Un pouvoir qui s’en prend aux médias est un pouvoir faible

Ce qui se passe au Sénégal depuis quelques semaines nous offre des relents nauséabonds attentatoires à la liberté de la presse. Et ce n’est jamais un grand signe de vitalité démocratique lorsqu’un pouvoir commence à embastiller les journalistes comme il vient de le faire avec notre confrère Adama Gaye.

Cette chasse aux sorcières est indigne car elle témoigne de la volonté du président Macky Sall de confisquer tous les pouvoirs en muselant ceux qui s’opposent à sa politique. Pour qu’une démocratie vivre, respire et se fortifie faut-il encore que face au pouvoir en place des contre-pouvoirs (opposition politique, syndicats, associations, presse, etc.) puissent s’exprimer librement et dénoncer les abus, les manquements, les scandales, la corruption qui gangrènent une société. Et ce droit à l’existence est constitutionnel. Aucun démocrate digne de ce nom ne doit être tenté le remettre en cause. A défaut de glisser dangereusement vers un régime totalitaire.

L’enfermement n’est jamais une bonne réponse

Or l’interpellation voici quelques jours d’Adama Gaye, connu pour son esprit « provocateur » et sa plume acerbe, suivie de son incarcération à la prison de Rebeuss à la suite d’un pamphlet virulent à l’encontre du chef de l’Etat montre la fébrilité de ce dernier. L’enfermement n’est jamais une bonne réponse et on ne citera jamais assez Voltaire, que l’on présente comme le pape de la tolérance, lorsqu’il disait : « Même si je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites je me battrai pour que vous puissiez le dire ». Puisse cette phrase, véritable ode à la liberté, inspirer Macky Sall et le décourager à recourir arbitrairement à des mesures coercitives aussi injustes qu’inutiles.

Adama Gaye, prisonnier politique

En tant que chef de l’Etat il est en effet garant du pluralisme politique et de liberté d’expression. A ce titre il a donc le devoir de protéger les journalistes, y compris ceux avec lesquels il est en désaccord. Recourir comme l’a fait Macky Sall à l’article 139 du code pénal et obtenir la mise en détention de Adama Gaye  au titre d’une « offense au président de la République » est une violation grave de l’esprit de la loi, à défaut de la lettre. Il n’y a en effet que dans les dictatures où le délit « d’offense » est appliqué et en agissant ainsi Macky Sall fait de Adama Gaye un prisonnier d’opinion, un détenu politique. C’est là une très mauvaise image du Sénégal qu’il envoie à la communauté internationale.

Une manœuvre de diversion

En réalité il faut surtout y voir là une tentative de diversion à un moment où de forts soupçons de corruption pèsent sur son frère Aliou Sall, obligé fin juin de démissionner de son poste de président de la Caisse des dépôts et consignations sénégalaises après avoir été épinglé par la BBC, télévision britannique,  sur les conditions d’attribution de marchés publics pours la prospection et l’exploitation  de champs pétroliers off-shore à Pétro-Tim. Autant dire que Macky Sall inaugure de la plus mauvaise des façons son nouveau mandat à la tête de l’Etat Sénégalais.

Jean-Yves Duval, Directeur d’Ichrono