Le voile est un miroir tendu à la société française

Depuis plusieurs jours, le port du foulard islamique fait de nouveau débat en France et à pris une tournure plus polémique que jamais à partir de l’attitude de Julien Oudoul un élu du Rassemblement national au Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, exigeant le départ d’une femme voilée qui accompagnait une délégation d’élèves.

Et comme toujours on a eu recours ici et là au procédé de l’amalgame, la vraie question étant le respect de la laïcité voulue par la loi de 1905 avec pour commencer ce chiffre la France est le pays d’Europe qui compte le plus grand nombre de citoyens musulmans, mais aussi le plus grand nombre de juifs et le plus grand nombre de réfugiés d’origine asiatique. La France n’est donc pas aussi raciste qu’on veut bien le dire. Mais c’est dire l’importance que joue la religion dans la sphère publique et c’est justement pour cela que dans le respect de toutes les croyances l’Etat considère que la religion demeure une affaire privée.

Notre pays a combattu en son temps et violemment l’intégrisme catholique et ce n’est pas aujourd’hui pour accepter une « bigoterie » musulmane au prétexte comme l’indique Natacha Polony « que les musulmans seraient désormais les nouveaux damnés de la terre ». Du moins présentés comme tels.

Que des femmes veuillent cacher leur corps par « pudeur » n’obéit à aucune exigence du Coran. Cela voudrait dire que celles qui ne le font pas sont impudiques et c’est vrai qu’un certain islam radical refuse les lois de la République et les moeurs de la société française. Pour celui-ci elle est corrompue et il faut s’en prémunir. Les athées, et pas seulement eux, peuvent considérer de leur côté que le voile est l’un des éléments d’un système oppressif à l’égard des femmes qui voudrait les maintenir en cage.

Résultat, selon un sondage IFOF réalisé pour Le Journal du Dimanche de ce week-end, 73% des français sont pour l’interdiction du port de signes religieux ostensibles aux parents d’élèves accompagnant bénévolement les enfants lors d’une sortie scolaire, ce qui est une forme de soutien à l’intervention du conseiller  égional RN. On peut donc s’attendre prochainement à ce qu’une loi annule les textes mis en place par Najat Vallaud-Belakacem, ministre socialiste revenant sur la circulaire Chatel de 2012 qui interdisait « les signes religieux pour les mère accompagnant les sorties scolaires ». Par ailleurs 61% des français considèrent que l’Islam est « incompatible avec les valeurs de la société française ».

Voilà où conduisent les provocations inutiles de quelques uns, sans doute proches des « Frères musulmans ». A créer un rejet de l’autre, une haine contre les musulmans, y compris ceux qui rejettent le ritualisme de l’embrigadement. Il y a déjà assez de ces salafistes qui refusent de serrer les mains des femmes, de ces radicalisés qui se réjouissent de l’attentat contre Charlie Hebdo, de ces listes communautaristes qu’on nous prépare pour les municipales de mars 2020 et qui mettent en place une forme de séparatisme de la société français, oubliant que la « République est une, indivisible et laïque », pour en rajouter davantage.

Les Français dans leur immense majorité ne rejettent pas l’islam, ils rejettent l’islamisme qui est une lecture conservatrice du Coran et de l’islam qui vise à faire de cette religion un principe d’ordonnance et d’explications du monde dans toutes ses dimensions. Et le djihadisme est son expression, sa branche la plus violente L’islamisme en réalité est une idéologie, or aujourd’hui son discours domine dans les réseaux sociaux à en croire Hakim El Karaoui essayiste et auteur d’une étude « La fabrique de l’islamisme » et son objectif est de prendre le pouvoir sur les musulmans. 50% des jeunes musulmans seraient aujourd’hui d’ores et déjà attirés par une version autoritaire de l’islam ce qui est inquiétant et si 35% des musulmanes arborent le voile elles sont 70% à y être favorable.

Comme d’autres je me méfie terriblement des mots qui se terminent en « isme » (ils sont nombreux): Léninisme, stalinisme, pol-potisme, maoïsme, fascisme, etc.  ce que résume à sa façon Franz-Olivier Giesbert : « Communisme, islamisme, antisémitisme : toujours fécond, le ventre de la bête« . Il citait une réplique demeurée célèbre d’une pièce de Bertold Brecht.

Du coup les musulmans modérés sont sous la surveillance des islamistes d’un côté et des xénophobes de l’autre ce qui rend leur situation très délicate et inconfortable surtout lors qu’un attentat survient dans notre pays comme cela a été le cas à récemment au sein de la Préfecture de Paris.

La seule solution pour sortir de cette impasse ne pourra venir que des musulmans eux-mêmes. En s’organisant, en finançant leur culte sans recourir à des pays étrangers, en renonçant aux prières de rues (82% des Français y sont hostiles), en formant mieux les imams avec une approche historique et critique de l’islam, en luttant contre les discours salafistes aussi bien dans les mosquées que sur les réseaux sociaux. L’Etat de son côté devra repenser l’organisation de la cité et cette concentration d’immigrés dans certains quartiers qui favorise le prosélytisme en faveur des thèses radicales : » Voyez comme les français vous rejettent, avec nous soyez fiers d’être musulmans !«  Les autorités devront de la même façon expulser sans ménagement des imans qui prêchent la violence et fermer des mosquées qui diffusent des références idéologiques du djihadisme. Il leur faudra aussi surveiller plus étroitement les réseaux sociaux où se véhiculent les mots d’ordre et les appels à la haine ainsi que les prisons devenus de véritables foyers de recrutement de détenus radicalisés. Sans complaisance.

Comme on le voit la tâche est immense mais indispensable car à l’évidence l’espèce humaine est une machine à refaire les mêmes erreurs, les mêmes bêtises, voire les mêmes horreurs et il existe un risque réel que les xénophobes d’ultra-droite entretiennent l’idée du « grand remplacement » et développent dans ce pays la haine des musulmans. Ce qui serait la pire des situations et les prémices à toutes les aventures.

Jean-Yves Duval, Directeur d’Ichrono, ancien auditeur au Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques