Déclaration sur la Traite négrière et l’esclavage. (Glissant, Soyinka, Chamoiseau)

Que l’Afrique en a subi des dommages pratiquement irréparables et qu’en même temps une énorme part de la richesse de la plupart des pays industrialisés a pris sa source dans ce commerce des esclaves et dans le travail forcé des plantations.

Pierre Carpentier

MÉMOIRES DE L’EAU. « Les songes de nos vivants prennent à l’eau, la source et le sel ! À la terre, le sang et la force ! Au vent, nos sacrifices livrés en confiance. Assez de ces supplices ! Les poèmes ne sont pas fait pour les chiens ! Ils portent nos libertés souveraines ! lls sont le parfum de nos royaumes ! Sois vaillant à la tâche attaquante que nous te confions !

Les dominations nous mitraillent encore mais tu répondras à ce juste tourment du devoir ou détourne toi à jamais de notre appel ! En toutes directions que tu choisisses tu nous reviendras et nos comptes te seront remis ! Pour notre générosité, tiens en partage le calme des eaux ! ».

(Extrait « d’IRACOUBO. L’Épicentre des Eaux », 2014).  » MAIS ALORS, LA GUYANE ? Une infinité que nous imaginons gorgée d’eaux et de bois. Les Guyanais demandent que les Martiniquais et les Guadeloupéens les laissent en paix. Nous avons pas mal colonisé de ce côté.

C’est pourtant comme une attache secrète que nous avons avec le Continent. Une attache poétique, d’autant plus chère que nous y renonçons. D’autant plus forte que fort sera le poids des Guyanais dans leur pays. Des chants comme des rapides à remonter, des poèmes comme autant de bois sans fond. » ÉDOUARD GLISSANT in LE DISCOURS ANTILLAIS (P 775).

10 mai 1998-2016 : DÉCLARATION SUR LA TRAITE NÉGRIÈRE ET L’ESCLAVAGE.    Par ÉDOUARD GLISSANT, WOLE SOYINKA (Nigérian, 1er Prix Nobel Noir de littérature) et PATRICK CHAMOISEAU (Prix Goncourt 1992).

NOUS RAPPELONS   Que dans l’interminable suite des invasions, des massacres, des génocides qui ont marqué l’histoire de l’Humanité, l’un des épisodes les plus considérables par l’ampleur et la quantité de malheurs qu’il a enfanté fût celui de la Traite négrière et du système servile dans les Amériques et dans l’océan indien, qui portèrent sur des dizaines de millions de personnes.

Que l’Afrique en a subi des dommages pratiquement irréparables et qu’en même temps une énorme part de la richesse de la plupart des pays industrialisés a pris sa source dans ce commerce des esclaves et dans le travail forcé des plantations.

Que, pour la commodité de leur exploitation, ces esclaves ne furent pas seulement considérés comme race inférieure et maudite, mais réputés être des animaux et des machines, en dessous du seuil de toute humanité envisageable.

Que cette entreprise fût institutionnalisée, légalisée, justifiée par les morales en vigueur, et qu’elle dégrada tant ses victimes que ceux qui la monnayèrent à leur profit.

Que l’horreur d’un tel marché fût peu à peu abolie de la mémoire des peuples d’Occident et, plus inconcevable encore, de celle des peuples colonisés eux-mêmes.

NOUS RAPPELONS Pour les humanités d’aujourd’hui communiquent entre elles par leurs ravines souterraines ou évidentes, que leurs volcans soufflent par-dessous en traits de feu qui se joignent, que leurs malheurs se soutiennent.

Que leur ouvrage ne serait être poursuivi dans le sens du progrès tant que des non-dits encombreront leurs mémoires d’autant de zones d’ombres paralysantes. Les mémoires des peuples sont désormais solidaires, elles concernentà la fois leurs histoires particulières et leur relation solidaire avec tous les autres peuples.

NOUS RAPPELONS   Qu’il y a eu un lien direct avec l’oubli des genocides, et celui-ci en particulier, et la perpėtuation des intolėrances et des crimes à caractère collectif qui ravagent notre monde.

Qu’ainsi, en marge de toute idée de compensation ou de reconnaissance d’une dette à acquitter, il y va de la santé des peuples de la Terre que la réalité d’un tel événement soit renforcé dans la conscience de tous, qu’elle soit juridiquement et internationalement ėtablie, et que la zone d’ombre soit balayée, le non-dit élucidé.

TOUS ENSEMBLE   Nommons la Traite négrière et l’esclavage perpétrés dans les Amériques et l’océan Indien :

CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ.  Exigeons-le, sans diluer n’ai confondre entre eux ces malheurs, au nom de toutes les tragédies oubliées, de tous les crimes collectifs demeurés impunis, et pour dénoncé tous les attentats qui se commentent aujourd’hui contre la dignité humaine, et en particulier l’ėtat d’esclavage dans lequel sont encore maintenus [illégalement cette fois] des millions de personnes, enfants, jeunes et adultes.

Établissons aussi les modalités et les procédures d’une réparation qui ne procéderait pas de l’esprit de revanche, mais qui serait l’amorce d’une dynamique très saine d’alliance et de connivence entre les peuples concernés par une telle Histoire.

Nous entrons dans l’Archipel inédit où les communautés humaines pourront se connaître et s’équivaloir, et changer en échangeant, sans pour autant se perdre ni se dénaturer. ÉDOUARD GLISSANT    WOLE SOYINKA    PATRICK CHAMOISEAU