La précarité est une plaie pour tout pays -Les clichés sur la précarité que je vis avec mes enfants ne font qu’empirer notre situation – BLOG- Par Sylvie Longuet

« Stoppons tout de suite les clichés pensant que tous ces pauvres profitent littéralement du système grâce aux aides » implore cette maman solo.

Ce qui m’inquiète tous les jours en réalité, c’est de me demander à quel moment ils sauront que moi, leur maman, tous les jours je leur mens? Et surtout une fois qu’ils l’auront réalisé, comment je m’en sortirai?

PRÉCARITÉ – Être précaire en France aujourd’hui, c’est tout sauf une histoire de volonté. Vous pouvez ranger vos formulations toutes faites. Non, il ne suffit plus de le vouloir pour le pouvoir.

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« À Noël, cette année, je vais aider comme on a pu m’aider dans le passé »

Sortir de la précarité prend des années si tant est que l’on y arrive un jour. Les mois passent ici pour moi et plus je vois de nouveau le jour se lever plus je vois l’espoir de nous en sortir réellement s’éloigner.

Parce que les factures non payées s’accumulent, parce que les problèmes s’accumulent avec encore plus de solutions à devoir trouver, mais surtout parce qu’il est beaucoup plus difficile de se réintégrer au système que l’on a dû un jour quitter.

«Stoppons tout de suite surtout les clichés pensant que tous ces pauvres profitent littéralement du système en étant millionnaires grâce à des tonnes d’aides qui n’existent que dans l’esprit de tous celleux cherchant encore et toujours plus à les condamner.»

Les gens qui pensent que l’argent ne fait pas le bonheur n’ont jamais dû en manquer et tant mieux pour eux, mais ils ne savent surtout pas ce que c’est que d’être pauvre réellement malgré la volonté de s’en sortir.

“Crever” de l’intérieur

Moi, je peux vous le dire parce que c’est ce que je ressens, ça vous fait crever littéralement de l’intérieur au fur et à mesure des mois passant.

Qui a envie un jour de se retrouver à devoir choisir entre donner à manger à ses enfants ou mettre de l’essence dans sa voiture?

Il faut arrêter de croire qu’il y a un profil type de pauvre. Aujourd’hui, en France la précarité touche des millions de personnes alors arrêtons de stigmatiser les gens.

Stoppons tout de suite surtout les clichés pensant que tous ces pauvres profitent littéralement du système en étant millionnaires grâce à des tonnes d’aides qui n’existent que dans l’esprit de tous celleux cherchant encore et toujours plus à les condamner.

Le poids de la honte et de la culpabilité

Penser que tous ces pauvres dont je fais partie se réjouissent quotidiennement d’aller manger grâce à des colis d’aides alimentaires, grâce aux épiceries solidaires ou encore grâce à des chèques d’aides alimentaires, c’est n’avoir absolument jamais, mais JAMAIS avoir dû vous retrouver à aller quémander l’une de ces aides et ne même pas être capable juste d’imaginer le poids de la honte et de la culpabilité de vous retrouver à justifier face à quelqu’un l’aide que vous êtes en train de demander.

Plus encore, c’est n’avoir jamais dû devoir faire seulement avec ça. Ce” ça” qui ne suffit parfois pas, mais sans avoir d’autres possibilités.

Moi, des fois, je pense à l’après qui un jour peut-être arrivera.

Vous savez ce que j’ai aussi perdu depuis tous ces mois que l’on vit dans la précarité? Je n’ai plus aucune idée de ce que j’aime manger.

Au-delà même du goût de certains aliments que j’ai littéralement oublié, si demain je me retrouvais avec suffisamment d’argent pour à nouveau nous nourrir sans devoir faire de choix, je serais seule dans un supermarché que je ne fréquente plus depuis si longtemps que je ne saurais juste plus quoi acheter.

Car je ne cuisine plus, j’ouvre des boîtes ou des sachets depuis bien trop longtemps maintenant sans avoir de choix, mais parce qu’il faut manger.

On parle encore moins de ça, jamais, de l’après, de comment on envisage de se réinsérer, de comment la vie peut redémarrer après avoir subi tout ça.

Parce qu’on le subit, croyez-moi. C’est tout sauf un choix encore une fois.

L’argent ne tombe pas du ciel parce que vous vivez dans la précarité

Mes allocations familiales ne sont pas plus élevées que les vôtres si vous avez deux enfants également parce que je suis précaire ou parce que je suis mère célibataire. La CAF me calcule les APL sur le même barème que vous. Parce que l’on habite en France, nous bénéficions de la CMU-C ou de la CSS suivant les années. Et heureusement, car rien que penser au fait que je ne pourrais même pas les soigner, je crois que je ne serais plus là.

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Et c’est tout, ça s’arrête là.

Croyez-moi qu’il faut aller quémander la plupart des choses auxquelles vous pourriez avoir droit. Et plus encore, il faut les justifier, on ne vous donne pas tout ça juste parce qu’un jour, vous avez eu le courage de pousser la porte d’un.e travailleur.se sociale.

Et de vous à moi, je vous souhaite très sincèrement de ne jamais avoir à faire ça.

«Vous savez ce que j’ai aussi perdu depuis tous ces mois que l’on vit dans la précarité? Je n’ai plus aucune idée de ce que j’aime manger.»

Et pourtant.

Combien serons-nous dans cinq ans de plus si ce pays continue comme ceci?

Vous pensez réellement que c’est en construisant des murs aux frontières ou en continuant d’enrichir les plus riches que nous nous en relèverons?

C’est le contraire qui va se passer, je n’arrive pas à comprendre que presque 68% de la population, si on croit les derniers sondages, partent pourtant dans cette direction.

Non voter, ne changera pas tout, c’est même une certitude, mais ça donne quand même une sacrée direction aux prochaines années. Et je fais partie de celleux aujourd’hui qui en sont écœuré.es, affligé.es, dépité.es réellement probablement car faisant partie des plus pauvres, il y a une chose qui me paraît certaine, c’est que je ne m’en relèverai pas.

Survivre quotidiennement

Que jamais je ne pourrai me sortir suffisamment de tout ça pour pouvoir vivre dignement avec mes deux enfants. Nous devrons continuer de survivre quotidiennement.

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C’est ça d’être pauvre, ce n’est certainement pas juste d’enjoliver la situation pour ses enfants, c’est surtout parce qu’ils sont à ma seule charge. Alors je dois leur mentir constamment.

Leur mentir pour leurs cours de gym où ils ne vont plus, leurs mentir pour le contenu du frigo, leur mentir pour les balades que l’on ne fait pas, leur mentir pour les vacances où l’on ne partira encore pas, ça ne fait que 6 ans, c’est pas très important.

Mentir, tous les jours

Moi, ce qui m’inquiète tous les jours en réalité, c’est de me demander à quel moment ils sauront que moi, leur maman, tous les jours je leur mens?

Et surtout une fois qu’ils l’auront réalisé, comment je m’en sortirai?

Je voudrais juste pouvoir vivre dignement, mais il faut croire encore qu’en France en 2022, la plupart d’entre vous n’estime pas cela important.

J’y penserai dans les prochaines semaines quand je rendrai mon logement pour dormir dans ma voiture.

L’injustice criante, puante de vérité de ce monde individualiste dans lequel on vit en réalité.

Chacun pour soi mais surtout pas en pensant à son/sa voisin.e, des fois que ça serait contagieux.

Vous pourrez mettre tous les masques et le gel que vous voudrez dans les prochaines années, je peux pourtant vous garantir que de la précarité, absolument rien ne vous en protégera et que vous vous joindrez juste à moi pour crever le plus silencieusement possible.

Ce billet, également publié sur le compte Instagram de Sylvie Longuet, a été reproduit sur Le HuffPost avec son accord.