Le silence de la forêt africaine, par Georges Dougueli

Spécialistes mondiaux du déni, les Africains regardent ailleurs alors que leur maison brûle. Et se révèlent incapables de former des chercheurs dans le domaine de l’environnement.

Par Georges Dougueli

Journaliste spécialisé sur l’Afrique subsaharienne, il s’occupe particulièrement de l’Afrique centrale, de l’Union africaine et de la diversité en France. Il se passionne notamment pour les grands reportages et les coulisses de la politique.

(@GDougueli)

On peut être né dans l’un des pays forestiers du Bassin du Congo et n’avoir aucune conscience des enjeux de préservation de la forêt. Un bon début aurait consisté à en vulgariser la connaissance scientifique. Bien fol qui s’y fie. Ce paradoxe était saisissant lors du One Forest Summit, qui s’est tenu les 1er et 2 mars dernier à Libreville, au Gabon. On a cherché en vain une expertise locale. Où sont donc passés les chercheurs d’Afrique centrale ? Comment peut-on être né dans le deuxième massif forestier du monde mais en être réduit à quémander à d’autres les données scientifiques de son propre environnement, les technologies innovantes destinées à en dompter la nature et à tracer les perspectives de son propre avenir ?

La question du rapport de cause à effet entre destruction du couvert forestier et réchauffement climatique nous intéresse d’autant moins que les générations actuelles assument leur dédain des études liées aux sciences de la terre et de la vie. Nos universités, du reste très mal notées dans les classements mondiaux, sont des usines à produire des avocats et des journalistes…

Onze pays, 25 chercheurs !

La veille du sommet, les autorités gabonaises avaient organisé un colloque scientifique en prélude aux travaux du lendemain. Au sein des 11 pays que compte la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) le colloque n’a pu inviter que 25 chercheurs. Parmi lesquels deux femmes, dont l’épouse d’origine britannique de Lee White, le ministre gabonais des Forêts. Plus rares encore, les chercheuses sont carrément en voie de disparition.

En revanche, lorsqu’il s’est agi de convier les spécialistes de l’Amazonie désireux de partager leur expérience avec leurs homologues d’Afrique centrale, cela n’a plus été la même histoire. On a l’embarras du choix dans cette communauté scientifique qui fait éclore à foison des experts de haut niveau. Explication : il y a quarante ans, la communauté internationale avait investi une centaine de millions de dollars pour financer la recherche sur l’Amazonie. Cela a abouti à la formation d’environ 5 000 chercheurs, dont la plupart sont des natifs « autochtones ». Résultat, on dispose aujourd’hui d’une connaissance très fine de la forêt amazonienne, de sa biodiversité, de ses zones humides, de son peuplement.

La communauté des bailleurs de fonds serait donc bien inspirée de déployer un effort similaire pour donner un coup de pouce à la recherche portant sur le Bassin du Congo. Plus concrètement, il s’agit de donner de l’oxygène à l’environnement institutionnel (universités, instituts et centres) ainsi qu’aux laboratoires de recherche.

En finançant la recherche en Afrique, les pays industrialisés s’aideraient eux-mêmes car la planète a besoin de la forêt pour continuer de respirer. Selon les données disponibles, le Bassin du Congo recèle l’équivalent de dix années d’émissions de carbone. Pour que cela dure, il faut que ses arbres restent debout. Imaginons le pire. Si rien n’était fait pour arrêter la déforestation et que cette capacité de séquestration du carbone venait à disparaître, la prévision de réchauffement de la température passerait de 1,5° d’ici à la fin du siècle à 3,5° à la même échéance. Cela engendrerait, selon les experts, outre des phénomènes météorologiques d’une violence inédite, une baisse dramatique de la pluviométrie du Sahel jusqu’en Éthiopie, ce qui multiplierait les risques de famine et de conflits liés à l’eau.

Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU, n’avait cessé de tirer la sonnette d’alarme, « le changement climatique est la plus grande menace pour la sécurité en Afrique ». Les scientifiques assurent que le phénomène fera 500 millions de réfugiés climatiques sur le continent d’ici à la fin du siècle.

À LIRESortir du déni

Les pays africains directement concernés gagneraient donc à placer la science et la technologie au cœur de leur développement et à faire les efforts budgétaires y afférents. Pour l’instant, c’est loin d’être le cas. En effet, hormis dans quelques pays comme l’Afrique du Sud, le Kenya ou l’Égypte, et, depuis une date plus récente, la Tanzanie, le Nigeria et l’Éthiopie, l’objectif des pays africains de consacrer 1% de leur PIB à la recherche n’est pas tenu.

La recherche coûte cher, et, s’agissant de la recherche fondamentale les résultats produisent leurs effets à moyen terme, voire à long terme. Le temps de la science ne correspond donc pas à celui, notoirement court-termiste, des responsables politiques africains.

En conséquence, le continent est particulièrement mal loti, avec environ 80 scientifiques et ingénieurs par million d’habitants contre près de 150 au Brésil, 2 500 en Europe et 4 000 aux États-Unis. Ce retard doit impérativement être réduit. Il va sans dire que le reste du monde évolue et n’attendra pas l’Afrique. L’Union européenne ayant validé l’interdiction de la vente de voitures neuves à moteur thermique à partir de 2035, cela induit qu’à partir de cette date le pétrole se vendra moins bien.

Mais combien de pays producteurs ont pris la juste mesure de la révolution technique qui se profile ? Quoi qu’il en soit, ils n’auront d’autre choix que de s’adapter en adoptant, contraints et forcés, le modèle de développement durable que la situation impose. Autant s’y préparer dès aujourd’hui. Mais pour cela, il faut d’abord sortir du déni…

https://www.jeuneafrique.com/1432542/