si les préceptes qu’ils donnent sont respectés, on peut véritablement espérer une émergence.

Conclusion

Si Les Trois volontés de Malic d’Ahmadou Mapaté Diagne et Comment il faut écouter de Plutarque sont des livres de chevet pour les acteurs de l’école, c’est parce qu’ils nous font comprendre le sens de l’écoute active, condition sine qua non d’une bonne communication.

Ils développent aussi, surtout chez le maître cette propension à innover l’interaction en classe par un peaufinage de sa gestion et de sa communication. Ils promeuvent encore l’humilité Les trois volontés de Malic d’Ahmadou Mapaté Diagne et Comment il faut écouter de Plutarque : des repères en classe 194 Septembre 2021 ç pp. 181-194 intellectuelle, position de rabaissement idéal pour bien accueillir la sagesse.

 En fait ces deux œuvres sont agréablement complémentaires.

Avec pleins d’images, Plutarque moralise les jeunes disciples. Mapaté Diagne propose quant à lui un cas pratique, une mise en situation à l’école avec tout le décor du périscolaire.

Le deux reprennent le même principe philosophique et moral à la fin : pour bien vivre, il faut bien écouter. Il faut à tout homme savoir-faire silence, s’écouter soi-même, écouter les autres, écouter le monde, écouter la nature. La lecture serait donc le moyen le plus efficace pour arriver à écouter le monde et ce qui l’entoure puisqu’elle est une forme élaborée de l’écoute.

Mais aujourd’hui plus que jamais, le monde qui est en perpétuelle écoute -musique, sermon, discours, etc.- semble ne plus en distinguer l’utile de l’agréable.

Qui pis est, il est une forme d’écoute qui pervertit les jeunes et les enferme dans un monde étroit.

Il serait intéressant d’étudier comment les hommes, écouteurs bien vissés dans les oreilles, rompent le lien social. Références bibliographiques Closets, F. (1970).

En danger de progrès. Paris : Denoël Diagne, A. M., (1920). Les Trois volontés de Malic. Paris : Larose Monénembo, T. (1986). Les Écailles du ciel. Paris : Seuil Plutarque. (1844). Comment il faut écouter, in Les Œuvres morales, (traduites du grec par Ricard. A Paris, chez Lefèvre, Éditeur, Rue de L’Éperon, 6 – Chez Charpentier, Éditeur, Rue de Seine, 29(5) Rabelais, F. (1532). Pantagruel. Lyon : Claude Nourry. Texte établi par Charles Marty-Laveaux, Alphonse Lemerre, 1868 Sarr, F. (2009). DAHIJ. Paris : Gallimard-L’Arpenteur Watzlawick, P. (1967). Une logique de la communication. Paris : Point Seuil