LE CANAL DE SUEZ PREND L’EAU !

On prétend, et je crois, à juste titre, que l’écrivain est l’historien du présent. Dans la dizaine d’ouvrages que j’ai écrit depuis vingt ans, « Le rêve éveillé du calife », paru il y a trois ans, est un roman d’espionnage dans lequel j’évoque de façon prémonitoire l’arrêt de la circulation des navires dans le canal de Suez, par suite d’un attentat terroriste sur un super tanker.

Rappelons que le percement de cet ouvrage, entre 1869 et 1879, est l’œuvre d’un français Ferdinand de Lesseps qui reprenait une idée qu’avait eu Bonaparte lors de son expédition en Egypte en 1798.

Long de 193 kms, le canal permet de relier l’Europe à l’Asie, sans avoir à contourner l’Afrique ce qui constitue un gain financier considérable et une économie de plusieurs semaines de navigations aux compagnies maritimes. Aujourd’hui c’est près d’une centaine de bâtiments qui l’emprunte quotidiennement et transporte quelques 3 millions de barils de pétrole et des millions de tonnes de marchandises, soit l’équivalent de 10% du commerce maritime international. Il procure par ailleurs plus de dix milliards de recettes annuelles à l’Egypte, ce qui représente la troisième ressource financière du pays.

Autant dire que l’arrêt du trafic sur cet axe maritime stratégique capital constitue une catastrophe à l’échelle planétaire. Et c’est dire l’inquiétude qui est née voici quelques jours de l’échouage d’un porte-conteneurs. Il aura fallu dix jours pour le dégager des sables et libérer les 61 navires en attente de passage, alors qu’au même moment 85 autres devaient franchir le canal dans les deux sens.

En réalité ce sont au total 422 bateaux qui sont restés bloqués pendant six jours, tout cela pour un porte-conteneurs de 400 mètres de long et les préjudices financiers sont considérables. Selon certaines informations cet incident a coûté aux compagnies maritimes près de 400 millions de dollars par heure et entraîné une perte estimée entre 6 et 10 milliards par jour.

Erreur technique, ou humaine, l’enquête le dira, celle-ci a eu pour conséquences le retard dans la livraison de nombreux épices, meubles, pétrole et de quelques 130 000 moutons.

Au final le monde s’en sort à bon compte. Cette situation à cependant révélé la fragilité d’une voie maritime dont dépend en grande partie l’approvisionnement de différents continents.

En revanche, si le monde devait connaître un scénario catastrophe tel que je le décris dans mon roman, l’affaire prendrait une toute dimension. Imaginez un super tanker, coulé par un missile, laissant s’échapper de ses flancs des millions de mètres cubes de pétrole, causant du même coup une pollution écologique de grande ampleur et provoquant une marée noire qui interdirait pour un long moment toute circulation dans le canal, le temps de renflouer l’épave et de pomper l’or noir. Aussitôt connue cette catastrophe les marchés financiers enregistreraient une hausse considérable du cours du Brent, l’économie égyptienne, privée de ses droits de passage faramineux, 400 000 euros environ par bateau, cette économie donc s’effondrerait en partie, entraînant dans sa chute des troubles politiques et sociaux incontrôlables dans un pays où la pauvreté est une maladie endémique. Les économies régionales, elles-mêmes, que ce soit la Tunisie, le Maroc, l’Algérie en souffrirait. Les livraisons de marchandises, et de pétrole brut vers les raffineries, obligées de contourner l’Afrique, prendraient de semaines de retard et entraîneraient des coûts de transports supplémentaires très élevés. Toutes les bourses mondiales afficheraient une hausse spectaculaire du prix du baril ce qui entraînerait une récession des économies occidentales avec comme conséquences un appauvrissement des classes moyennes.

L’échouage dans les sables du canal de Suez, il y a quelques jours, de ce mastodonte des mers a réveillé nos pires cauchemars en montrant qu’un simple grain de sable pouvait enrayer la bonne marche économique du monde. Puisse cet incident servir d’avertissement et améliorer la sécurité du canal. Il est des fois ou un romancier préfère que sa fiction ne devienne pas réalité.

Jean-Yves Duval, Directeur d’Ichrono et Ichrono FM