Donna J. Haraway (Auteur) Vivre avec le trouble (une philosophie renversante)

Elle nous met la tête à l’envers… Accrochons-nous.

Quand on m’a signalé cette philosophe atypique , j’ai pensé à Martha Nussbaum ‘ réprimer nos émotions ne sert à rien…., mais elles sont trop différente, une seule proximité la singularité…

Féminisme, socialisme, technologies, animalité : Donna Haraway trouble la philosophie, tisse un discours entrelacé, hybride, situé, engagé. Et au coeur de sa pensée, la technique, et une figure : le cyborg. Comment le sortir de la vision viriliste qui lui est associée ? Peut-il devenir féministe ?

« Une philosophie singulière. Mais j’aime découvrir ces penseurs qui innovent tout en chamboulant nos façons de penser. Brrrr,ça fait froid au dos, mais il faut oser, il y a une originalité, un contretemps assumé ». P BC

Quelques idées dans le nouvel obs 17/08/2023 page 42-43.

-Compagnonner avec d’autres espèces…

-Que nous soyons dans une profonde relation d’interdépendance avec tout ce qui nous entoure, depuis les champignons jusqu’aux gaz, en passant par les animaux et les végétaux, nous apparait aujourd’hui comme une évidence.

-Les échanges avec son chien de compagnie nourrissent les travaux de la philosophe

-Si posséder un chien, c’est aussi être possédé par le chien, il n’en demeure pas moins que les égards que l’humain et lui se doivent réciproquement divergent…

 

Prenant au sérieux le besoin d’enfant, elle propose, d’étirer et de recomposer la parenté.

Ce qui signifierait à minima élargir la notion élargir la notion de la famille. » si la nouvelle normalité était que chaque enfant venant au monde ait au moins trois parents dévoués pour toute sa vie.et à maxima faire de la parentèle un principe de relation. Il est grand temps de nous soucier davantage des espèces en tant qu’assemblages-plutôt qu’en prenant une à une « Parentèle »parenté ; parent ou proche ; sont le genre de mots qui assemblent…..

-Chez elle le rire est une forme de gymnastique, qui assouplit l’esprit

-Elle a toujours recours à des histoires plutôt qu’a des raisonnements pour faire avancer  sa pensée. « chaque fois qu’un récit m’aide à me souvenir de ce que je croyais connaître, ou m’initie à quelque nouveau savoir, il y a ce muscle, fondamental pour que l’épanouissement devienne une préoccupation, qui fait  une petite séance d’aérobic. Ce genre d’exercice est bon pour la pensée collective.

Elargir la notion de famille

Face aux désastres entraînés par l’anthropocène et le capitalocène, il y a urgence à penser et agir différemment. Cest ce qu’Haraway propose de faire dans Vivre avec le trouble, en racontant dautres histoires, en renouvelant notre rapport au temps et aux autres espèces. Prenant ses distances avec toute forme de futurisme (du salut technologique aux discours apocalyptiques) elle explore ces temps troublants et troublés que nous vivons afin d’y déceler les possibles qu’ils recèlent. Épaissir le présent,

Donna J. Haraway, née le 6 septembre 1944 à Denver au Colorado, est professeure émérite au département de sciences humaines de l’université de Californie à Santa Cruz, où elle était titulaire de la chaire d’histoire de la conscience et des études féministes.

Influencé(e) par : Sandra G. HardingGregory BatesonPaul FeyerabendGeorge Evelyn Hutchinson

Radio France   dans
Les Chemins de la philosophie   à écouter

 

Féminisme, socialisme, technologies, animalité : Donna Haraway trouble la philosophie, tisse un discours entrelacé, hybride, situé, engagé. Et au coeur de sa pensée, la technique, et une figure : le cyborg. Comment le sortir de la vision viriliste qui lui est associée ? Peut-il devenir féministe ?

Avec

  • Thierry Hoquet Philosophe, professeur à l’Université Paris Nanterre

Connaissez-vous Donna Haraway ?
Philosophe contemporaine, née à Denver en 1944, professeure à l’université de Californie, reconnue à travers le monde, son oeuvre-manifeste, peuplée d’embryons, de singes, de chiens, de cyborg, pétrie de biologie, de nouvelles technologies, de science-fiction, entre le socialisme, le féminisme et le matérialisme a pourtant quelque de…
D’inclassable ? Sûrement pas. De déroutant ? Un peu. De dérangeant ? Au contraire. D’étrange ? C’est sûr? Car une seule de ses pages suffit à vous faire dire : mais que suis-je train de lire ? Est-ce de la philosophie ou une folie ? Comme si on tombait tout à coup sur une terre inexplorée, où tous nos concepts bien appris, bien distingués, s’effondraient.
C’est une expérience étrange, qui nous questionne : pourquoi ai-je pensé ainsi jusqu’ici ?
Laissez-vous entraîner dans l’univers de Donna Haraway, celle qui « préfère être cyborg que déesse »…

L’invité du jour :

Thierry Hoquet, philosophe, professeur à l’Université Paris Nanterre

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Nous sommes tous impliqués dans le monde qui nous entoure

« Donna Haraway est quelqu’un d’engagé. Ce qu’elle fait, c’est véritablement montrer comment on est nécessairement impliqués, intriqués dans des situations qui nous concernent. On est concernés par le capitalisme, par le monde cybernétique, même si on ne travaille pas, même si on est à la maison toute la journée, on est impliqué dans tout un tas de discours qui nous concernent. » Thierry Hoquet

La question de l’identité n’est pas pertinente

« Donna Haraway dit : je préfère être cyborg que déesse. On voit bien là la dimension provocatrice : il ne s’agit pas de mythifier la femme et d’opposer à l’image de la femme dominée, une image de la femme dominante. Est-ce qu’en décrivant le cyborg, elle nous donne une simple description passive de notre condition, sans nous donner les moyens d’agir ? Ce qu’elle nous dit, c’est que nous serons efficaces dans nos luttes, dans la manière dont nous voulons transformer le monde si nous avons la bonne ontologie, c’est à dire si nous pensons le monde tel qu’il est. Si nous le pensons à partir de notions qui sont dépassées, alors notre analyse même de la situation va être fautive. Ce que Haraway décrit, c’est un monde où la question de l’identité n’est pas pertinente. On ne se fédère pas en fonction de son identité mais en fonction d’affinités.«  Thierry Hoquet

Le refus de toute téléologie, de tout grand récit

« Haraway refuse ce qu’on appelle la téléologie : elle refuse les grands récits. Si vous supposez un matriarcat originel où les femmes étaient divinisées, comment expliquer qu’aujourd’hui, le patriarcat est dominant dans toutes les sociétés humaines où la plupart d’entre elles ? On va alors chercher des explications : parce que les femmes étaient plus faibles ? Parce qu’on les a exclues des protéines animales ? Vous allez raconter une histoire qui va vous amener avec un argument de plausibilité depuis la Préhistoire, de manière inéluctable. Vous allez donc raconter une histoire téléologique, une histoire orientée vers aujourd’hui pour expliquer qu’il ne pouvait pas en être autrement que ce qui est arrivé, une sorte de darwinisme à la petite semaine où vous allez expliquer comment des contraintes biologiques, finalement, ont déterminé, ont entraîné la situation actuelle. Le problème dans ces grands récits, dans ces grandes histoires, c’est qu’elles donnent le sentiment d’un monde inéluctable, d’un monde auquel, finalement, on ne peut rien changer puisque la nature l’a voulu ainsi.«  Thierry Hoquet

Textes lus par Hélène Lausseur :

  • Extraits de Donna Haraway, Manifeste Cyborg (1985) dans Le manifeste cyborg et autres essais, traduction de Nathalie Magnan, éditions Exils, 2007
  • Donna Haraway, Vivre avec le troubleIntroduction, traduit de Vivien García, éditions des mondes à faire, pages 7-8

Donna Haraway, pionnière du cyberféminisme

Philosophe et primatologue américaine, Donna Haraway mène bataille depuis les années 1970 contre l’hégémonie de la vision masculine sur la nature et la science.

Usbek & Rica

Philosophe et primatologue américaine, Donna Haraway mène bataille depuis les années 1970 contre l’hégémonie de la vision masculine sur la nature et la science. Ses travaux, qui appellent à saisir les possibilités d’émancipation offertes par les technosciences, ont largement inspiré les mouvements cyberféministes.

Démasculiniser la primatologie

Née à Denver en 1944, Donna Haraway est, selon ses propres termes, « une fille catholique irlandaise » que l’on pourrait qualifier de « suréduquée ». Major en zoologie, philosophie et littérature au Colorado College, elle étudie la philosophie de l’évolution et la théologie à la Fondation Teilhard de Chardin, à Paris. À 26 ans, elle obtient son doctorat en biologie à l’université Yale. Dans ses premiers travaux de primatologue, elle met en lumière comment une vision masculinisée de cette discipline a artificiellement mis l’accent sur « la compétition pour la reproduction et le sexe entre des mâles agressifs et des femelles réceptives ».

Illustration publiée sur Pinterest.

Une manière de démontrer les limites d’une science phallocentrée, qui plaque ses obsessions sur la nature qu’elle observe. Haraway appelle alors les féministes, primatologues ou non, à s’engager davantage dans l’univers de la technoscience.

Féminisme et socialisme

La formation intellectuelle de Donna Haraway doit beaucoup à deux grands mouvements idéologiques du XXe siècle : le socialisme et le féminisme. Elle se définit comme une néomarxiste qui se focalise moins sur la promesse communautaire du communisme que sur sa critique du capitalisme. Une critique qu’elle intègre à ses réflexions féministes.

Une du livre A Cyborg Manifesto.

En 1983, la Socialist Review demande aux féministes américaines de partager leurs réflexions sur l’avenir du socialisme féministe, alors que le républicain Ronald Reagan est au pouvoir. Haraway commence alors l’écriture de ce qui sera son œuvre fondatrice et, plus tard, l’un des piliers du cyberféminisme : A Cyborg Manifesto.

Manifeste cyborg

En 1991, Donna Haraway publie Simians, Cyborgs and Women: The Reinvention of Nature, un livre où elle expose les possibilités offertes par la technoscience pour sortir du patriarcat. Elle y a recours à la métaphore du cyborg, mi-homme mi-machine, ou, plus exactement, ni homme ni machine, pour critiquer l’essentialisme (qui insiste sur des valeurs et comportements typiquement féminins ou masculins) dans lequel on enferme encore les femmes. Le cyborg, selon elle, n’a pas besoin d’une identité essentialiste – ce dont les féministes feraient bien de s’inspirer. « Il n’y a rien, dans le fait d’être une femme, qui lie naturellement les femmes entre elles en une catégorie unifiée. “Être” une femme n’est même pas un état, mais une catégorie hautement complexe, construite par de discutables discours sexuels et scientifiques et autres pratiques sociales », écrit Haraway.

Il n’y a pas de différence fondamentale entre la nature et les machines, entre l’homme et le robot.

Une ligne proche de celle de Judith Butler, la papesse des études de genre, pour qui il existe autant de genres que d’êtres humains. Haraway défend également l’idée selon laquelle il n’y a pas de différence fondamentale entre la nature et les machines, entre l’homme et le robot. Et, ce faisant, ouvre le champ de la technoscience comme un espace de liberté pour les minorités.

Naissance du cyberféminisme

Au début des années 1990, la réflexion féministe autour des technosciences donne naissance au mouvement cyberféministe, qui prendra vite une dimension internationale, quoique très occidentalo-centrée. Ce courant s’ancre dans les travaux de Haraway, mais aussi ceux du collectif australien VNS Matrix, qui publie en 1991 son « Manifeste cyberféministe pour le XXIe siècle », rédigé par l’artiste canadienne Nancy Paterson et la théoricienne britannique Sadie Plant. En 1997, la première conférence internationale cyberféministe, organisée en Allemagne par le Old Boys Network, refuse de définir formellement ce mouvement, préférant dresser l’inventaire à la Prévert de ce qu’il n’est pas.

Illustration publiée sur Inventati.

En 1998, l’artiste américano-paraguayenne Faith Wilding en décrit tout de même les objectifs dans un article de la revue n.paradoxa : « C’est au cyberféminisme d’utiliser les perspectives théoriques et les outils stratégiques du féminisme et de les coupler aux cybertechniques afin de se battre contre le sexisme, le racisme ou le militarisme encodés dans le software et le hardware du Net, politisant ainsi l’environnement. »

Contre l’état de nature

Le cyberféminisme devient dormant dans les années 2000, pour mieux faire son come-back au milieu des années 2010. Le Deep Lab, « congrès » de chercheuses, activistes, artistes et journalistes cyberféministes, voit ainsi le jour en 2013. Et deux ans plus tard, le collectif Laboria Cuboniks publie son manifeste, Xenofeminism: A Politics for Alienation. L’enjeu est désormais de passer de la théorie à la pratique, en définissant des moyens d’action pour mettre les technosciences au service des objectifs féministes.

Interpréter et définir la culture numérique,  partager et créer des outils et des techniques pour y survivre.

Pour l’artiste Addie Wagenknecht, cofondatrice du Deep Lab, cela signifie offrir un médium qui permette aux femmes « d’interpréter et de définir la culture numérique, et de partager et créer des outils et des techniques pour y survivre », comme le résume un article de Motherboard. Pour les membres de Laboria Cuboniks, il s’agit, dans une logique encore plus radicale, d’inventer le féminisme du futur, loin, bien loin de l’état de nature. Mais force est de constater que ces idées tardent, pour l’instant, à se concrétiser en actes.

Réingénierer le monde

Le terme xéno, du grec « étranger », remplace celui de cyborg dans le manifeste Xenofeminism (XF). On retrouve l’influence de Haraway dans ce texte radical, à la fois technocritique et violemment antinaturaliste. Les auteures y promettent un futur où s’accompliront la justice entre les genres, l’émancipation féministe et la fin de la soumission au capitalisme et au travail (productif et reproductif). Le tout grâce à la technoscience : il s’agit de « redonner aux technologies des objectifs politiques progressistes en matière de genre, pour réingénierer le monde ». On retrouve en filigrane la figure du cyborg dans le refus de l’essentialisme qu’une loi naturelle serait censée dicter : « Quiconque s’est trouvé considéré comme “non naturel” par rapport aux normes biologiques régnantes, quiconque a fait l’expérience d’injustices au nom de l’ordre naturel, se rendra compte que la glorification de la “nature” n’a rien à nous offrir. »

Le manifeste se conclut sur ces mots : « Si la nature est injuste, changez la nature ! » Un programme aux accents transhumanistes – le côté mâles blancs capitalistes en moins, puisqu’on y donne le pouvoir aux minorités (femmes, trans, queer). Elon Musk et les héritières de Haraway, ce n’est pas exactement le même combat…

Illustration de une réalisée par Kate Copeland pour Usbek & Rica.

Article paru dans le numéro 18 d’Usbek & Rica. Auteur : Philothée Gaymard.

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