« Si cet ouvrage et d’autres peuvent nous conduire vers la retenue et éviter les dérapages. Trop de faits divers inadmissibles au Sénégal, les vols, les crimes, la quête de l’argent suivie de mort, stop aux violences et revisitons nos valeurs pour vivre mieux ensemble » P B CISSOKO
« J’avais alors vingt ans, et la modernité m’est apparue comme une immense imposture. » Dans cet ouvrage, Pierre Rabhi apporte son témoignage sur ce qu’il appelle la « sobriété heureuse », prise en tant que réelle valeur de bien-être, force de libération physique et morale.
« J’avais alors vingt ans, et la modernité m’est apparue comme une immense imposture. »
PIERRE RABHI
Pierre Rabhi a en effet vingt ans à la fin des années cinquante, lorsqu’il décide de se soustraire, par un retour à la terre, à la civilisation hors sol qu’ont largement commencé à dessiner sous ses yeux ce que l’on nommera plus tard les Trente Glorieuses.
Après avoir dans son enfance assisté en accéléré, dans le Sud algérien, au vertigineux basculement d’une pauvreté séculaire, mais laissant sa part à la vie, à une misère désespérante, il voit en France, aux champs comme à l’usine, l’homme s’aliéner au travail, à l’argent, invité à accepter une forme d’anéantissement personnel à seule fin que tourne la machine économique, point de dogme intangible. L’économie ?
Ce n’est plus depuis longtemps qu’une pseudoéconomie qui, au lieu de gérer et répartir les ressources communes à l’humanité en déployant une vision à long terme, s’est contentée, dans sa recherche de croissance illimitée, d’élever la prédation au rang de science. Le lien filial et viscéral avec la nature est rompu ; elle n’est plus qu’un gisement de ressources à exploiter – et à épuiser.
Au fil des expériences de vie qui émaillent ce récit s’est imposée à Pierre Rabhi une évidence : seul le choix de la modération de nos besoins et désirs, le choix d’une sobriété libératrice et volontairement consentie, permettra de rompre avec cet ordre anthropophage appelé “mondialisation”. Ainsi pourronsnous remettre l’humain et la nature au coeur de nos préoccupations, et redonner, enfin, au monde légèreté et saveur.
C’est un manifeste en faveur d’une sobriété assumée et apaisée que nous propose ici Pierre Rabhi. Partant du constat de l’impasse dans laquelle nous place l’actuelle crise écologique, cet agriculteur d’origine algérienne, expert en agroécologie, écrivain et penseur promeut une éthique de la frugalité et de la tempérance, comme antidote au « règne de l’immodération ».
« Quel est le sentiment – ou l’intuition-, surgi de la profondeur d’une sagesse millénaire, qui donne cet esprit de tempérance qui exprime sa beauté par un « cela suffit »? Et, dans le même temps, fait advenir en nous cette gratitude qui, en s’épanouissant au plus profond de notre être, donne la plénitude de leur valeur à tous les présents de la vie, et à notre présence au monde une légèreté singulière, celle de la sobriété tranquille et heureuse ? » (Pierre Rabhi)
La puissance de la modération
Contre les méfaits et la frustration toujours plus grande qu’engendre la surabondance sans joie dans laquelle les pays développés se sont enlisés, Pierre Rabhi prône la modération comme antidote : « Face au toujours-plus indéfini qui ruine la planète au profit d’une minorité, la sobriété est un choix conscient inspiré par la raison. Elle est un art et une éthique de vie, source de satisfaction et de bien-être profond. Elle représente un positionnement politique et un acte de résistance en faveur de la terre, du partage et de l’équité« , écrit Pierre Rabhi.La sobriété heureuse est une posture délibérée pour protester contre la société de surconsommation. Contre l’idéologie du toujours-plus illimité, fondée sur une boulimie consommatrice, Rabhi propose une « modeste prospérité », basée sur l’auto-limitation et la régulation de nos besoins.
La modération, selon Pierre Rabhi, est un principe de vie et une expérience intérieure. L’initiation à la modération est source de joie, nous dit Rabhi, car elle rend plus accessible la satisfaction, abolissant la frustration engendrée par le toujours-plus.
Un retour à la Terre
C’est un retour à la terre que prône Rabhi, ainsi qu’une revalorisation du sacré à l’œuvre dans la nature, non plus considérée comme un vulgaire gisement de ressources à exploiter mais comme une “oasis de vie unique”.
Sans tomber dans le mythe du “bon sauvage” et de la vision passéiste qu’il véhicule, Pierre Rabhi propose un renouvellement de nos modes de pensée. En passant de la logique du profit sans limites à celle du vivant, il est s’agit de « changer de paradigme » par l’avènement d’un nouveau rapport à la nature.
Retrouver notre liberté d’Hommes
Depuis la révolution industrielle, nos vies sont quasi-entièrement dévolues au travail et à l’exigence de productivité, explique Pierre Rabhi. Nous sommes possédés par ce que nous croyons posséder. Pour retrouver notre pleine liberté d’hommes, il est donc impératif de s’engager collectivement pour modérer nos besoins et désirs.
“La modernité -majoritairement urbaine- a édifié une civilisation « hors sol », déconnectée des réalités et des cadences naturelles, ce qui ne fait qu’aggraver la condition humaine et les dommages infligés à la Terre”, dénonce Pierre Rabhi.
Nous ne pourrons nous affranchir de la tyrannie de la finance qu’en faisant en sorte de ne plus en dépendre totalement. Pour atteindre ce but, la sobriété est une nécessité absolue.
Un défi collectif
« Désormais la plus haute, la plus belle performance que devra réaliser l’humanité sera de répondre à ses besoins vitaux avec les moyens les plus simples et les plus sains ».
Dans son ouvrage, Pierre Rabhi invite à un changement collectif inspiré par la quête de simplicité et de cohérence. Il encourage l’émergence et l’incarnation de nouveaux modèles de sociétés fondés sur l’autonomie, l’écologie et l’humanisme.
“La planète Terre est à ce jour la seule oasis de vie que nous connaissons au sein d’un immense désert sidéral. En prendre soin, respecter son intégrité physique et biologique, tirer parti de ses ressources avec modération, y instaurer la paix et la solidarité entre les humains, dans le respect de toute forme de vie, est le projet le plus réaliste, le plus magnifique qui soit” poursuit Pierre Rabhi.
De la mesure en toute chose
Quoi qu’engagé dans l’écologie, Pierre Rabhi conserve de la mesure en toute chose. Il revendique entre autre ne pas adhérer au végétarisme et recommande à chacun de ne se priver en rien, tant que cela n’est pas cohérent avec ses aspirations personnelles.
“Parce que l’alimentation est devenue suspecte, elle entraîne des raidissements mentaux excessifs. J’ai pu entrer dans des restaurants où la radicalité alimentaire était de mise et j’ai vu des gens tristes. Je ne porte pas de jugement, mais j’ai parfois envie de dire : « Bouffez un bifteck et soyez heureux! » La joie de dîner entre amis ou en famille est essentielle. Beaucoup de gens pensent que je suis végétarien, mais ça n’est pas le cas. Ceux qui font ce choix ne doivent pas le vivre comme une contrainte, mais comme un élément nécessaire à leur bonheur. J’insiste sur un point: garder un état relaxé par rapport à la vie. Et c’est évidemment vrai pour la nourriture”, explique Pierre Rabhi dans une interview donnée au journal Le Figaro.
Malgré son attrait incohérent pour la viande, Rabhi prône encore une fois la mesure en toute chose : “Il est absurde, nous dit-il, de consacrer des hectares à la nourriture animale pour produire massivement des protéines dont nous n’avons pas besoin en grosse quantité. Arrêter cela nous permettra de nous nourrir correctement, sans manque ni excès”.
“Si cette vision de l’alimentation a le mérite de contenter presque tout le monde, elle reste, à l’heure de l’industrie agroalimentaire et d’une démographie humaine galopante, incompatible avec le respect du vivant. Le plaisir de vivre simplement ne peut plus s’affranchir de cette question devenue primordiale pour notre santé, notre environnement et l’exploitation insoutenable du vivant,” tempère Christophe Magdelaine, fondateur du média www.notre-planete.info.
“Je déplore souvent mon impuissance à échapper à une contradiction qui m’amène à polluer l’atmosphère avec ma voiture et les avions que je suis bien obligé d’emprunter pour promouvoir l’écologie et l’agroécologie. Les situations de cohérence entre nos aspirations profondes et nos comportements sont limitées, et nous sommes contraints à composer avec la réalité. Mais il est impératif d’œuvrer pour que les choses évoluent vers la cohérence, et que l’incohérence ne soit plus considérée comme la norme, et encore moins comme une fatalité. Toutes les occasions de nous mettre en cohérence sont à saisir. Il ne faut surtout pas minimiser l’importance et la puissance des petites résolutions qui, loin d’être anodines, contribuent à construire le monde auquel nous sommes de plus en plus nombreux à aspirer”. (Pierre Rabhi)
Gandhi préconisait de « vivre simplement pour que simplement d’autres puissent vivre« . Pour vous guider sur le chemin de la sobriété heureuse, n’hésitez pas à parcourir notre dossier sur les gestes éco-citoyens !
- Rabhi est décédé le 4 décembre 2021, à l’âge de 83 ans, des suites d’une hémorragie cérébrale. Les hommages sont très contrastés à cause de ses prises de positions considérées comme homophobes et misogynes, ses liens supposés avec l’anthroposophie et l’utilisation de centaines de stagiaires et bénévoles à la ferme expérimentale du mas de Beaulieu (Lablachère, Ardèche) de l’association « Terre et Humanisme »