“La Fabuleuse Histoire de l’invention de l’écriture”, de Silvia Ferrara

« Traducteur : Jacques Delarun

 » Ce livre n’est pas un livre sur le grec ancien, ni sur l’alphabet. C’est un récit, qui parle d’une invention, la plus grande du monde  » Silvia Ferrara. Pourquoi l’homme s’est-il mis à écrire ? Comment et où cette révolution a-t-elle eu lieu ? Voilà les mystères sur lesquels Silvia Ferrara lève le voile. Pour cela, elle nous fait voyager dans le temps et l’espace comme dans les méandres de l’esprit humain. Ici, elle dresse le fascinant inventaire des graphies non encore élucidées ; là, elle retrace les multiples apparitions de l’écriture dans l’histoire. Car tout laisse penser qu’elle a été découverte et s’est effacée, sans laisser de traces, à plusieurs reprises. Sa naissance en Mésopotamie au quatrième millénaire avant notre ère n’aurait été qu’une occurrence parmi tant d’autres. Pris par un récit vertigineux, qui nous transporte du Mexique aux pourtours de la mer Égée, de la Chine aux Îles de Pâques, nous suivons pas à pas les progrès d’une recherche qui a considérablement progressé dans les dernières décennies. Enrichie d’illustrations, cette Fabuleuse Histoire… nous instruit autant qu’elle nous fait rêver ».

L’écriture ? « Nous aurions pu nous en passer », affirme, provocatrice, la philologue italienne Silvia FerraraSi elle n’est dictée ni par la nécessité, ni par l’évolution, l’écriture a toutefois changé la face du monde, et épouse une tendance humaine puissante : celle de symboliser, de raconter, de communiquer. Une tendance qui fait d’abord place à l’imagination et à l’invention, et qui explique que l’écriture ne soit pas née qu’une seule fois, mais plusieurs.

Ainsi dans son essai La Fabuleuse Histoire de l’invention de l’écriture (Seuil, 2021, 316 p., 22 €), Silvia Ferrara ne retrace pas « l’ » invention de l’écriture comme une histoire linéaire avec une fin toute tracée. Elle s’attache plutôt à toutes ces occasions où une écriture fut inventée, à différents endroits de la planète, à différents moment de l’histoire – quitte, bien souvent, à disparaitre.

À l’origine : une étincelle

L’écriture n’a pas été inventée de toutes pièces. Il y a bien sûr des exemples d’inventeurs solitaires, qui ont développé des codes d’écriture avec plus ou moins de succès. Parmi les succès, comptons Sequoyah, qui créa l’écriture cherokee, au XIXe siècle, permettant ainsi à son peuple de mettre à l’écrit sa culture et d’accéder à l’alphabétisation. En dehors de ces cas particuliers, les écritures inventées sont le fruit d’une lente maturation, d’un processus qui se déploie sur le temps long, d’une négociation entre des symboles. Surtout, elles naissent de « l’étincelle » : ce moment magique où l’image se met à faire du son. Cette étincelle est le fruit de l’expérimentation, de l’ingéniosité et de la plasticité de l’esprit humain qui, très vite, comprend le principe du rébus, par exemple. Elle naît d’un jeu, cognitif et social, qui articule désir de communication et excitation de l’encodage. Mais le destin d’une écriture ne précède pas son invention, et l’écriture ne dépend pas d’un projet, comme celui de renforcer la puissance d’une culture pour en véhiculer les récits ou en administrer les sujets avec efficacité. Cette ingéniosité se met plutôt à l’oeuvre, à chaque endroit, pour des raisons différentes, parfois esthétiques, parfois spirituelles, parfois logistiques.

Une histoire plurielle

De la même manière que l’invention d’une écriture est un jeu, son déchiffrement des millénaires plus tard en est un également. Un jeu qui permet de comprendre pourquoi et comment une écriture naît et meurt, de reconstituer un puzzle anthropologique et historique. Nous connaissons actuellement quatre foyers autonomes d’apparition de l’écriture : l’Égypte antique, la Mésopotamie, la Méso-Amérique et la Chine. Ces écritures ont connu des destins bien différents. Le chinois n’a pratiquement pas évolué depuis ses premières apparitions, le maya a disparu, l’écriture cunéiforme s’est transformée plusieurs fois pour donner lieu aux alphabets. Ces déchiffrements, aujourd’hui, nous permettent ainsi de retracer les itinéraires d’une écriture, d’identifier des routes migratoires et de saisir avec plus de finesse ce qui se joue au sein d’espaces d’influences culturelles.

La magie du déchiffrement

Des foyers d’invention autonome, il y en aurait sûrement d’autres, et certaines écritures encore indéchiffrées renferment ces mystères. Ferrara revient sur quatre d’entre elles, toutes nées sur une île – signe de la tendance de l’île à se présenter comme un laboratoire de création et à vouloir affirmer son identité singulière. Trois sont européennes, la dernière est née sur l’île de Pâques – et elle pourrait bien se présenter comme un nouveau foyer d’invention de l’écriture par un peuple conquérant. Ces histoires d’écritures insulaires sont malheureuses, et leur influence s’arrête à leurs ports. Toutefois, chaque nouvelle écriture déchiffrée ouvre une nouvelle possibilité : celle d’identifier un schéma matriciel dans l’invention de l’écriture. Comment le mot devient-il symbole, puis le symbole un son ? Comment s’additionnent ces symboles les uns aux autres pour formuler une idée ? Comment s’opère le saut du figuratif à l’abstraction ? Voici la quête toujours renouvelée du déchiffrement des écritures, dans laquelle tout part de l’iconicité, de la représentation figurée d’une idée.

À l’encontre de ceux qui veulent figer les écritures dans des généalogies nettes et un progrès tout tracé, Ferrara invite à voir dans l’écriture, avec cet ouvrage prenant, un espace de création et d’expérimentation : « Il semble que l’art soit le tremplin pour l’invention de l’écriture », leur répond-elle.

 

La Fabuleuse Histoire de l’invention de l’écriture, de Silvia Ferrara, vient de paraître au Seuil (traduction de l’italien de Jacques Dalarun). Le livre est disponible sur le site de l’éditeur ainsi que chez votre libraire.