L’Africain et la négation absolue de son être   … Pr de philosophie  Alassane K. KITANE

 » Philosopher avec le marteau pour déciller les yeux  » Pape B CISSOKO

A la question : qui êtes-vous, l’Africain a toujours plus de mal à répondre que les autres qui s’empressent, eux, de décliner une identité que lui l’Africain leur reconnaît d’office. Mieux, l’Africain revendique l’être des autres, y veut sa place, il creuse un trou dans l’être des autres.

Comment dès lors exister pleinement dans un univers où c’est l’être d’autrui qui illumine nos vies, régente nos programmes éducatifs, détermine nos politiques économiques, etc. ?

Le chrétien fait sa prière dans la langue d’autrui, le musulman prie au minimum cinq fois dans la journée dans une langue qu’il comprend à peine ou parfois pas du tout. Après la prière matinale, il va à l’école (s’il est apprenant) se faire instruire et éduquer dans une langue étrangère ; il se rend au travail (s’il est fonctionnaire ou bureaucrate) où il élabore des plans, signe des contrats, définit des politiques économiques, toujours dans une langue étrangère ; il regarde la télévision avec des films et des émissions majoritairement exprimées dans la langue du colonisateur ou dans la langue arabe ; le soir il va dormir avec les idées et les rêves romantiques de l’autre ; dans son lit conjugal il abandonne le pagne au profit de la robe ou de la chemise de nuit ; etc.

Quel temps avons-nous pour être nous-mêmes ? Nous n’existons et ne nous voyons qu’à travers l’autre. Nous sommes le seul peuple à accepter de dissoudre notre propre être dans celui d’autrui. Nous célébrons la culture de nos négateurs, nous abhorrons notre patrimoine culturel (nous avons même parfois honte de notre culture).

Nous oublions que l’Arabe nous a réduits en esclavage par la pratique de la razzia et qu’il a castré de millions d’Africains pour éviter que les esclaves puissent avoir une descendance chez eux. Nous oublions qu’après l’Arabe, le blanc nous a capturés par millions et transplantés dans des conditions absolument inhumaines pour faire de nous les robots de l’humanité. Et pour nous affirmer en tant que peuple fier, nous n’avons malheureusement d’autre stratégie que d’opposer l’Arabe au blanc, de choisir l’un contre l’autre. Nos héros sont infantilisés par nos intellectuels (on a vu un piètre journaliste se moquer des pharaons et des rois africains), on apprend à réciter fièrement la Déclaration universelle des droits de l’homme au moment où nous ne faisons aucun effort pour comprendre les enjeux universels de la Révolution du Mandé.

Et tous les deux pour se faire bonne conscience et nous maintenir dans la conviction de notre infériorité et de notre culpabilité nous font croire que nous avons contribué à l’institutionnalisation de l’esclavage en vendant nos frères et soeurs ! Pourtant les femmes de Nder ont préféré se suicider que d’êtres captives de razzia : que viennent faire des armes dans un commerce où les deux parties sont consentantes ? Si les Africains pratiquaient la traite des esclaves avant leur rencontre avec les autres, pourquoi n’a-t-on pas aujourd’hui des vestiges, des sites historiques, qui en témoignent ? L’esclavage a toujours existé dans les quatre coins du monde, mais la traite était-elle connue en Afrique ?

Alassane K. KITANE