Krasnaïa-« Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres! »-Raphaël Enthoven

« Une lecture de plus pour nous repenser et peut-être que nous pourrons comprendre encore mieux notre monde et les gens qui nous dirigent » P B CISSOKO

Raphaël Enthoven : « Nos libertés sont menacées par des gens qui ont l’impression de les préserver »

Dans sa satire animalière « Krasnaïa », le philosophe croque Macron en loup ou Zemmour en taupe, et épingle avec humour les querelles idéologiques de notre époque.

Bienvenue à Krasnaia, un monde parfait… fait par les animaux. Ici, pas de guerre. Mais pas de paix non plus. Mieux : ce qu’on appelle la Concorde. Plus de délit, plus de crime : si le renard a mangé la poule, c’est qu’il avait faim. C’est qu’il est un renard…

Dans cette société qui ressemble beaucoup à une jungle, un cheval féru de politique, Vladimir, tente constamment d’apaiser les esprits, et de se faire réélire… Mais un incendie, ravageant ce faux pays de cocagne, embrasse soudain les cœurs des lièvres, des tortues, des hirondelles, et des tigres. Qui a voulu détruire Krasnaia ? Qui a osé s’en prendre à ce monde parfait ?

Parce qu’il s’inspire autant de George Orwell que de Jean de la Fontaine, le nouveau livre de Raphaël Enthoven déjoue toutes les interprétations, oscillant entre l’essai philosophique et le roman policier, entre l’exercice d’admiration et la dénonciation de notre propre société, qui rêve d’une universalité impossible, et qui se complait dans mille excuses sociologiques.

Raphaël Enthoven est professeur de philosophie, et écrivain Il publie ici son cinquième livre aux éditions de l’Observatoire.

Krasnaïa, ou quand les hommes sont bêtes

Une recension de Martin Legros, philomag

Un étrange tournis nous saisit à la lecture de cette fable inspirée à Raphaël Enthoven par la catastrophe de Tchernobyl. Il a en effet découvert que, dans cette zone désertée par les hommes, les bêtes ont survécu. Lecteur de George Orwell et de sa Ferme des animaux, il a donc imaginé une société animale qui a fait table rase de la servitude attachée à la domesticité pour instaurer un régime ultradémocratique. Fondée sur une égalité obsessionnelle (les herbivores ayant canalisé le désir « naturel » des carnivores) et sur une discussion permanente, cette société est pourtant menacée par la guerre civile, sous les coups des revendications des « enragés ». Car, pour l’auteur, les démocraties ne meurent plus de leurs inégalités ou de leurs ennemis extérieurs, comme à l’époque d’Orwell, mais de leurs propres excès. Ce dont témoigne l’amusant glossaire des doctrines qui essaiment dans ce monde, de l’animalisme au femellisme de première, deuxième et troisième générations (qui prône le droit de se soumettre en toute liberté), en passant par le naturisme, qui considère que les plantes sont des êtres pensants. Si la tête tourne, c’est que l’on est un peu trop souvent ramené aux correspondances avec notre époque pour chercher de quelle figure politique ou idéologique l’auteur fait la satire… On se réjouit cependant de l’art d’Enthoven à singer nos « bêtises » politiques.

L’Express : Pourquoi avoir voulu revisiter La Ferme des animaux ?

Raphaël Enthoven : L’une des vertus les plus étonnantes de l’oeuvre d’Orwell (en particulier 1984 et La Ferme des animaux) est de décrire des tyrannies tout en donnant à comprendre les travers de l’univers démocratique. De la cancel culture au contrôle de la mémoire en passant par le sacrifice de la liberté, Orwell est un penseur de la dictature qui nous aide, peut-être malgré lui, à saisir ce qui ne fonctionne pas dans un Etat de droit. C’est la raison pour laquelle je suis hanté, depuis des années, par l’envie de reprendre le dispositif orwellien pour parler non pas de l’URSS mais de l’hyperdémocratie où nous vivons, et du fait que, en démocratie, la liberté n’est pas moins en danger – mais pour d’autres raisons – que dans un régime totalitaire.