Grands Dossiers N° 66 – Mars-avril-mai 2022
Sur Internet, comment s’orienter dans un océan d’informations sans hiérarchie et sans contrôle ? En développant plus spécifiquement le sens critique à l’école.
Rumeurs, perception biaisée du risque, théorie du complot… Si la dérégulation du marché de l’information sur Internet a ses vertus, elle rend parfois virales des propositions intellectuelles radicales (songeons aux arguments antivaccination, par exemple). Cette question est d’autant plus inquiétante qu’elle concerne aussi les jeunes esprits, qui s’informent majoritairement sur la Toile. Elle peut être précédée d’une autre : sommes-nous destinés à l’irrationalité ou pouvons-nous compter sur une certaine disposition à l’esprit critique ? Si, inspirés de la littérature scientifique sur cette question (1), nous proposons de définir l’esprit critique comme la capacité à faire confiance à bon escient, suite à l’évaluation de la qualité des informations, opinions, connaissances à notre disposition (y compris les nôtres), il est important de rappeler que cette compétence est identifiable de façon précoce
Quand les images fabriquent l’opinion Pascale Molinier
Pour manipuler les foules, au temps où les images étaient rares, il fallait les retoucher ou les détourner. À présent qu’elles sont surabondantes, mieux vaut sélectionner avec soin des images réelles pour mieux les propager.
Si la légende du tableau de René Magritte Ceci n’est pas une pipe nous surprend, c’est bien parce qu’avant de voir le tableau, nous voyons la pipe qu’il nous montre. En d’autres termes, nous oublions l’artifice du processus pictural au profit du produit qu’il nous propose. Ainsi que le suggère l’historien de l’art Ernst Gombrich (1), l’image se donne comme un substitut évident de notre activité perceptive immédiate. Il en résulte qu’on lui accorde volontiers le statut de reflet du réel. Probablement plus encore depuis que les images sont produites à partir de dispositifs techniques quasi automatiques censés capturer ces reflets. En bref, pendant longtemps, l’image a pu nous apparaître comme une preuve. Ce statut se renforce à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lors de la libération des camps de la mort (2). C’est peut-être ce qui permet d’expliquer l’acharnement de certains à vouloir manipuler les images dans le
Démasquer les menteurs Claudie Bert
Depuis quelques années, des psychologues étudient des stratégies de détection des mensonges dites « actives ». Grâce à celles-ci, démasquer les menteurs ne paraît plus un objectif inatteignable.
De la femme qui veut savoir si son mari était vraiment en voyage d’affaires, aux parents qui se demandent si leur fille est véritablement en train réviser le bac avec ses copines, jusqu’à l’électeur auquel un candidat jure ses grands dieux qu’il n’a pas touché de pot-de-vin – tous aimeraient savoir si on leur ment. Mais, hormis les appareils de détection de mensonges utilisés dans la sphère judiciaire, existe-t-il des moyens de repérer les menteurs ? Oui, répondent Aldert Vrij, Pär Anders Granhag et Stephen Porter, trois psychologues qui ont mené une recherche approfondie sur le sujet (1). Néanmoins, démasquer les menteurs peut s’avérer complexe.
De la difficulté à trouver les bons indices
Une première difficulté soulevée par les trois psychologues paraît plutôt relever du bon sens : pour trouver la vérité, encore faut-il avoir envie de la chercher ! Il y a des femmes qui ont tellement envie de croire que leur mari
Se soumettre… en toute liberté Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois
Et si la liberté humaine était très différente de l’idée que nous en avons ? Loin de nous inciter à agir selon nos valeurs et aspirations, elle servirait de caution pour justifier des actions auxquelles nous n’avons pas pu nous soustraire.
Il ne viendrait à personne l’idée de contester la valeur de la liberté. Et à nous, en tant que citoyens, moins qu’à quiconque. Pourtant, en tant que psychologues sociaux, nous ne pouvons que nous interroger sur le statut qu’a cette liberté dans nos sociétés précisément dites libérales.
Le mot liberté peut revêtir des significations diverses selon le point de vue considéré. Nous nous en tiendrons ici à l’une de ses significations les plus ordinaires : la liberté est l’état de la personne qui agit comme elle veut et non comme le veut quelqu’un d’autre. Imaginez par exemple qu’un ami vous demande de l’aider à réparer sa voiture. Vous acceptez sans que votre ami fasse pression. Vous aurez donc tendance à penser que vous avez agi en toute liberté, ce qui ne vous a pas empêché d’accepter de réaliser le travail demandé, quand bien même ne l’auriez-vous jamais entrepris de votre propre chef. Il ne s’agit pas là d’une fiction argumentative. Les recherches montrent que les personnes se compo
L’art de se manipuler tout seul Romina Rinaldi
Grands Dossiers N° 66 – Mars-avril-mai 2022
Le pire manipulateur est sans conteste celui qui, à notre insu, nous pousse chaque jour à tirer des conclusions aberrantes, faire les mauvais choix, nous montrer irréalistes et injustes. C’est-à-dire nous-mêmes !
Nous aimons croire à notre propre rationalité et pourtant, au quotidien, nous n’en faisons pas si souvent preuve. Pour cela, nul besoin d’être influencé par les autres : les mauvais choix que nous faisons alors que tout nous indique de rebrousser chemin, les fois où nous restons sur nos positions face aux arguments solides de l’interlocuteur, où nous jugeons hâtivement, et à tort, quelque chose ou quelqu’un… Tout cela, nous y parvenons tout seuls, et très bien ! Mais qu’est-ce qui nous engage à maintenir et reproduire ces comportements irrationnels, inefficaces, voire contre-productifs ? Bien sûr, notre cerveau conservant des traces de son évolution, des régions ancestrales, liées à la survie puis aux émotions, interviennent parfois dans ces comportements irrationnels. Mais la réalité est plus complexe et ces mécanismes font intervenir des facteurs intrinsèques (biologiques et sociaux), et des facteurs extrinsèques, dont la nature peut être assez surprenante…