Eloge de l’ennui – Une brève histoire de nous  de Patrick Lemoine

  • Un essai philosophique magnifiant les potentialités positives de l’ennui.
  • Depuis Bouddha, Évagre le Pontique et tant de philosophes, beaucoup de chercheurs sur l’ennui ont tenté d’utiliser ce curieux état d’âme, d’en tirer la substantifique moelle et même de le sublimer.
    Confinement et couvre-feu, notre époque est fertile en événements qui nous forcent à réfléchir aux vertus et inconvénients de l’inaction forcée et de l’ennui qui en découle.
    On peut certes chercher à y échapper à coup de séries télévisées, achats compulsifs, tchats, et autres jeux vidéo mais on peut aussi trouver des moyens d’en faire un allié.
    Le débat à propos des liens entre ennui, paresse, mélancolie, tristesse, trouble bipolaire et créativité reste toujours d’actualité entre la position latine pro-farniente et la position anglo-saxonne pro-activité.
    L’ennui qui n’existe que chez l’animal domestique et l’homme sédentaire peut s’avérer délétère, comme en EHPAD, en prison, à l’école, au travail ; il peut aussi devenir un moteur d’invention comme l’a magistralement montré Newton alors qu’il était confiné pour cause de peste et qu’une pomme est tombée à ses pieds.
    Avec ce livre, l’ennui n’est pas si ennuyant que ça !

Pour le Dr Patrick Lemoine, « l’ennui est créateur » s’il est « associé à une notion de liberté »europe1

lemonde.fr-Et si vous profitiez des vacances pour vous ennuyer ?

Devenu synonyme d’oisiveté, l’ennui est souvent mal perçu dans un monde qui survalorise la productivité. Traçant l’histoire de cet état émotionnel, le psychiatre Patrick Lemoine invite à s’y plonger pour renouer avec la créativité.

Propos recueillis par Aurélie Godefroy

« C’est lorsque l’homme a commencé à maîtriser le temps, le feu, qu’il a commencé à s’ennuyer. Cela n’aurait pas été le cas s’il était resté chasseur cueilleur. » AGNÈS AUDRAS /

L’ennui a mauvaise presse dans nos sociétés hyperactives, qui valorisent la productivité. Pourtant, depuis l’Antiquité, nombre de penseurs ont au contraire cherché à valoriser et à sublimer cet état d’âme complexe.

Ces derniers mois nous ont invités à réfléchir aux vertus et aux inconvénients de l’inaction forcée et du sentiment de monotonie qui en découle. S’il est tentant d’y échapper de différentes manières – séries télévisées, achats compulsifs… – , il est possible de s’en faire un allié. L’ennui, qui n’existe que chez l’homme sédentaire et l’animal domestique, peut certes s’avérer nuisible, par exemple en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), en prison ou au travail.

Mais il peut aussi être un formidable moteur d’invention et de créativité, explique le docteur Patrick Lemoine, psychiatre et docteur en neurosciences, dans son essai Eloge de l’ennui (Editions du Relié, 2021).

Quelle est l’origine du mot ennui ?

Patrick Lemoine. Ce mot viendrait du latin odium« Est mihi in odio » signifie « cela m’ennuie ». Mais on trouve aussi le terme inodium, qui serait, lui, tiré de la périphrase « in odio esse », qui signifierait « être en haine ».

Avec cette étymologie compliquée, s’ennuyer reviendrait donc à « être en haine de soi ». C’est d’ailleurs le cas pour un certain nombre de personnes, notamment les adolescents, qui ne le supportent pas et recherchent des sensations à travers différentes addictions…

Parler de l’ennui, c’est également parler du temps. Ce sujet me passionne depuis longtemps : j’avais déjà publié S’ennuyer, quel bonheur ! (Armand Colin, 2007), il y a une dizaine d’années. Puis il y a eu le confinement : une belle école de l’ennui pour beaucoup de monde, et que j’ai trouvée pour ma part délicieuse. Il m’a renvoyé à mon enfance, où je me suis beaucoup ennuyé, notamment lors de vacances chez mes grands-parents. C’est un phénomène particulier, qui m’a procuré un sentiment de nostalgie de ces longues heures interminables à ne rien faire.

« Et si c’est l’ennui qui avait permis à l’humanité de devenir intelligente ? », vous demandez-vous dans ce livre. Quand avons-nous commencé à nous ennuyer ?

L’ennui a été sécrété par la civilisation, à partir du moment où l’homme s’est sédentarisé avec l’élevage, l’agriculture… Chez les peuples proches de la nature, le concept d’ennui n’existe pas. C’est lorsque l’homme a commencé à maîtriser le temps, le feu, qu’il a commencé à s’ennuyer. Cela n’aurait pas été le cas s’il était resté chasseur-cueilleur.

Patrick Lemoine est psychiatre, docteur en neurosciences et spécialiste du sommeil. Il a été le directeur médical international de la Division Psychiatrique du groupe de cliniques ORPEA-Clinea.
Il a publié de nombreux ouvrages consacrés au sommeil et à ses troubles, à l’anxiété et au sevrage des médicaments.