Contre le harcèlement scolaire, le ministre de l’Éducation veut s’inspirer de la méthode danoise « Fri For Mobberi ». Une approche qui va en réalité bien plus loin que de simples cours, comme nous l’explique une institutrice qui la pratique depuis 2007.
Par Marie Telling
La méthode est axée autour de quatre valeurs fondamentales : la tolérance, le respect, le soin et le courage.
ÉCOLE – Quelques jours avant l’annonce du « plan interministériel » de lutte contre le harcèlement scolaire, promis pour ce mercredi 27 septembre, Gabriel Attal s’est rendu vendredi dernier au Danemark pour observer et s’inspirer des « cours d’empathie » mis en place dans le pays scandinave depuis 2007.
Le programme danois, nommé « Fri For Mobberi » (« libéré de l’intimidation »), fait déjà des émules en France, où il est testé dans plusieurs écoles de Paris et de la région parisienne depuis la rentrée 2022. Mais que contient-il vraiment ?
Pour en savoir plus sur la méthode et son efficacité, nous avons parlé à Hanne Petersen, institutrice en école primaire à Skanderborg, dans le Jutland, depuis 2004. Ses élèves ont entre 6 et 10 ans (au Danemark, le même instituteur suit une classe plusieurs années). Elle a pris part au programme Fri For Mobberi dès 2007 au moment de son lancement dans le pays. Pour Le HuffPost, elle revient sur son expérience.
« Ça fait partie de tout ce que je fais en tant qu’institutrice»
Si l’approche a été décrite en France comme des « cours d’empathie », Fri For Mobberi est une méthode bien plus globale que quelques heures de cours dédiés. Hanne Petersen l’inclut ainsi dans chacun de ses enseignements et chacune de ses interactions avec les élèves. « Il faut l’ancrer dans le quotidien, ça fait partie de tout ce que je fais en tant qu’institutrice tous les jours », explique-t-elle.
La méthode est axée autour de quatre valeurs fondamentales : la tolérance, le respect, le soin et le courage. Des préceptes qu’elle intègre à ses cours.
« Hier, on a commencé un nouveau chapitre en mathématiques, dans lequel ils travaillent avec des nombres plus élevés, raconte-t-elle. Je leur ai expliqué pourquoi on veut acquérir plus de connaissances en maths. Puis, je les ai répartis deux par deux et on a parlé de comment travailler ensemble, comment s’entraider, comment structurer son travail, tout ça avec la méthode pour nous guider. »
Quand ses élèves travaillent en équipes, c’est elle qui choisit les pairs pour s’assurer que tout le monde collabore et qu’aucun élève n’est laissé à l’écart. Elle pose ensuite des questions autour de chaque valeur fondamentale, comme : « Comment est-ce que vous pouvez intégrer la tolérance à votre travail ? » (« en reconnaissant que chacun à quelque chose à dire »), « Comment est-ce que vous montrez du respect ? » (« en s’écoutant les uns les autres »), ou encore « Comment pouvez-vous prendre soin de vos camarades ? » (« en leur demandant s’ils ont besoin d’aide »).
« Pour ce qui est du courage, on peut très bien le trouver dans le fait de travailler avec quelqu’un qu’on ne connaît pas bien, par exemple, explique l’institutrice. Mais quand ils sont plus grands, cela veut aussi dire intervenir s’ils voient qu’un élève est maltraité ou mis à l’écart. »
« Les enfants avaient enfin un espace où s’exprimer »
Cette approche la suit aussi dans son travail d’accompagnement lors des récréations. Si deux élèves se disputent autour du choix d’une activité, Hanne Petersen utilise les enseignements de la méthode pour les aider : « J’ai eu cette situation entre deux élèves aujourd’hui et je leur ai dit “OK, comment est-ce que vous pouvez montrer du respect l’une pour l’autre ? Quel compromis pouvez-vous trouver ?” »
Des moments dédiés à la méthode sont par ailleurs présents dans l’emploi du temps de la classe. Une fois par semaine, les élèves se réunissent pour une « réunion d’enfants » où ils peuvent échanger sur un sujet de savoir-être. « Quand la méthode a été lancée en 2007, ces moments représentaient un vrai changement dans la manière dont on considérait les enfants, se souvient-elle. Ils avaient enfin un espace où s’exprimer. »
Pour les accompagner, Hanne Petersen n’est pas seule, elle s’appuie sur la mascotte de la classe, la peluche fournie par le programme et nommée Bamseven (« ours en peluche » en danois). Celle-ci est toujours présente dans la classe pour servir d’outil pédagogique (c’est à travers elle que l’institutrice lance les sujets pour les réunions hebdomadaires) mais aussi pour réconforter les élèves. « Récemment, une élève s’est mise à pleurer alors que j’expliquais un exercice à la classe, je suis allée vers elle avec Bamseven, elle l’a pris dans ses bras pour se rassurer et je lui ai dit que je reviendrai vers elle pour l’aider une fois que j’aurais donné la fin des instructions à la classe. Elle était tout de suite réconfortée. »
Les parents aussi ont un rôle à jouer
Et comme l’école ne fait pas tout, les parents aussi doivent participer à cet apprentissage de l’empathie et de la solidarité, dans un « effort conjoint » avec les enseignants. Au Danemark, explique l’institutrice, il y a une forte culture des invitations à jouer à la maison chez des camarades de classe. « Si des enfants n’y prennent pas part, ils ne font pas partie de la communauté. Donc il faut s’assurer que les parents aient conscience qu’ils doivent faire un effort pour que chacun ait sa place dans le groupe, que tout le monde soit invité. » Pour s’en assurer l’école organise, en collaboration avec les parents, les groupes de jeu pour que chacun s’invite à tour de rôle à un moment de l’année.
Au cœur de l’approche, la volonté d’inculquer aux enfants l’idée que chacun a sa place dans le groupe et dans la communauté. « Le harcèlement scolaire est un phénomène de groupe, rappelle Hanne Petersen. Il faut qu’il y ait une acceptation sociale pour que ces dynamiques persistent. Si un enfant en harcèle un autre et que les autres l’acceptent et ne disent rien, alors le harcèlement imprègne toute la culture de groupe. »
« Ils gardent les outils avec eux à l’adolescence »
Et pour l’institutrice, la méthode a vraiment fait ses preuves. Elle le voit déjà dans les différences de comportement entre les enfants qui entrent en primaire après avoir suivi la méthode en maternelle et ceux qui n’y ont jamais eu affaire. « Lors des conflits, ceux qui ont été initiés à cette approche trouvent plus facilement un compromis et une solution, assure-t-elle. Parce que, quand on est un enfant, l’instinct naturel c’est de vouloir régler un conflit en obtenant ce qu’on veut. Mais ceux qui ont déjà appris cette méthode ont le réflexe de dire “OK, il faut que je trouve une solution qui me convienne mais qui convienne aussi à mon camarade”. »
Et elle le voit aussi dans les élèves de collège qu’elle a eu dans sa classe au primaire. Hanne Petersen est aussi coach de handball dans son établissement et, dans ce contexte, interagit avec des adolescents de 14 ou 15 ans qu’elle connaît depuis l’enfance. « Ils gardent les outils avec eux, dans leur façon de communiquer, d’échanger avec les autres, de s’assurer que tout le monde va bien. Bien sûr, ils parlent différemment de respect ou de tolérance que quand ils avaient 7 ou 8 ans, mais ils utilisent toujours ce qu’ils ont appris. »
Son établissement scolaire compte quelque 900 élèves, qui ont entre 5 et 16 ans. Selon l’institutrice, si des conflits peuvent bien évidemment émerger, il n’y a aucun cas de harcèlement scolaire signalé dans son école.
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