La Magie de Noël, un conte de Jean-Yves Duval

Ce matin du 25 décembre je me suis réveillé avec une sensation étrange, ce n’était pas la gueule de bois n’ayant pas fait d’abus la veille lors du réveillon. C’était autre chose, indéfinissable, comme si je ressortais d’une longue et profonde torpeur alors que je n’avais sommeillé que quelques heures. On aurait dit que l’air ambiant n’était pas le même que celui des jours précédents. S’agissait-il de vapeurs hallucinogènes ?J’eus la confirmation qu’il s’était produit quelque chose au cours de la nuit en allumant les chaînes d’info en continu. Le ton des journalistes n’était pas le même, plus tranquille, serein, calme, tout le contraire du côté speed auquel nous étions habitués jusque-là, répétant en boucle les mauvaises nouvelles, nous faisant les témoins de tous les malheurs de la planète, des tragédies humaines. Mais la nouveauté était ailleurs, du côté des informations elles-mêmes. Ce matin il n’y avait aucun flash d’un nouvel acte terroriste islamiste, d’une prise d’otages par un forcené, aucun fait divers sanglant, aucune famine au Soudan ou au Yémen, aucun acte guerrier du Sahel, en Afghanistan ou ailleurs. C’était bizarre, car tellement inhabituel.

Je zappais, pensant être tombé sur une nouvelle station de télévision mais partout ailleurs le climat des infos était le même, presque soporifique. Nous avions tellement été accoutumés à la violence ces derniers mois, gilets jaunes, black-blocs, agressions contre des policiers, etc. que c’en était irréel.

Plus étrange encore, à aucun moment les présentateurs en plateau ne faisaient mention de la pandémie de Covid 19 qui sévissait dans le monde et en France depuis des mois. Pas de rappel du nombre de morts, contaminés, hospitalisés égrenés quotidiennement par le professeur Salomon de l’Agence nationale de santé. Le virus avait -il été éradiqué au cours de la nuit ? Bizarre. C’était d’autant plus bizarre qu’on n’évoquait jamais la crise économique, l’endettement faramineux, le chômage, les faillites qui hier encore faisaient la Une des journaux, écrits et télévisés. Tout se serait-il règle au cours de la nuit comme par enchantement ?

Puis j’entendis qu’à Washington le président Joe Biden depuis le bureau ovale avait signé un important échange commercial avec la Chine mettant fin à une longue polémique entre les deux pays, qu’en Turquie, un nouveau président, démocrate, avait rendu Sainte-Sophie à son caractère historique lui ayant retiré le statut de mosquée et tout signe religieux, qu’en Russie, Poutine avait laissé sa place à son successeur au Kremlin au terme d’une consultation électorale sans incidents. Le pays des Soviets avait renoué avec la démocratie.

Pas de doute, il se passait des choses anormales. A l’extérieur sur le parking, devant chez moi, les gros SUV qui étaient stationnés là, la veille encore, avaient laissé la place à de petites voitures citadines ne polluant presque pas, et les passant déambulaient tranquillement en souriant et en s’interpellant joyeusement les uns les autres. Des relations humaines qui avaient pratiquement disparu depuis des années au profit de l’individualisme et de la recherche justement du profit. La nature me parut soudainement plus belle et les oiseaux eux-mêmes ne s’y trompaient pas qui piaillaient à gorge déployée.

Incontestablement il s’était passé au cours des dernières heures un événement considérable, mais lequel ? Nulle trace d’explosion de météorite, d’un tsunami et pourtant si la terre tournait toujours sur son axe rien n’était pareil qu’avant. Quelle était la raison de ce mystère ?

Je me dis que je ne parviendrais sans doute pas à résoudre cette énigme et je décidais de me rendormir en pensant que je devais faire un rêve éveillé. Quelques heures plus tard, j’ouvris à nouveau un œil et je constatais que dehors les gros SUV avaient retrouvé leur place, que sur BFM, Itele, LCI, les journalistes signalaient quelques nouvelles catastrophes, qu’Erdogan sévissait toujours à Istanbul, Poutine à Moscou et Trump a Washington.

Je compris alors que la magie de Noël n’avait offert au monde que quelques heures de répit et que le fil de l’histoire avait repris son cours normal. Dommage, car je m’étais bien fait à ce nouveau monde. Le rêve avait laissé place au cauchemar.

Je vous souhaite une bonne fin d’année 2020, annus horribilis comme à dit la reine Elizabeth II pour qualifier, non pas cette année mais 1992, peu après le 40ème anniversaire de son accession au trône.

Jean-Yves Duval, directeur d’Ichrono