Pythagore préféra se faire massacrer plutôt que de traverser un champ de fèves ; Platon serait mort d’une infestation par les poux Epicure accueillit sa fin avec joie, entouré de ses amis – « la mort n’est rien pour nous », disait-il ; Descartes fut emporté par une pneumonie à la suite des leçons matinales qu’il prodiguait au coeur de l’hiver suédois ; Voltaire. pourfendeur de l’Eglise, demanda à être confessé par un prêtre sur son lit de mort : Kant termina sa vie sur ce mot : « Sufficit « , « c’est assez »; Bentham se fit embaumer pour être exposé dans une vitrine à l’University College de Londres ; Simone Weil s’est laissée mourir de faim pendant l’Occupation ; Camus est mort d’un accident de voiture, rattrapé par l’absurde ; Sartre lança un jour : » La mort ? Je n’y pense pas » : 50 000 personnes assistèrent à ses funérailles.
Simon Critchley est titulaire de la chaire de philosophie à la New School for Social Research de New York. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont De l’humour (Kimé, 2004).
Dans marianne
Fiche de lecture «Les philosophes meurent aussi Par Philippe Petit
Les philosophes meurent aussi
On meurt toujours assassiné. La mort est un ennemi indigne, selon le philosophe Pierre Zaoui. C’est bizarre, il n’existait pas de livre sur la mort des philosophes. Le manque est réparé avec celui de Simon Critchley :
. Il est composé d’articles qui recensent les circonstances de la mort d’à peu près deux cent philosophes. L’introduction est sans intérêt, et rappelle que philosopher c’est apprendre à mourir, mais la lecture des articles est amusante. Le lecteur est pourtant pris d’un certain malaise : quelle curiosité étrange pousse l’auteur à prendre plaisir à cette description des morts philosophiques, parfois tragiques, mais parfois aussi comiques ? Il est en effet des morts qui font sourire – et ce sourire devant la mort n’est pas loin du rire devant une situation burlesque. Est-ce un livre qui se lit d’une traite ou qui se feuillette ? Je dirais plutôt qu’il se feuillette. Mais cela peut être une qualité. On serait tenté de croire que la mort d’un sage est un événement digne d’être raconté. Mais toutes les morts se valent-elles ? Existe-t-il des morts insignifiantes ? Ce livre prétend le contraire, quoiqu’il n’arrive pas toujours à nous en persuader. «
», disait Comte. Mais les morts, comme les vivants, ont une histoire. Il n’y a pas deux morts qui se ressemblent. Les auteurs sont classés par ordre chronologique. Le livre commence donc par les Anciens. Ici, c’est la mort de Zénon de Cittium, le père du stoïcisme, qui nous interpelle. Un jour qu’il quittait l’école, Zénon trébucha, tomba, et se cassa un orteil. Frappant le sol de son poing, il cita un vers tiré de Timothée de Milet :
. Il mourut volontairement sur place en retenant son souffle. Cette mise en scène de la mort est exemplaire. Mais elle ne réussit pas toujours, comme l’illustre a contrario la mort de Sénèque s’ouvrant les veines sur ordre de Néron. Peut-on envier une manière de mourir ? La question n’a pas de sens. Celle d’Héraclite qui s’étouffa dans la bouse de vache ? Celles de Bruno, More, ou Condorcet, assassinés par l’histoire ? Celle de Montesquieu, mort dans les bras de son amante, laissant inachevé, sur sa table, l’article
pour l’Encyclopédie ? Celle d’un Merleau-Ponty, retrouvé dans son bureau, la tête posée sur un livre de Descartes ? Quel mort souhaiteriez-vous avoir ? Quelle question ! Le grand historien de la mort, Philippe Ariès, dont il n’est pas question dans ce livre, affirmait que pour nous autres, aujourd’hui, la belle mort est une mort inaperçue.
, cela signifie qu’il est mort dans son sommeil. Cette mort-là, cette mort improvisée, cette mort inaperçue était précisément celle qui était autrefois redoutée, car il fallait voir venir la mort. La mort est-elle moins absurde lorsqu’on la voit venir ? Albert Camus, philosophe de l’absurde s’il en est, avait dit un jour qu’il ne pouvait pas imaginer de mort plus dénuée de sens qu’un accident de voiture. Albert Camus est mort dans un brutal accident de voiture à 44 ans. La version anglaise de ce livre est sortie en 2008. Le dernier homme à disparaître se nomme Jean Baudrillard. Il est le plus jeune des mortels qui figure dans ce livre, il est mort en 2007. De la mort, il a pu écrire :
. Le ton n’est donc pas toujours à la tragédie, loin de là. Nous disions que ce livre, à défaut d’être important, est distrayant. Pour vous en convaincre, voici, en guise de conclusion, une petite histoire : l’ambassadeur de France à Berlin pour remercier le médecin et philosophe La Mettrie, de l’avoir guéri organisa un grand banquet. La Mettrie, notre cher matérialiste, passa une excellente soirée ; il se régala, s’empiffra, et se bâfra de pâté aux truffes. Le soir en rentrant, il mourût d’une indigestion ! Quant aux femmes, on les compte sur les doigts d’une main. Arendt, Stein, Beauvoir… il faudra attendre une nouvelle édition dans vingt cinq ans pour qu’elles meurent aussi…
Chronique du 21/10/2010