Lettres à un jeune romancier sénégalais-Alain Mabanckou

L’écrivain aux trois continents, africain, européen et américain, assemble le puzzle de son identité.

PRÉSENTATION DÉTAILLÉE

« Nous sommes dans l’ère de la mutation, cher Alioune, et ce sont les rencontres, comme la nôtre, qui définissent de plus en plus nos rapports. Les nationalités ne veulent plus rien dire. Tu es Sénégalais, je suis Congolais. Et alors ? Notre fraternité est liée à la complicité que nous éprouvons en nous lisant les uns les autres. »

Après Rainer Maria Rilke et ses Lettres à un jeune poèteMario Vargas Llosa et ses Lettres à un jeune romancier, Alain Mabanckou répond aux questions posées par Alioune, jeune Sénégalais de 18 ans apprenti romancier. L’enfance grande ouverte sur les mots, l’épiphanie de la vocation, les joies de la création, mais aussi les tourments de la solitude et de l’angoisse…
Alain Mabanckou se raconte avec la sagesse et l’humanité qui caractérisent toute son œuvre.

Né en 1966, au Congo, Alain Mabanckou est l’auteur d’une dizaine de romans dont Verre Cassé (2005) et Mémoires de Porc-épic (prix Renaudot 2006). Son œuvre est traduite dans une vingtaine de langues. Il enseigne la littérature francophone à l’Université de Californie-Los Angeles (UCLA).

Ce titre fait partie de la collection SECRETS D’ÉCRITURE, consacrée à l’art d’écrire
L’ambition est de rassembler dans une collection référente les plus grands auteurs et autrices de la littérature contemporaine francophone et de dévoiler la fabrique de la création littéraire dans toute sa richesse. Récit intime retraçant le parcours de l’auteur, depuis la naissance de l’écriture jusqu’au succès, chaque livre, signé des plus grandes plumes d’aujourd’hui, est écrit et se lit comme un roman – preuve que l’aventure de l’écriture est aussi captivante que la fiction !

Si chaque récit raconte la page blanche, les doutes et le travail exigeant, il témoigne avant tout du plaisir à devenir et à être écrivain. On trouvera au fil des chapitres des illustrations, des passages en écriture manuscrite, des brouillons, des croquis représentant l’auteur au travail : ces documents personnels, souvent inédits, donnent à chaque ouvrage l’allure et la vitalité d’un carnet de création. « Secrets d’écriture », c’est la promesse d’un voyage littéraire, une plongée au cœur du mystère de la création littéraire et des trésors de conseils au lecteur.

Dans https://blogs.mediapart.fr/amadouba19gmailcom/

« Alain MABANCKOU : «Lettres à un jeune romancier sénégalais», ou l’art d’écrire» par Amadou Bal BA –

 Le professeur Alain MABANCKOU, après son triomphe au Collège de France est invité par les éditions Zulma, chez Laure LEROY, à Paris, à la Goutte d’Or, à un lundi littéraire du 4 septembre 2023, à 19 heures, autour de son nouveau livre sur l’art d’écrire : «Lettres à un jeune romancier sénégalais». A la session du 24 avril 2023 (voir mon article Médiapart, 19 avril 2023), le professeur Felwine SARR avait fait salle comble. Aussi, je vous recommande de réserver votre place à l’avance.

«Jusqu’à six ans, âge où j’allais enfin entrer à l’école, je n’avais pas touché, ouvert, encore moins humé les pages d’un livre. J’étais persuadé qu’il n’en existait qu’un seul au monde, et c’était celui-là qui alimentait ma curiosité lorsque je l’apercevais entre les mains du père Joseph, à l’église de Saint Jean-Bosco de Pointe-Noire : la Bible» écrit Alain MABANCKOU. Ce roman avec une dimension autobiographique, écrit en forme d’échanges épistolaires, le professeur MABANCKOU s’adresse à la jeunesse, incarnée par le personnage d’Alioune, Sénégalais de 18 ans désireux de connaître les ressorts cachés de l’art du roman, traite de thèmes riches, avec grâce, humour et la force de caractère comme la nostalgie de l’enfance, la passion de la lecture, l’amour maternel, le plaisir de conter et de raconter. «Nous sommes dans l’ère de la mutation, cher Alioune, et ce sont les rencontres, comme la nôtre, qui définissent de plus en plus nos rapports. Les nationalités ne veulent plus rien dire.

Tu es Sénégalais, je suis Congolais. Et alors ? Notre fraternité est liée à la complicité que nous éprouvons en nous lisant les uns les autres» dit l’auteur à ce jeune sénégalais.

Comment donc dévoiler la fabrique de la création littéraire, l’art d’écrire ou tout simplement l’ambition et le talent littéraires ?

De nombreux ouvrages, parfois très anciens, sont consacrés à l’art d’écrire. «Bien écrire, c’est penser ou sentir quelque chose qui vaille la peine d’être dit, et le dire précisément comme on le pense ou comme on le sent. Les conseils qu’on peut donner pour atteindre ce but sont les mêmes pour tous ; car, à moins d’être des procédés et des artifices de rhéteur, ils font connaître la méthode et les moyens qui aident tous les esprits à se développer librement, selon la diversité naturelle de leurs aptitudes et de leurs puissances» écrit Gustave LANSON. Désormais, il y a de nombreux ateliers d’écriture, une activité devenue très lucrative.  Les cours de littérature, comme les bons romans, n’enseignent techniquement ou pratiquement pas l’art d’écrire ; ils font seulement admirer l’édifice de la littérature.

Cependant, les procédés de style ou l’art de la composition peuvent aider à révéler et mieux exposer son talent littéraire. Chacun peut donc écrire en fonction de ses facultés personnelles, pour exprimer ce que l’on ressent ou ses correspondances personnelles, et non forcément pour être publié.

Ainsi, dans le domaine professionnel, ou intime, on est souvent amené à écrire une lettre «Il est nécessaire de bien faire attention à la personne qui doit la recevoir, pour dire ce qui lui convient ; on ne parle pas à un vieillard comme on parle à un enfant, à un supérieur comme à un serviteur. Il faut travailler les lettres avec soin ; les lire et les relire avant de les envoyer ; retrancher et corriger ce qui pourrait choquer l’oreille ou donner une mauvaise idée de sa personne ou de son instruction. Il faut toujours parler dans ses lettres comme on parlerait si l’on était en présence de la personne qui doit les lire» dit Philippe Hubert de VILLIERS. Ami de Tacite et de Suétone, auxquels sont adressées certaines lettres de cette sélection, PLINE LE JEUNE (61-113) prodigue, dans son «Art d’écrire», de précieux conseils sur le style, l’écriture, la critique, la lecture, et brosse un tableau saisissant de la plus célèbre éruption du Vésuve.

Pour PLINE LE JEUNE, récrire, imiter, passer du latin au grec et du grec au latin stimule l’esprit, aiguise la plume, favorise une saine émulation permettant de progresser, d’améliorer sa langue comme le texte sur lequel on travaille. L’écriture d’un discours, par exemple, comprend plusieurs étapes bien définies, exigeant un savoir-faire particulier. Il faut d’abord trouver les idées, bien agencer les arguments puis y ajouter les figures de style. Il faudrait en perfectionniste, apprendre à lire et  relire ses textes.

Dans un contexte de répression ou de dictature, Léo STRAUSS invite à écrire entre les lignes : «Un homme dont la pensée est indépendante peut exprimer publiquement ses opinions sans dommage, pourvu qu’il agisse avec prudence. Il peut même les faire imprimer sans courir aucun danger, pourvu qu’il soit capable d’écrire entre les lignes» écrit-il.

Les grands classiques de l’art d’écrire, sous une forme épistolaire sont notamment la correspondance entre Rainer Maria RILKE (1875-1926) et Franz Xaver KAPPUS (1883-1966), voir mon article, Médiapart, «La vie m’avait poussé sur des voies dont précisément aurait voulu m’écarter l’intérêt chaleureux, tendre et touchant du poète.

Mais là n’est pas l’important. L’important, ce sont les dix lettres que voici. Elles valent pour la connaissance de cet univers, dans lequel Rainer Maria Rilke a vécu et créé ; elles valent pour ceux qui grandissent et se forment maintenant, pour ceux qui se formeront demain. Mais quand un prince va parler, on doit faire silence» écrit Franz Xaver KAPPUS, dans la préface de «Lettres à un jeune poète». Rainer Maria RILKE avait trouvé que les poèmes de son élève n’avaient aucune consistance, mais la consistance, mais la vocation littéraire, pour être féconde et originale, doit se manifester par un besoin vital chez l’auteur «Personne ne peut vous apporter conseil ou aide, personne.

Il n’est qu’un seul chemin. Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s’il pousse ses racines au plus profond de votre cœur. Confessez-vous à vous-même : mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ? Ceci surtout : demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : «Suis-je vraiment contraint d’écrire ?» Creusez en vous-même vers la plus profonde réponse. Si cette réponse est affirmative, si vous pouvez faire front à une aussi grave question par un fort et simple : «Je dois», alors construisez votre vie selon cette nécessité» écrit RILKE le 17 février 1903 à KAPPUS. La poésie exige donc que l’artiste sache transcender la réalité et de l’amener au rang d’œuvre d’art. «Essayez de dire, comme si vous étiez le premier homme, ce que vous voyez, ce que vous vivez, aimez, perdez. Fuyez les grands sujets pour ceux que votre quotidien vous offre. Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l’accusez pas.

 Accusez vous-même de ne pas être assez poète pour appeler à vous ses richesses. Pour le créateur rien n’est pauvre, il n’est pas lieux pauvres, indifférents» écrit-il. RILKE compare la vie d’artiste aux ébats amoureux : «Au vrai, la vie créatrice est si près de la vie sexuelle, de ses souffrances, de ses voluptés, qu’il ne faut y voir que deux formes d’un seul et même besoin, d’une seule et même jouissance. En une seule pensée créatrice revivent mille nuits d’amour oubliées qui en font la grandeur et le sublime» écrit-il.  RILKE rappelle qu’il y a une grande solitude dans l’art. «Seule est nécessaire la solitude : une grande solitude intérieure.

Rentrer en soi-même et, des heures durant, ne rencontrer personne, voilà ce à quoi on doit pouvoir parvenir. Être solitaire comme, enfant, on a été solitaire quand les adultes allaient et venaient, pris dans l’entrelacs de choses qui leur paraissaient importantes et sérieuses parce que les grandes personnes avaient l’air si affairées et qu’on ne comprenait rien à leurs affaires» dit-il. Seul l’amour permet de comprendre l’œuvre. À la fois créateur et premier lecteur, le poète doit donc être le premier à aimer son œuvre. «Et plus inexprimables que tout est les œuvres d’art» écrit-il.

Comme le signale dans l’incipit, le professeur Alain MABANCKOU, un goût immodéré, de la lecture peut mener à l’écriture, mais c’est «un véritable métier» comme le souligne Stephen KING et ses ficelles, sa boîte à outils. «Tout éditeur est à la recherche d’un absolu, du manuscrit dans lequel se repère immédiatement le génie. C’est-à-dire ce style particulier, cette évidence de point de vue, les sons et les couleurs du monde en soi, cette souveraineté-là. Ecrire est le rêve de nombreux lecteurs et si les livres sur le sujet sont légion, peu d’entre eux nous font découvrir le travail de l’éditeur et son rôle majeur dans l’accompagnement de l’auteur» dit Claire DELANNOY.

En effet, Hermann HESSE (Voir mon article, Médiapart, 8 avril 2021) répond à la sensation d’avoir une mission, exprimée par son interlocuteur, qui est déprimé et mélancolique «Merci pour ton message de Nouvel An. Il est triste et déprimé et je ne comprends cela que trop bien. Cependant, il y a aussi cette phrase où tu te dis hanté par l’idée qu’un sens et une mission ont été assignés à ta personne et à ta vie et tu souffres de n’avoir pas révélé ce sens ni rempli cette tâche. Voilà qui est encourageant malgré tout, car c’est littéralement vrai et je te prie de te rappeler et de méditer de temps en temps les quelques remarques que je vais faire à ce sujet» écrit Hermann HESSE dans sa première lettre.

Chacun se doit de devenir lui-même, en résistant à la tentation des modèles idéaux. «Partout et toujours, le seul devoir moral pour l’individu est d’obéir aux forces extérieures qui l’habitent. La mise au pas des individus, même avec les meilleures intentions du monde, va à l’encontre de la nature et ne conduit pas à la paix et à la sérénité, mais au fanatisme et à la guerre», écrit Hermann HESSE le 5 janvier 1949 à un jeune artiste.

Virginia WOOLF (Voir mon article, Médiapart, 28 décembre 2021), dans sa «Lettre à un jeune poète», méditant la question à l’adresse du jeune John LEHMANN évoque plus qu’une simple forme littéraire. La question qui la hante est plus profonde :  Que nous faudra-t-il inventer, pour dire nos enthousiasmes, notre amour ou notre élan vers la beauté ? «J’ouvrirai une école de vie intérieure, et j’écrirai sur la porte : école d’art. La vie intérieure est le discernement des esprits extérieurs, les discussions de la Raison avec ceux-ci.

Les anges sont inégalement qualifiables, or que dire des démons ? Mais la voix de Dieu n’est pas celle de la Poésie. Les génies ne sont pas Dieu bien qu’ils aient été créés par Lui. Apprenez donc à discerner ces voix inspiratrices et faites qu’en vous Dieu les domine» écrit Max JACOB. On peut être tétanisé par l’acte d’écrire «Pour ce qui est de la peur en littérature ou quand je crée, j’en distingue deux sortes. Il y a la peur d’écrire, c’est-à-dire d’écrire mal, de ne pas trouver mon sujet, de ne pas trouver mes personnages.

 Je ressens donc une forme de peur au moment de m’asseoir à mon bureau, mais je n’ai pas du tout peur de ce que j’écris. Je n’ai pas du tout peur en matière de fond ; c’est au contraire un espace de liberté, un espace d’affranchissement qui est absolument immense. Et lorsque je me mets à ma table de travail, je ne suis plus vraiment moi», dit Leila SLIMANI. En réalité, dans le domaine de l’écriture, il faudrait apprendre, sans filet, à se jeter à l’eau. «De l’audace devant la page blanche !

Écris au-delà du désespoir. Chante. Chasse tes visions dans le noir. Partage ta rage. Résiste. Dénonce. De la vigueur, du cœur, de la persévérance ! Donne du poids à l’imaginaire. Commence par douter. Va où personne n’est allé. Compose une langue unique. Sublime l’ordinaire. Pas de panique. Révèle une vérité inconnue. Divertis également. Soulage la soif de sérieux et de joie. On peut te retirer bien des choses – même la vie –, mais pas les récits que tu en fais. Pour toi, jeune auteur, ce mot donc, non dénué d’amour et de respect : écris !» écrit Colum McCANN.

 Indications bibliographiques

MABANCKOU (Alain), Lettres à un jeune romancier sénégalais, Paris, Le Robert, 2023, 176 pages ;