« Je veux permettre à la France et à l’Afrique de se reconnecter autrement à travers la mode » Laureen Kouassi-Olsson

Laureen Kouassi-Olsson, founder of Birimian Ventures. Paris, France. June 24, 2021.

Laureen Kouassi-Olsson a fondé Birimian, une société consacrée à l’investissement et à l’accompagnement stratégique des marques de luxe africaines.

Propos recueillis par Cyril Bensimon

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Laureen Kouassi-Olsson, fondatrice de Birimian, à Paris, le 24 juin 2021. ANTOINE DOYEN

Comment donner aux stylistes africains l’accès au marché international ? Comment faire en sorte que leur créativité soit soutenue financièrement et que leurs marques soient accompagnées à chaque étape de leur croissance ? C’est pour tenter de trouver quelques réponses à ces questions que Laureen Kouassi-Olsson, une Franco-Ivoirienne issue du milieu de la finance, a fondé Birimian à Abidjan.

Créée en avril et dirigée par une équipe uniquement féminine, Birimian est aujourd’hui la première société consacrée à l’investissement et à l’accompagnement stratégique des marques de luxe africaines. Portée par des capitaux français, européens, africains et américains, elle ambitionne de servir de pont entre les créateurs du continent et un marché de la mode qui serait désormais prêt à s’ouvrir à leur talent.

Pour creuser ce sillon, Birimian a lancé, lundi 28 juin, un accélérateur dédié aux jeunes marques africaines, en partenariat avec l’Institut français de la mode (IFM). Le Monde Afrique a rencontré sa fondatrice.

Pourquoi avez-vous souhaité créer Birimian ?

J’ai fondé Birimian sur trois constats. Le premier est l’intérêt suscité par la création africaine à l’international. Quand Dior a lancé sa collection « Croisière », en partie imprimée en Côte d’Ivoire dans une usine Uniwax, avec Pathé’O et d’autres créateurs africains, je me suis dit que le reste du monde était désormais prêt à voir ce qu’on a à offrir. Le deuxième constat est que le numérique a permis de propulser des marques et des stylistes africains sur la scène internationale.

Le troisième est la forte décorrélation entre l’image de succès que peut donner un styliste africain et la réalité. Toutes les marques qui vivent surtout dans l’informel ont des problèmes d’accès aux financements, de levée de fonds, de structuration. Je me suis donc dit qu’il fallait mettre en place un dispositif qui leur permette d’avoir des financements, le soutien nécessaire à une accélération de croissance et l’accès à des conseils financiers.

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Deux mois après le lancement, où en êtes-vous ?

Le 28 juin, nous lançons le premier accélérateur dévolu aux marques émergentes africaines avec l’IFM, qui sera chargé de l’expertise technique. Nous allons accompagner chaque année dix marques qui vont être sélectionnées par un comité d’experts de l’industrie, des journalistes mode, des acheteurs, des designers. Une fois intégrées, ces marques bénéficieront d’un appui pour définir leurs besoins spécifiques et mettre en place un programme d’accompagnement.

Par ailleurs, toujours ce 28 juin, concernant la distribution, nous signons un accord exclusif avec WSN [anciennement Who’s Next], le principal organisateur d’événements consacrés à la distribution de marques en Europe et sur la scène internationale. Cela nous ouvre les portes de salons essentiels dans l’industrie de la mode et de la création. L’objectif de ce partenariat est que nous leur amenions des marques pour qu’ils organisent des événements dédiés à leur distribution, leur promotion et leur exposition. Ce partenariat fait de nous les passeurs directs entre les marques du continent et des événements comme la Fashion Week.

Quelles sont aujourd’hui les marques que vous accompagnez ?

Sur le volet investissement, nous avons aujourd’hui quatre marques dans notre portefeuille, dans lesquelles nous allons investir d’ici à la fin de l’été. Ce sont trois marques de prêt-à-porter haut de gamme : l’ivoirienne Loza Maléombho, qui a déjà habillé des stars comme Beyoncé ou Alicia Keys ; Christie Brown, basée au Ghana, avec beaucoup de visibilité aux Etats-Unis et sur le continent ; Simone et Elise, une autre marque ivoirienne. Et enfin de la maroquinerie avec Yeba, basée à Bruxelles et qui représente la diaspora.

Aujourd’hui, nous recevons en moyenne quinze demandes par semaine de différentes marques. L’une des clés pour nous est d’avoir accès à leurs données, que ce soit le chiffre d’affaires, l’année de création, le nombre de clients, la part des ventes à l’international, le mode de distribution et d’achat… Cela vaut de l’or pour les acteurs clés à l’international.

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Quel est le montant des investissements que vous proposez aux marques que vous accompagnez ?

Tout dépend de la taille et de leurs besoins. Nous commençons à 30 000 euros et montons jusqu’à 1 million de dollars en fonction des stratégies d’accélération. Mais la puissance de notre modèle n’est pas là. Au début, j’étais partie sur une stratégie d’investissement pur, mais une marque n’a pas forcément besoin d’investissements quand elle n’est pas prête à les absorber. Elle a surtout besoin de conseils en développement et d’accéder à l’écosystème à travers des acheteurs, un renforcement de son site Web, une amélioration de sa relation clients.

Tous ces conseils, nous les offrons grâce à cet écosystème d’acteurs qui se sont fédérés autour de nous. Mon objectif est de réaliser trois à quatre investissements par an, d’accompagner quinze marques en conseil en développement et de permettre, avec l’IFM, de donner dans l’année une accélération à dix autres marques.

Les partenariats signés sont exclusivement avec des acteurs français. Pourquoi ?

C’est volontaire et peut-être illusoire, mais je souhaite offrir une possibilité à la France et à l’Afrique de se reconnecter autrement à travers la mode. La France a un rôle à jouer compte tenu de son rôle sur l’exception culturelle, sur la défense des savoir-faire, mais il y a une nécessité pour elle de se réinventer. Quand Dior fait sa collection « Croisière », c’est qu’il est en quête d’inspirations. Quand Louis Vuitton embauche Virgil Abloh comme directeur artistique, c’est pour mettre plus d’Afrique dans ses collections.

Le problème est que cela est vécu comme de l’appropriation culturelle et que tout le monde les attaque en disant : « Vous venez chez nous vous servir comme du temps de la colonisation, vous prenez ce qu’on a de meilleur et nous ne récupérons rien derrière. » Aujourd’hui, notre volonté est de dire : « Nous vous autorisons à vous intéresser à nous pour peu que vous nous aidiez à nous développer. »

 

La vision de Birimian est de permettre à la première capitale de la mode de ne pas se faire dépasser par Milan et Londres, qui ont aussi compris l’enjeu autour de la créativité africaine. Celle qui gagnera sera celle qui saura promouvoir l’exception culturelle africaine sans la vider de sa substance.

Pourquoi des stylistes réputés comme Pathé’O ou Alphadi n’ont jamais pu réellement s’exporter hors d’Afrique ?

C’est un cas d’école qui me passionne et m’attriste en même temps. Alphadi a été porté par Madonna, des stars en pagaille, mais comme Pathé’O, il a raté sa révolution numérique. Aujourd’hui, chacun a une centaine de followers sur Instagram ou Facebook, pas plus. Loza Maléombho en a 70 000. Nous voulons promouvoir des marques numériquement intégrées. Des marques qui se sont créées à travers le numérique, qui distribuent, communiquent avec lui. Je crois à notre succès car les réseaux sociaux sont pour nous un vecteur de conscientisation, de distribution et d’exposition majeur. Sans cela, il est pour nous difficile d’avoir accès aux marchés internationaux.

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Les stylistes africains n’ont-ils pas eu aussi tendance à privilégier une mode pensée uniquement pour un public africain ?

C’est incontestable. Il y a aujourd’hui trois types de marques. Celles qui ont fait cette erreur de concevoir de la création uniquement pour les Africains, ce qui les limite à une stratégie de croissance régionale ou continentale. Celles qui ne savent pas vraiment à qui s’adresser mais qui essayent de donner une image plus moderne, de femme forte, indépendante, avec des imprimés africains sur des coupes réinventées. Ces marques ne savent pas souvent comment se positionner, car l’enjeu pour elles est de définir ce qui fait leur identité afin qu’elles la transcendent. Enfin, le troisième type de marques constitue pour moi l’avenir de la création africaine. Ce sont des marques qui font de la mode non pour les Africains mais pour la scène internationale, des marques qui assument leur africanité pour la dépasser.

A quel moment considérerez-vous que Birimian est un succès ?

Birimian sera un succès lorsque nous aurons plusieurs marques distribuées dans tous les grands temples de la consommation, lorsque nous aurons réussi à créer de vraies maisons de mode africaines qui auront transcendé leur africanité et se retrouveront dans les garde-robes de toutes les fashionistas.

Cyril Bensimon

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