Le Covid-19 a-t-il vraiment modifié nos rapports à nos voisins?

«La covid19 a changé les rapports humains et il faut beaucoup de finesse d’esprit pour mieux cerner ces mutations discrètes qui ne disent pas leurs noms. La prudence et la méfiance est partout Le soupçon, etc. Par exemple en France certains collègues rencontrés vont se soucier de votre santé pour savoir s’ils sont contact ou pas, ce n’est pas par générosité mais par prudence-as-tu fait le test alors alors, c’est négatif ah c’est cool» . P B CISSOKO

Si les personnes âgées ont reçu plus de services pendant le confinement, le volume d’échanges entre voisins n’a pas augmenté depuis 1980, selon une étude démographique.

Par Annabel Benhaiem

Le voisinage n’a pas changé depuis 1983, il est toujours inégalitaire.

COVID-19 – Vous aussi, vous y avez cru à ce regain de solidarité pendant le premier confinement? Deux chercheurs démontrent à travers une étude de grande ampleur publiée par l’Ined (l’Institut national d’études démographiques) que les confinements n’ont pas eu l’effet magique de faire réapparaître les relations de voisinage que l’on croyait disparues.

Tout simplement parce que ces relations n’ont jamais disparu. Voilà la thèse défendue par Jean-Yves Authier, de l’université Lyon 2 et Joanie Cayouette-Remblière à l’Ined, dans l’enquête “Mon quartier, mes voisins, 2018”.

L’époque ne serait plus au voisinage?

Les chercheurs sont partis de deux points de vue sur nos capacités à “voisiner”, c’est-à-dire, à discuter, à se rendre service, voire à rentrer en conflit. Il y aurait d’abord le point de vue selon lequel l’époque ne serait plus au voisinage, puisque la mobilité sociale et l’accès aux nouvelles technologies nous empêcheraient de lier avec nos voisins, explique Jean-Yves Authier au HuffPost. Comme si le local n’avait plus d’intérêt face à la fascination qu’on a de pouvoir parler à des gens du bout du monde.

L’autre point de vue, c’est tout l’inverse: l’époque serait propice au “trop de voisinage”, c’est-à-dire à notre volonté de ne plus fréquenter que des gens de nos origines, cause de ce que l’on nomme le communautarisme.

L’époque propice au communautarisme?

Et ce serait cette idée qui aurait conduit l’ex-Premier ministre Manuel Valls, à parler d’“apartheid social” dans notre pays quelques jours après les attentats de janvier 2015, d’après l’entretien donné par la chercheuse au HuffPost.

Mais pour elle, comme pour son comparse, ces deux points de vue sont faux. Le voisinage a toujours existé, il n’a même pas changé de modèle depuis l’enquête “Contacts” de François Héran publiée en 1983.

Les “bourgeois cumulent plus de conflits de voisinage”

En clair, on voisine avec les personnes du même rang social que le sien. De plus, les bourgeois et les personnes “gentrifiées”, qui habitent des quartiers anciennement populaires, voisinent beaucoup plus que les autres catégories sociales. Ce sont donc eux qui cumulent le plus de conflits de voisinage, parce que plus on voisine, plus on a de conflits potentiels. Les populations vivant dans des quartiers plus mixtes et populaires se rencontrent moins, du fait de la structure de leur immeuble, par exemple.

Ainsi, l’étude avance que “les pratiques de voisinage augmentent avec le niveau de diplôme et les revenus”. Et “les configurations territoriales influencent le choix des voisins fréquentés. Par exemple, c’est dans les communes rurales (84%), les quartiers gentrifiés (79%) et bourgeois (78%) qu’on a le plus de chances de fréquenter des voisins nés dans le même pays que soi, du fait de la faible diversité des origines dans ces espaces ; à l’inverse, dans les grands ensembles la proportion s’élève à 46% – un résultat qui met à mal le mythe des relations de voisinage communautaires dans ce type de quartier”.

L’étude explique voir “la relation de voisinage culminer aux âges intermédiaires (30-44 ans), chez les familles avec enfants, les propriétaires et les habitants fixés dans le quartier depuis au moins 10 ans; elle est moins répandue chez les jeunes (18-29 ans), les personnes vivant seules, les locataires et les nouveaux venus (moins de deux ans); en revanche, les hommes voisinent autant que les femmes, les natifs autant que les immigrés.”

Le Covid n’a pas augmenté le nombre d’interactions

Mais alors, qu’est-ce que le Covid a changé? Une étude parue en juin 2020 dans la revue Population et société, menée entre autres par la chercheuse Joanie Cayouette-Remblière, a démontré que le premier confinement n’avait pas modifié le nombre d’interactions de voisinage, mais leur nature. En effet, employés et ouvriers ont davantage voisiné en période de Covid. Les personnes âgées ont reçu plus de services et les familles des 30-44 ans ont moins voisiné que d’ordinaire, car elles se sont occupées de leurs enfants et du ménage.

Ainsi, “le Covid n’a pas eu les effets que certains lui ont prêtés. Malgré les reportages sur des élans de solidarité nouveaux, se souvient la chercheuse, cela n’a pas transformé les réseaux de relation qui sont restés inégalitaires.”

“Je ne suis pas certain que le Covid ait des effets aussi durables et structurants sur le voisinage, comme sur d’autres aspects de la vie sociale, avance Jean-Yves Authier, il n’aura pas duré assez longtemps pour s’inscrire dans nos cultures.”

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