“Pourquoi voulez-vous que ça s’arrête ?”: l’inquiétante violence des mineurs clandestins, passés de “victimes” à “bourreaux” Par Quentin Hoster

Les mineurs isolés sont ces enfants qui ont moins de 18 ans qui entrent illégalement sur le territoire français. Un parcours du combattant risqué et des bombes en puissance : la rue, la délinquance et les divers soucis pour vivoter et l’exploitation  humaine par des pervers.

Pape B CISSOKO

Gisti » Lorsqu’ils ou elles arrivent à pénétrer sur le territoire français, les mineur·es isolé·e·s n’y sont pas toujours accueilli·es à bras ouverts. Accusé·es de mentir sur leur âge, sur leur situation familiale, sur la réalité des risques qu’ils ou elles encourent, certain·e·s sont purement et simplement renvoyé·e·s à leur errance, ce qui constitue le plus sûr moyen de les livrer aux réseaux d’exploitation de toutes sortes. Les bénéficiaires d’une protection pendant leur minorité ne sont pas pour autant assuré·e·s de pouvoir demeurer en France à leur majorité. C’est donc contre les préfectures qu’il faut ensuite batailler pour espérer qu’aux mesures de protection ne succèdent pas des mesures d’éloignement.

Chapô
Ils seraient 41 000 sur le territoire français : les “mineurs non accompagnés”, dont la prise en charge coûte 2 milliards d’euros par an aux collectivités, sombrent souvent dans la délinquance, complices de l’ensauvagement de la société. Pierre Vermeren, historien des sociétés arabo-berbères contemporaines, autopsie une bombe à retardement.

Entretien.
Valeurs actuelles. Les violences commises ces dernières semaines, notamment à Bordeaux, sont souvent le fait de jeunes clandestins, pudiquement appelés « MNA » (mineurs non accompagnés). Est-ce un problème aussi chez nos voisins européens ?

Pierre Vermeren. C’est un problème dans toute l’Europe occidentale, depuis la crise migratoire de 2015. Après leur accord avec l’Allemagne pour mettre fin au flot migratoire de 2015-2016, qui a vu deux millions d’immigrants entrer en Europe, les Turcs ont repris le contrôle de leurs frontières en échange de milliards de dollars.

Cela a incité les Etats du Maghreb à faire de même. Des canots ou des barques partent du Maroc pour rallier l’Espagne, mais aussi d’Algérie et, dans une moindre mesure, de Tunisie, mais surtout de Libye. La majorité de ces migrants mineurs viennent d’Afrique de l’Ouest, mais le nombre de Marocains et d’Algériens s’accroît depuis 2017. La crise sociale pousse les Etats du Maghreb à fermer les yeux.

Ces mineurs isolés viennent pour la plupart du Maghreb, du Maroc en particulier ?

Le Maroc est connu, depuis des années, pour avoir des dizaines de milliers d’enfants des rues, abandonnés, qui vivent en marge de la société. Les filles sont souvent prises en institutions ou adoptées par des familles. Mais les garçons se retrouvent seuls et tombent dans des bandes. Cette population n’est prise en charge ni par l’Etat, ni par des associations. Comme en Europe au XIXe siècle, au Maghreb, l’avortement est interdit, ce qui entraîne des abandons.
A partir du moment où des mineurs mettent pied en Europe, les instances et lois obligent à les garder : ils deviennent des MNA en jargon administratif.
Les enfants des rues, c’est le problème, très ancien, dans toutes les grandes villes africaines : d’Alger, de Casablanca, de Tanger, de Dakar… Cela existait déjà à l’époque du protectorat français. Dans « Le pain nu », roman de Mohammed Choukri, publié en 1973, l’auteur raconte son enfance, comment ces gamins vivaient de rapine, de trafic et de consommation de drogues, de services sexuels…

La nouveauté depuis 2016-2017, c’est que plusieurs dizaines de milliers d’entre eux sont arrivés en Europe. Les raisons sont diverses : la crise sociale au Maghreb, le soulèvement du Rif au Maroc (consécutif à la mort d’un pêcheur, en octobre 2016, ndlr), la succession de Bouteflika et la crise politique en Algérie, l’exemple donné par les migrations turques et libyennes, les lois européennes interdisant d’expulser des mineurs…

A partir du moment où des mineurs mettent pied en Europe, les instances et lois obligent à les garder : ils deviennent des MNA en jargon administratif. Comme ils brûlent leurs papiers d’identité, on ne sait pas quel âge ils ont.

Certains « mineurs » auraient pratiquement trente ans…
Dans votre livre « Le Maroc en 100 questions » (éditions Tallandier), vous expliquez comment le Maroc a passé un « deal » avec l’Union européenne, il y a deux ans, afin de réguler le flux migratoire entre les deux continents.

Effectivement, l’UE a fini par se rendre compte qu’elle avait des milliers de jeunes Marocains chez elle, et qu’il faudrait donc que le Maroc, qui a suivi le modèle de la Turquie, reprenne sa frontière en mains. L’Allemagne a calmé le jeu en donnant beaucoup d’argent aux Turcs, les Italiens aussi, en signant un chèque aux autorités de Tripoli.

Quant aux Marocains, ils ont donc reçu environ 200 millions d’euros pour contrôler leur frontière. Désormais, ils contrôlent davantage les subsahariens, mais on constate que les flux de mineurs Marocains voire Algériens se poursuivent, crises sociales obligent. Nous pourrions n’être qu’au début de cette histoire, compte tenu de la situation sociale, avec la Covid-19, qui est catastrophique au Maghreb. L’effondrement des sources de financement y est très problématique. On va en entendre parler dans les années qui viennent.

Où s’installent-ils, le plus souvent, en France et en Europe ?

En France, ils arrivaient d’abord à Paris : c’est un problème très ancien dans le quartier de Barbès depuis 4 ou 5 ans. Les autorités policières en auraient ensuite dirigé beaucoup vers la Bretagne, sur Rennes, Nantes… Mais ce sont des gens très mobiles, qui voyagent sans papiers, tous seuls, dans les trains, les camions… Il y a eu des « spot » dans les villes du nord, jusqu’en Suède ou aux Pays-Bas, qui ont instauré des contrôles plus stricts, entraînant des contentieux avec le Maroc. En Espagne, où les MNA sont renvoyés avant installation, et en Italie, l’immigration est