FABINTA LO – Des poupées vectrices de culture

Il y a un regain d’intérêt pour l’ethnique et les poupées noires en France. Les poupées sont des véhiculent de cultures ou des supports de nos cultures et en même temps des jouets. Ce pays de diversité n’offre pas toujours des objets jouets pour satisfaire une certaine population. Mais on pourra aussi dire que ces populations pourraient se prendre en main pour créer offrir ce que veulent ces communautés. Je pense à al Boutique de Tarabinde de Mamma Doucara, celle Gdustyl de Rokhaya Ndiaye 19 ème et Jocelyn Dabo qui fait des livres avec l’ écriture adinkra et je n’oublie pas Mme Dado Traore de St Maur avec ses contes, etc. Pour s’identifier il faut proposer des réalités qui nous ressemblent sans se fermer aux autres. Enracinement et ouverture. P B CISSOKO

Par Lepetitjournal Dakar | Publié le 04/09/2017

«Des poupées noires pour vulgariser l’histoire et la culture noire » est le crédo de Fabinta Lo. C’est en Italie que tout a commencé. Ancienne médiatrice culturelle dans le naguère royaume de Berlusconi, maintenant professeure à la retraite, elle continue de creuser le sillon relatif à l’éducation en Afrique. Entretien avec une femme pour qui, en vue d’une émergence effective, tout pays doit en premier lieu miser sur l’éducation.

« C’est en Italie que j’ai appris à faire les poupées noires »

Comment vous est venue l’idée des poupées noires selon votre expression «vectrices de la culture africaine» ?

C’est en Italie que j’ai appris à faire les poupées noires. Je travaillais comme médiatrice linguistique et culturelle, c’est à dire que je constituais un pont entre l’administration et les immigrés. Et puisque les Italiens voulaient connaître notre culture, j’ai pensé que les poupées étaient une méthode efficace pour mieux faire passer les messages. C’est ainsi qu’elles sont devenues un support incontournable pour expliquer certains éléments culturels comme les croyances liées à la grossesse, les rites liés à la circoncision, la lutte traditionnelle etc.

En quoi consistait votre travail en tant que médiatrice linguistique pour la valorisation des us et coutumes africaines en Italie ?

Mon travail consistait à expliquer et à divulguer certains éléments culturels de mon pays et ce, à presque tous les niveaux. Même, parfois dans certaines universités. A l’hôpital, il arrivait parfois que des patients internés en psychiatrie refusent le traitement qu’on leur donne sous prétexte qu’il leur faut le traitement qu’ils avaient l’habitude d’avoir au Sénégal, à savoir le ndeup. Là, un travail d’explication s’impose car les médecins italiens ignorent tout de cette thérapie.

Pouvez-vous, en sus de l’aspect artistique, nous expliquer la démarche de raconter la culture et l’histoire noire par des poupées de surcroit ?

Si je prends l’exemple de nos héroïnes africaines comme Ndaté Yalla, Aline Sitoe Diatta, la reine Abla Pokou pour ne citer que celles-là, les poupées représentant ces personnages historiques suscitent l’intérêt et la curiosité des personnes qui les découvrent pour la première fois.

Vous êtes professeur d’espagnol. De par votre expérience, croyez-vous que le meilleur moyen pour inculquer la connaissance soit de passer par un vecteur ludique ?

Bien sûr, car ma cible ce sont principalement les enfants et vous savez l’impact des jouets sur eux mais avec nos poupées, on s’amuse en apprenant.

« Les enfants s’identifient aux poupées qu’on leur offre »

Pourquoi ce vecteur spécifique : les poupées ?

Je me suis rendu compte d’un fait qui à mon avis devrait attirer l’attention de tous, principalement des parents.

Les enfants s’identifient aux poupées qu’on leur offre, à savoir les poupées blanches, c’est un constat – qu’on ne me prête surtout pas des propos racistes – et vous imaginez donc aisément ces conséquences sur nos enfants.

En leur donnant ces poupées noires, on renverse la tendance et on leur inculque en même temps les valeurs de nos héroïnes que sont le courage, l’abnégation etc.

Les gens sont-ils réceptifs au sens de votre travail, que ce soit au Sénégal ou dans les pays étrangers dans lesquels vous avez eu à présenter vos oeuvres ?

Ici au Sénégal, c’est un combat de longue haleine que je mène car ce sont les parents eux-mêmes qui ont besoin en premier d’adopter ces poupées avant de les faire adopter par les enfants. Ce qui n’est pas facile. Mais heureusement, il y en a qui l’ont compris et qui commencent à les offrir à leur progéniture.

« Les occidentaux s’intéressent plus à nos poupées »

Avez-vous noté une différence de perception entre les pays ?

Oui. Les occidentaux s’intéressent plus à nos poupées car mus par cette envie de connaitre notre culture.

Quelle place tiennent les contes dans l’éducation orale africaine ?

Les contes jouent un rôle d’éveil et d’éducation. C’est d’ailleurs ce qui m’a poussée à écrire un livre de contes illustré par mes poupées mais non encore publié.

A l’heure d’internet, le rôle du conte dit de façon orale demeure t-il vivace ?

Malheureusement non. Ce temps est révolu où les enfants se réunissaient autour des grands-parents pour écouter les contes. Les récits de ces contes avaient une valeur éducative. Les enfants n’ont plus goût aux contes, ils consacrent tout leur temps libre sur internet.

Licence d’espagnol, née au Mali, ayant vécu au Burkina Faso, en Italie, séjour linguistique en Espagne etc. Vos impressions sur ces différents pays ?

Chacun de ces pays a eu une certaine influence sur moi. Ils m’ont forgée en quelque sorte. D’aucuns me disent en plaisantant que je ne suis pas sénégalaise mais plutôt Bambara de par mon franc-parler. J’ai gardé de bons souvenirs de tous ces pays. Même en Italie où j’ai vécu pendant plus de dix ans, je n’ai pas senti de rejet de la part des Italiens, au contraire, je me suis sentie comme chez moi.

Qu’avez-vous gardé de chacun d’eux ?

Je parle le bambara  – langue parlée aussi bien au Mali qu’au Burkina Faso –  et l’italien aussi. Je vous signale que Le Coq chante est la version française de : « il gallo canta »,le livre a été écrit en italien d’abord.

Vous êtes revenue au Sénégal, votre pays. Que diriez-vous à tous ces jeunes qui ne rêvent que de partir ?

De rester. On est mieux chez soi. Je donne des conseils à beaucoup de jeunes dans ce sens. Je vous donne l’exemple de l’un d’entre eux qui fait ma fierté aujourd’hui car il s’est investi dans l’agriculture. D ailleurs je profite de cette interview pour demander aux autorités d’aider davantage ces jeunes qui ont préféré leur terre à l’émigration.

« Le Sénégal en particulier, fait partie [?] des pays où il fait bon vivre »

Après toutes ces années passées à l’étranger, quelles furent vos impressions lors de votre retour au Sénégal ?

Que l’on peut bien réussir chez soi car avec cette crise mondiale, l’Afrique, le Sénégal en particulier, fait partie de mon point de vue, des pays où il fait bon vivre. Le fait de voir ma famille, mes amis, chaque matin au réveil, constitue pour moi une richesse inestimable.

« Il y a aussi celles qui travaillent comme domestiques et qu’on pourrait maintenir dans leurs villages respectifs avec de bons projets »

Vous êtes professeur à la retraite. La scolarisation des enfants est un problème majeur au Sénégal, et si éducation il y a, le niveau d’instruction de ces derniers. Il est des régions où des bataillons d’enfants ne vont à pas l’école. L’éducation traditionnelle par les contes peut-elle pallier à l’éducation académique ou à minima, structurer moralement les enfants ?

L’éducation par les contes ne peut pas se substituer à l’éducation académique. Vous savez, l’éducation des filles surtout fait partie de mes combats mais malheureusement je n’ai pas les moyens de ma politique. Si vous empruntez les bus de transport interurbain, le spectacle qui s’offre à vous est affligeant: à chaque arrêt, des jeunes  filles montent et proposent leurs produits aux voyageurs. Si l’on pouvait leur donner une chance en les alphabétisant et en leur donnant une formation, ce serait vraiment une bonne chose. Il y a aussi celles qui travaillent comme domestiques et qu’on pourrait maintenir dans leurs villages respectifs avec de bons projets. Les enfants talibés ne sont pas en reste. Si tous ces enfants qui errent dans les rues du matin au soir pouvaient être scolarisés, ils seraient à l’abri de tous ces maux auxquels ils sont exposés.

Pouvez-vous nous parler de votre livre « Le coq  chante » ? Ce qui vous a poussé à l’écrire et l’histoire qui y est relatée ?

Le coq chante raconte de l’aube au crépuscule, une vie quotidienne au Sénégal. Le livre est en quelque sorte une réponse aux nombreuses questions que l’on me posait en Italie au cours de mon travail: la vie en famille, les cérémonies familiales, les difficultés des femmes immigrées, par exemple sont des thèmes que j’y développe.

Constatez-vous un dépérissement des dits us et coutumes ?

Malheureusement oui. Les us et coutumes ont tendance à disparaitre surtout dans les centres urbains.

Pouvez-vous nous citer quelques coutumes positives ?

Il y en a beaucoup mais j’en citerai un qui me tient à cur et qui est le portage du bébé au dos, action qui protège non seulement l’enfant comme on dit chez nous contre les mauvais esprits censés lui faire du mal mais en plus, crée de l’affection entre la mère et l’enfant.

Les négatives ?

Le recours aux charlatans, certaines croyances liées à l’anthropophagie et enfin la non scolarisation des filles dans certains milieux.

Ce que l’on réunit sous l’appellation  « us et coutumes africains» ne relève t-il pas du bon sens populaire propre à tous les peuples du monde ou en existent-ils de spécifiques à l’Afrique?

Chaque peuple a ses us et coutumes. Mais l’Afrique a ses spécificités et souvent il faut être un initié pour pouvoir percer certains mystères.

Lorsque l’on voit où en est l’Afrique, longtemps portée par ces dits us et coutumes, n’est-on pas en droit de s’interroger quant à la responsabilité de ces usages sus nommés ?

D’aucuns pensent que ces croyances constituent un frein au développement de l’Afrique, dans certains domaines c’est vrai, mais dans d’autres je pense que non, les raisons de notre retard sont à chercher ailleurs.

« Nos aînés ont failli » est la phrase que l’on entend souvent. Est-ce la raison pour laquelle la jeunesse rejette en bloc tout ce qui a trait aux us et coutumes justement ?

On ne doit pas tout rejeter comme je l’ai dit tantôt. Certains jeunes ont tendance à copier sur l’Occident donc pour eux, rejeter tout en bloc devient un argument de taille.

Que leur dites-vous lorsque vous faites face à ce genre de propos ?

Là, un retour aux sources s’impose. Restons nous-mêmes si nous voulons qu’on nous respecte.

Est-il aisé de mener de front, profession, militantisme, travail artistique et vie familiale ?

On essaie de gérer le tout dans la mesure du possible. Avec la retraite, on dispose d’un peu plus de temps mais le temps que je consacre aux poupées est très long car j’allie fabrication et recherches sur certains thèmes développés à travers ces poupées.

Avez-vous une boutique où se procurer vos poupées ?

Pour le moment j’expose et je vends chez moi en attendant de pouvoir ouvrir une boutique.

Vos projets ?

Mon projet pour le moment c’est une usine de fabrication de poupées noires afin que tous les enfants  puissent avoir leurs poupées Ndaté, Abla, Aline Sitoé, Sogolon et j’en passe. Chaque poupée aura sa fiche explicative et du coup, même les parents en apprendront un peu sur notre histoire.

Effet papillon oblige, croyez-vous aux grands changements, en commençant par une ou des initiatives individuelles, fussent-elles discrètes ?

Puisque l’union fait la force, pourquoi ne pas s’unir pour apporter les changements dont notre société a besoin ?

Un dernier mot ?

Merci à vous pour l’occasion que vous m’avez offerte de pouvoir parler de mes poupées que j’aime tant.

  1. Les poupées pour enfant n’ont pas de fil de fer mais les poupées décoratives, oui.

Pour joindre Fabinta ou une de ses poupées c’est par ici

Téléphone : (221) 33 835 18 80

Irène Idrisse (www.lepetitjournal.com/dakar) mardi 5 septembre 2017