ÉDITORIAL – Le divertissement, cette « diversion » selon Montaigne, ne résout aucun des problèmes des retraites, de l’immigration, de la guerre ou du dérèglement climatique… Mais n’attendons pas leur résolution pour profiter de la vie.
Il arrive que l’actualité fasse relâche, ou plutôt – malgré tant d’horreurs qui continuent de par le monde – qu’elle nous en donne le sentiment illusoire et reposant. Il suffit de peu de chose : un long weekend, le printemps qui se réveille, un tournoi de tennis à Roland-Garros, le Festival de Cannes…
On parle un peu moins de la réforme des retraites, de l’immigration, de la guerre en Ukraine ou du dérèglement climatique, un peu plus de loisir, de sport, de spectacle, de divertissement. Le glamour, pour un temps, l’emporte sur l’inquiétude, l’admiration sur la colère, la détente sur les tensions. Cela fait du bien : c’est à la fois dérisoire et plaisant, comme un apéro entre amis, et d’autant plus délectable qu’on le sait fugace.
On ne peut pas toujours tout prendre au sérieux, ni porter sur son dos tous les malheurs du monde. Égoïsme? Il en faut un peu pour vivre, et l’on aurait tort de se le reprocher. Que mon bonheur dépende de celui de mes proches, c’est une évidence, dont le père que je suis n’a que trop conscience. Mais ce qui est vrai de la famille ne l’est pas de l’humanité.
Carpe diem et « divertissement »
Si j’attends, pour être heureux, que tout le monde le soit, je ne le serai jamais, et le malheur global n’en sera qu’augmenté. Je me méfie des militants sombres, qui attendent le bonheur pour demain. Carpe diem ? C’est une sagesse à courte vue, mais qui vaut mieux que le sérieux écrasant des fanatiques.
On pense à Blaise Pascal, dont nous fêterons ce 19 juin le quatrième centenaire. Ce qu’il appelle « divertissement », et qu’il condamne ce titre, c’est tout ce que nous faisons ou regardons pour oublier le peu que nous sommes et que nous pouvons, notre incapacité à être heureux, et la mort qui nous attend.
Pourquoi ne savons-nous pas « demeurer en repos dans une chambre » ? Parce que nous avons besoin, explique-t-il, « de bruit et de remuement » pour oublier que nous ne sommes pas heureux et que nous allons mourir. Ce « divertissement », que Pascal nous reproche, Montaigne, plus sage que l’auteur des Pensées, l’appelait « diversion », qu’il recommande.
« Nous sommes nés pour agir », pas pour regarder la télévision
Lorsque la vie nous inquiète ou nous blesse, mieux vaut penser à autre chose que s’enfoncer en permanence dans le malheur ou la déploration. La diversion, chez Montaigne, c’est le contraire de ce que nos psychiatres appellent la « rumination », qui est l’un des symptômes – voire l’une des causes parfois – de la dépression.
Plutôt que t’enfermer dans ta chambre ou dans tes idées noires, va donc te promener, rejoins quelques amis, regarde un film ou un match de tennis, enfin fais ce que tu peux pour combattre la mélancolie. Cela vaut-il la peine ? Cela vaut bien mieux : cela vaut le plaisir qu’on y prend ou la joie qu’on y trouve. Cette « diversion » ne résout aucun de nos problèmes, et surtout pas ceux des retraites, de l’immigration, de la guerre ou du dérèglement climatique.
Mais n’attendons pas qu’ils soient résolus pour profiter de ce que la vie, malgré tout, nous offre. Et n’oublions pas qu’aucun divertissement ne tient lieu d’action, ou plutôt que l’action est le meilleur et le plus efficace des divertissements. « Nous sommes nés pour agir », comme disait Montaigne, pas pour regarder la télévision.
Retraites, guerres, climat… Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?
ÉDITORIAL – Le divertissement, cette « diversion » selon Montaigne, ne résout aucun des problèmes des retraites, de l’immigration, de la guerre ou du dérèglement climatique… Mais n’attendons pas leur résolution pour profiter de la vie.
« Nous sommes nés pour agir », comme disait Montaigne, pas pour regarder la télévision.
Il arrive que l’actualité fasse relâche, ou plutôt – malgré tant d’horreurs qui continuent de par le monde – qu’elle nous en donne le sentiment illusoire et reposant. Il suffit de peu de chose : un long weekend, le printemps qui se réveille, un tournoi de tennis à Roland-Garros, le Festival de Cannes…
On parle un peu moins de la réforme des retraites, de l’immigration, de la guerre en Ukraine ou du dérèglement climatique, un peu plus de loisir, de sport, de spectacle, de divertissement. Le glamour, pour un temps, l’emporte sur l’inquiétude, l’admiration sur la colère, la détente sur les tensions. Cela fait du bien : c’est à la fois dérisoire et plaisant, comme un apéro entre amis, et d’autant plus délectable qu’on le sait fugace.
On ne peut pas toujours tout prendre au sérieux, ni porter sur son dos tous les malheurs du monde. Égoïsme? Il en faut un peu pour vivre, et l’on aurait tort de se le reprocher. Que mon bonheur dépende de celui de mes proches, c’est une évidence, dont le père que je suis n’a que trop conscience. Mais ce qui est vrai de la famille ne l’est pas de l’humanité.
Carpe diem et « divertissement »
Si j’attends, pour être heureux, que tout le monde le soit, je ne le serai jamais, et le malheur global n’en sera qu’augmenté. Je me méfie des militants sombres, qui attendent le bonheur pour demain. Carpe diem ? C’est une sagesse à courte vue, mais qui vaut mieux que le sérieux écrasant des fanatiques.
On pense à Blaise Pascal, dont nous fêterons ce 19 juin le quatrième centenaire. Ce qu’il appelle « divertissement », et qu’il condamne ce titre, c’est tout ce que nous faisons ou regardons pour oublier le peu que nous sommes et que nous pouvons, notre incapacité à être heureux, et la mort qui nous attend.
Pourquoi ne savons-nous pas « demeurer en repos dans une chambre » ? Parce que nous avons besoin, explique-t-il, « de bruit et de remuement » pour oublier que nous ne sommes pas heureux et que nous allons mourir. Ce « divertissement », que Pascal nous reproche, Montaigne, plus sage que l’auteur des Pensées, l’appelait « diversion », qu’il recommande.
« Nous sommes nés pour agir », pas pour regarder la télévision
Lorsque la vie nous inquiète ou nous blesse, mieux vaut penser à autre chose que s’enfoncer en permanence dans le malheur ou la déploration. La diversion, chez Montaigne, c’est le contraire de ce que nos psychiatres appellent la « rumination », qui est l’un des symptômes – voire l’une des causes parfois – de la dépression.
Plutôt que t’enfermer dans ta chambre ou dans tes idées noires, va donc te promener, rejoins quelques amis, regarde un film ou un match de tennis, enfin fais ce que tu peux pour combattre la mélancolie. Cela vaut-il la peine ? Cela vaut bien mieux : cela vaut le plaisir qu’on y prend ou la joie qu’on y trouve. Cette « diversion » ne résout aucun de nos problèmes, et surtout pas ceux des retraites, de l’immigration, de la guerre ou du dérèglement climatique.
Mais n’attendons pas qu’ils soient résolus pour profiter de ce que la vie, malgré tout, nous offre. Et n’oublions pas qu’aucun divertissement ne tient lieu d’action, ou plutôt que l’action est le meilleur et le plus efficace des divertissements. « Nous sommes nés pour agir », comme disait Montaigne, pas pour regarder la télévision.