LES IMPATIENTES Djaïli Amadou Amal (mariage forcé, viol, et femme–chose-silence)

«Pourquoi doit-on tant faire souffrir les femmes ? Partout à travers le monde la femme a été exploitée, clouée au silence et abusée. Le monde évolue et malgré ça, les mentalités changent et persistent. Que faire ? La littérature pour changer les choses…Une femme doit supporter  mais supporter quoi ? et jusqu’à quand et que fait-on de sa liberté.Un excellent roman à lire ou relire P B CISSOKO

Trois femmes, trois histoires, trois destins liés. Ce roman polyphonique retrace le destin de la jeune Ramla, arrachée à son amour pour être mariée à l’époux de Safira, tandis que Hindou, sa soeur, est contrainte d’épouser son cousin. Patience ! C’est le seul et unique conseil qui leur est donné par leur entourage, puisqu’il est impensable d’aller contre la volonté d’Allah. Comme le dit le proverbe peul : « Au bout de la patience, il y a le ciel. » Mais le ciel peut devenir un enfer. Comment ces trois femmes impatientes parviendront-elles à se libérer ?

Mariage forcé, viol conjugal, consensus et polygamie : ce roman de Djaïli Amadou Amal brise les tabous en dénonçant la condition féminine au Sahel et nous livre un roman bouleversant sur la question universelle des violences faites aux femmes

Djaili Amadou Amal, la surprise du Goncourt : « Le mariage forcé est la plus pernicieuse des violences »

Par Ilana Moryoussef

L’écrivaine Djaili Amadou Amal. – .

La surprise de la sélection Goncourt cette année vient de la Camerounaise Djaili Amadou Amal, encore inconnue en France. Son roman, d’inspiration autobiographique, s’intitule « Les impatientes ». Il aborde le sujet sensible des mariages précoces et forcés, et l’enfer de la polygamie.

FRANCE INTER : En France, vous êtes encore inconnue mais dans votre pays, le Cameroun, vous avez obtenu le prix Orange du livre en Afrique. Qui sont les « impatientes » de votre roman ?

DJAILI AMADOU AMAL : « Ce roman a déjà été publié en Afrique sous le titre Munyal, les larmes de la patience. Munyal est un terme peul qui signifie « patience ». L’éditrice française Emmanuelle Colas a souhaité le publier. Nous avons voulu lui donner un titre plus fort qui correspondait davantage à ses héroïnes qui refusent de se conformer aux règles. Ce sont trois femmes confrontées à la violence qui prennent tour à tour la parole pour exprimer ce qu’elles ressentent.

Il y a d’abord Ramla, qui subit un mariage précoce et forcé avec un homme d’une cinquantaine d’années. Il y a sa sœur Hindou, mariée le même jour avec un cousin drogué et alcoolique, avec le silence complice de toute la famille qui espère ainsi canaliser la violence du jeune homme. Enfin, il y a Safira, à qui son mari impose une co-épouse plus jeune que sa fille après vingt de mariage. Cette co-épouse est justement la jeune Ramla. »

Vous prenez soin de montrer la façon dont les relations entre deux femmes évoluent…

« Au début, Safira est persuadée que Ramla veut la supplanter dans le cœur et le lit de son époux. Elle met en œuvre mille stratagèmes pour obtenir son départ. Quand elle comprend que la jeune fille ne lui veut pas de mal, qu’elle souffre aussi de la situation, c’est trop tard.

Chacune des trois femmes du roman essaie d’échapper comme elle peut au poids de la coutume et des traditions. Par la folie, la ruse ou la fuite. Je veux rappeler ici que le mariage précoce et forcé est la plus pernicieuse des violences puisqu’elle entraîne toutes les autres. Elle entraîne le viol conjugal, les violences physiques, économiques et psychologiques ».

Avez-vous vous-même connu des situations proches de celles des héroïnes de votre roman ?

« J’ai été mariée à dix-sept ans à un homme politique d’une cinquantaine d’années qui a utilisé son pouvoir pour m’avoir. Sans le consentement de mon père ! Ce sont mes oncles qui m’ont donnée en mariage. J’en ai beaucoup souffert. Je me suis réfugiée dans la littérature pour pouvoir m’en sortir psychologiquement.

À un moment, comme Ramla dans le roman, j’ai compris qu’il fallait absolument partir de là si je voulais devenir ce que je rêvais de devenir, c’est-à-dire une jeune femme normale vivant au XXIème siècle. C’était une décision difficile, mais nécessaire pour ma propre survie. J’avais déjà deux filles et je me suis demandé ce qu’elles deviendraient si je ne faisais rien. La réponse était simple : à quatorze ou quinze ans, on les aurait mariées sans que je puisse rien faire pour les protéger. »

Comment avez-vous vécu votre arrivée dans une maison où il y avait déjà une autre épouse ?

« J’avais l’impression de vivre une scène de film : « Est-ce bien moi qu’on est en train de marier à quelqu’un que je ne connais pas et que je ne veux pas connaître ? » Les filles de ma co-épouse étaient beaucoup plus âgées que moi !

Je venais d’entrer au lycée et la seule chose que j’ai pu obtenir était de continuer à aller en cours. Mais imaginez la situation : j’étais en même temps la femme du maire et élève au lycée ! Je garais ma voiture à côté de celle du directeur. Les professeurs me vouvoyaient. C’était très bizarre, mais j’avais conscience d’avoir de la chance car depuis la sixième, mes amies désertaient les bancs de l’école pour se marier les unes après les autres. Moi, au moins, je pouvais continuer à étudier ! En terminale, nous étions à peine cinq filles pour une trentaine de garçons. »

N’y a-t-il pas des lois pour empêcher les mariages précoces ?

« La Constitution camerounaise interdit le mariage des filles avant l’âge de 16 ans. Mais cette loi n’est pas respectée [Djaili Amadou Amal est originaire du nord du Cameroun, ndlr].

Les filles subissent des mariages religieux et coutumiers qui le plus souvent ne sont pas suivis de mariages civils. Elles sont de simples concubines et lorsqu’elles sont répudiées, elles n’ont droit à aucune pension alimentaire. Quelquefois, leurs enfants ne sont même pas reconnus. »

Lorsque vous êtes partie, comment vous êtes-vous débrouillée, seule avec deux petites filles ?

« Je suis allée chez mon frère et, dans un premier temps, j’ai confié mes filles à ma mère. Puis mon ex-époux les a fait kidnapper et je ne les ai pas vues pendant plus de deux ans. C’était une épreuve très dure. Aujourd’hui, nous avons surmonté cela toutes les trois. Ma fille aînée a vingt ans, elle est en licence de droit. La cadette a 19 ans et vient d’entrer à l’université. Elle hésite entre la psychologie et le management. Je suis très fière des jeunes femmes qu’elles sont en train de devenir. Quant à moi, j’ai refait ma vie. »

Vous êtes devenue une écrivaine engagée ?

« Absolument. Après la parution de mon premier roman il y a dix ans, j’ai créé l’association Femmes du Sahel pour encourager la scolarisation des petites filles. Nous parrainons des filles en prenant en charge leur scolarité. Nous faisons beaucoup de causeries éducatives avec les parents, aussi bien les mères que les pères, pour leur faire comprendre l’importance de l’éducation.

Nous sensibilisons les filles à l’importance de continuer leurs études, d’avoir un diplôme et d’apprendre un métier. Nous leur apprenons aussi à se prémunir contre les violences. Parce que l’obstacle à l’éducation des filles, au-delà des mariages précoces et forcés, ce sont les violences auxquelles elles sont confrontées à l’école et sur le chemin de l’école. »

Dans l’echo.be

«Djaïli Amadou Amal: « Le mariage précoce est la violence la plus pernicieuse »

ALIÉNOR DEBROCQ 

L’autrice camerounaise est en lice pour le Goncourt avec « Les Impatientes », lauréat du Prix Orange du livre en Afrique 2019.

Peule et musulmane, née d’un père camerounais et d’une mère égyptienne, l’écrivaine Djaïli Amadou Amal expose le mariage forcé, le viol conjugal et la polygamie à travers le destin de trois femmes du Sahel : un roman choral sans concessions, déjà remarqué en Afrique et sorti en France cet automne dans une toute nouvelle édition…

Djaïli Amadou Amal, vous dites avoir été sauvée par la littérature: une façon d’échapper au destin qui était le vôtre et que vous partagez avec de nombreuses femmes peules, mariées contre leur gré?

Lire a été une thérapie – la seule façon de m’évader quand j’étais jeune mariée, et à tous les moments difficiles de ma vie. La création de bibliothèques est, pour mon association Femmes du Sahel, une activité primordiale: nous en créons dans les milieux ruraux, où les enfants passent parfois toute leur jeunesse sans lire un seul livre! Là-bas, tous les petits garçons rêvent de devenir chauffeur de camion et toutes les filles, d’être maman. Ils n’ont pas d’autre image de la réussite, aucune ambition. Leur apporter des livres, c’est leur ouvrir des portes sur d’autres paysages, d’autres métiers, d’autres rêves. à m’en sortir,

Est-ce que les mentalités sont en train de changer?

Ça ne peut que changer selon la marche du monde, entre autres grâce aux moyens de communication, mais il y a quand même certains aspects où l’on régresse, notamment à cause du terrorisme et du wahhabisme. La condition des femmes au Sahel, et partout en Afrique subsaharienne – Cameroun, Sénégal, Mali, Guinée –, est la même chez les Musulmans que chez les Chrétiens. Ce n’est que par le biais de l’éducation qu’on peut changer les mentalités. L’autonomie financière permet aux femmes de s’affranchir progressivement. J’insiste beaucoup dans mes romans sur le mariage précoce comme étant la violence la plus pernicieuse car il entraîne automatiquement toutes les autres formes de violence, notamment économique, en empêchant les femmes de terminer leurs études, de suivre une formation, de travailler.

Dans le roman, Ramla parvient à garder contact avec le monde grâce à son ordinateur!

Tout le monde aujourd’hui a un téléphone, même dans les milieux ruraux où on manque d’électricité! Les femmes aussi sont connectées, et c’est d’autant plus difficile pour elles de voir ce qui se passe ailleurs tout en étant happées par leur société patriarcale. Les jeunes aspirent à une vie plus moderne mais la tradition demeure: ils se sentent déchirés entre deux cultures diamétralement opposées. Il faudrait pouvoir concilier les deux – être une femme de son temps sans renier ses valeurs et sa culture. C’est pour cette raison que je tiens à aller moi-même à la rencontre des femmes: pour leur montrer que je suis comme elles. J’ai été mariée de force à 17 ans mais j’ai finalement réussi à m’en sortir, à me faire respecter et à élever mes filles autrement, tout en restant dans ma culture. Il faut que d’autres femmes qui travaillent et ont un statut social en parlent également.

Vous montrez bien que les places assignées à chaque sexe le sont dès la naissance…

Dans ma langue, on n’emploie pas le même mot pour la naissance d’un garçon ou d’une fille. La fille qui naît n’appartient pas à sa famille car son destin est de quitter la concession pour se marier très jeune. Les mères ont donc tendance à moins s’impliquer dans leur éducation. Il ne faut pas non plus oublier les violences à l’encontre des filles sur le chemin de l’école, le manque de protections hygiéniques, le mariage précoce, les travaux domestiques: tout cela entrave leur parcours scolaire! À quoi leur servirait de faire des études quand le plus important pour elles est de tenir un foyer? Dans mon association, nous faisons de la sensibilisation pour faire prendre conscience aux femmes du pouvoir qui est le leur. Un homme violent avec sa femme et ses enfants, c’est un garçon qui a été mal éduqué par sa mère. Les femmes ne se rendent pas compte qu’elles perpétuent elles-mêmes les violences!

Dans le livre, trois femmes parlent d’un même sujet, le mariage forcé…

Je n’aime pas les styles linéaires, j’aime entrecouper mes récits. Ce roman est universel parce qu’il parle des violences faites aux femmes, quelles qu’elles soient. En France, il suscite une prise de conscience. Le viol conjugal reste un sujet tabou dans toutes les sociétés. Je vois ma collaboration avec Emmanuelle Collas comme une opportunité de pouvoir faire passer le message au-delà des frontières et de trouver des solutions sur le plan international, ce qui sera plus efficacete très élevé – l’équivalent de 150 euros pour un Européen.

Qu’en est-il du point de vue des hommes? Votre roman nuance par moments leur portrait…

Dans mon premier roman, on suivait les points de vue de quatre épouses d’une même concession et finalement du mari! Mais les hommes ont tellement parlé d’eux qu’il est temps que les femmes s’expriment avant tout à propos d’elles.

Contrairement à d’autres auteurs africains, qui se font d’abord connaître en Europe, vous avez commencé par être publiée au Cameroun, puis à rayonner partout en Afrique…

Quand j’ai commencé à écrire, il y a dix ans, c’était par nécessité, parce que je voulais dénoncer les choses qui n’allaient pas, briser les tabous. Il fallait qu’une femme se lève et dise tout haut ce que toutes les autres pensaient tout bas. Il fallait que les femmes mais aussi les hommes lisent cela. J’ai donc privilégié la diffusion de mes livres en Afrique, notamment pour une raison économique: le prix d’un livre publié en Europe, pour un Africain qui a un salaire moyen, reste très élevé – l’équivalent de 150 euros pour un Européen! Les livres publiés en Afrique sont 3 à 4 fois moins chers et mieux diffusés. Dès le premier roman, j’ai eu un énorme succès, et celui-ci – le troisième – a obtenu le Prix Orange du livre en Afrique 2019, ce qui lui a donné une très grande visibilité jusqu’en France, au Festival Étonnants Voyageurs. Mon cas donne un espoir terrible aux jeunes, qui voient qu’on peut rester dans son pays et parvenir à se faire connaître en Occident. Ça montre que c’est possible!

L’écrivaine Djaili Amadou Amal. – .

La surprise de la sélection Goncourt cette année vient de la Camerounaise Djaili Amadou Amal, encore inconnue en France. Son roman, d’inspiration autobiographique, s’intitule « Les impatientes ». Il aborde le sujet sensible des mariages précoces et forcés, et l’enfer de la polygamie.

FRANCE INTER : En France, vous êtes encore inconnue mais dans votre pays, le Cameroun, vous avez obtenu le prix Orange du livre en Afrique. Qui sont les « impatientes » de votre roman ?

DJAILI AMADOU AMAL : « Ce roman a déjà été publié en Afrique sous le titre Munyal, les larmes de la patience. Munyal est un terme peul qui signifie « patience ». L’éditrice française Emmanuelle Colas a souhaité le publier. Nous avons voulu lui donner un titre plus fort qui correspondait davantage à ses héroïnes qui refusent de se conformer aux règles. Ce sont trois femmes confrontées à la violence qui prennent tour à tour la parole pour exprimer ce qu’elles ressentent.

Il y a d’abord Ramla, qui subit un mariage précoce et forcé avec un homme d’une cinquantaine d’années. Il y a sa sœur Hindou, mariée le même jour avec un cousin drogué et alcoolique, avec le silence complice de toute la famille qui espère ainsi canaliser la violence du jeune homme. Enfin, il y a Safira, à qui son mari impose une co-épouse plus jeune que sa fille après vingt de mariage. Cette co-épouse est justement la jeune Ramla. »

Vous prenez soin de montrer la façon dont les relations entre deux femmes évoluent…

« Au début, Safira est persuadée que Ramla veut la supplanter dans le cœur et le lit de son époux. Elle met en œuvre mille stratagèmes pour obtenir son départ. Quand elle comprend que la jeune fille ne lui veut pas de mal, qu’elle souffre aussi de la situation, c’est trop tard.

Chacune des trois femmes du roman essaie d’échapper comme elle peut au poids de la coutume et des traditions. Par la folie, la ruse ou la fuite. Je veux rappeler ici que le mariage précoce et forcé est la plus pernicieuse des violences puisqu’elle entraîne toutes les autres. Elle entraîne le viol conjugal, les violences physiques, économiques et psychologiques ».

Avez-vous vous-même connu des situations proches de celles des héroïnes de votre roman ?

« J’ai été mariée à dix-sept ans à un homme politique d’une cinquantaine d’années qui a utilisé son pouvoir pour m’avoir. Sans le consentement de mon père ! Ce sont mes oncles qui m’ont donnée en mariage. J’en ai beaucoup souffert. Je me suis réfugiée dans la littérature pour pouvoir m’en sortir psychologiquement.

À un moment, comme Ramla dans le roman, j’ai compris qu’il fallait absolument partir de là si je voulais devenir ce que je rêvais de devenir, c’est-à-dire une jeune femme normale vivant au XXIème siècle. C’était une décision difficile, mais nécessaire pour ma propre survie. J’avais déjà deux filles et je me suis demandé ce qu’elles deviendraient si je ne faisais rien. La réponse était simple : à quatorze ou quinze ans, on les aurait mariées sans que je puisse rien faire pour les protéger. »

Comment avez-vous vécu votre arrivée dans une maison où il y avait déjà une autre épouse ?

« J’avais l’impression de vivre une scène de film : « Est-ce bien moi qu’on est en train de marier à quelqu’un que je ne connais pas et que je ne veux pas connaître ?«  Les filles de ma co-épouse étaient beaucoup plus âgées que moi !

Je venais d’entrer au lycée et la seule chose que j’ai pu obtenir était de continuer à aller en cours. Mais imaginez la situation : j’étais en même temps la femme du maire et élève au lycée ! Je garais ma voiture à côté de celle du directeur. Les professeurs me vouvoyaient. C’était très bizarre, mais j’avais conscience d’avoir de la chance car depuis la sixième, mes amies désertaient les bancs de l’école pour se marier les unes après les autres. Moi, au moins, je pouvais continuer à étudier ! En terminale, nous étions à peine cinq filles pour une trentaine de garçons. »

N’y a-t-il pas des lois pour empêcher les mariages précoces ?

« La Constitution camerounaise interdit le mariage des filles avant l’âge de 16 ans. Mais cette loi n’est pas respectée [Djaili Amadou Amal est originaire du nord du Cameroun, ndlr].

Les filles subissent des mariages religieux et coutumiers qui le plus souvent ne sont pas suivis de mariages civils. Elles sont de simples concubines et lorsqu’elles sont répudiées, elles n’ont droit à aucune pension alimentaire. Quelquefois, leurs enfants ne sont même pas reconnus. »

Lorsque vous êtes partie, comment vous êtes-vous débrouillée, seule avec deux petites filles ?

« Je suis allée chez mon frère et, dans un premier temps, j’ai confié mes filles à ma mère. Puis mon ex-époux les a fait kidnapper et je ne les ai pas vues pendant plus de deux ans. C’était une épreuve très dure. Aujourd’hui, nous avons surmonté cela toutes les trois. Ma fille aînée a vingt ans, elle est en licence de droit. La cadette a 19 ans et vient d’entrer à l’université. Elle hésite entre la psychologie et le management. Je suis très fière des jeunes femmes qu’elles sont en train de devenir. Quant à moi, j’ai refait ma vie. »

Vous êtes devenue une écrivaine engagée ?

« Absolument. Après la parution de mon premier roman il y a dix ans, j’ai créé l’association Femmes du Sahel pour encourager la scolarisation des petites filles. Nous parrainons des filles en prenant en charge leur scolarité. Nous faisons beaucoup de causeries éducatives avec les parents, aussi bien les mères que les pères, pour leur faire comprendre l’importance de l’éducation.

Nous sensibilisons les filles à l’importance de continuer leurs études, d’avoir un diplôme et d’apprendre un métier. Nous leur apprenons aussi à se prémunir contre les violences. Parce que l’obstacle à l’éducation des filles, au-delà des mariages précoces et forcés, ce sont les violences auxquelles elles sont confrontées à l’école et sur le chemin de l’école. »

Les avis

« On suit les destins des Ramla et Hindou, à peine dix sept ans et mariées de force, celui de Serafia, qui refuse la polygamie pourtant courante au Sahel. Le titre est un déchirement, un coup de poing auquel on repense en refermant le livre qu’on ne peut lâcher malgré la tension à chaque page. La patience c’est le concept qu’on rabâche, qu’on « conseille » aux femmes lors de leurs mariages. Patientes pourquoi ? Patientes quand elles se font battre, patientes quand elles font violer, bref, surtout soumises et patientes dans la longue attente de la mort. Ce sont trois femmes qui cherchent à se rebeller, tout en douceur et avec tout le désespoir, par la pauvre lucarne de liberté à laquelle elles ont difficilement accès.

« Patience, mes filles » est le leitmotiv entendu par des milliers de Camerounaises, du berceau à leur tombe. Ou presque. Enseignée et transmise de mère en fille, de génération en générations, cette vertu maintient ainsi les femmes dans un silence qui dissimule bien des maltraitances. Dans ce roman choral, la voix de Ramla se mêle à celles de Safira et d’Hindou. Quelques que soient leur position, de première ou d’énième épouses, elles disent toutes à leur manière une condition féminine faite de soumission et d’enfermement dans des prisons plus ou moins dorées. Pourtant alors que le poids de la tradition et la société les contraignent, elles ne rêvent que de liberté et d’émancipation ! Multi primé, ce livre par son sujet et sa plume vigoureuse donne, avec un talent rare, un éclairage tonique et vibrant sur une nouvelle génération de femmes qui n’aspirent qu’à une indépendance de destin. Une lecture aussi inspirante qu’indispensable.

«Maroua, Nord du Cameroun. Ramla, une jeune fille de dix-sept ans en terminale scientifique d’enseignement général et Hindou, sa demi-sœur qui a à peu près le même âge, qu’on s’apprête à marier, sont amenées devant les hommes de la famille pour la traditionnelle adresse. Ramla : « Les conseils d’usage, qu’un père donne à sa fille au moment du mariage et, par ricochet, à toutes les femmes présentes, on les connaissait déjà par cœur. Ils ne se résumaient qu’à une seule et unique recommandation : soyez soumises ! Accepter tout de nos époux. Il a toujours raison, il a tous les droits et nous, tous les devoirs. Si le mariage est une réussite, le mérite reviendra à notre obéissance, à notre bon caractère, à nos compromis; si c’est un échec, ce sera notre seule faute. Et la conséquence de notre mauvais comportement, de notre caractère exécrable, de notre manque de retenue. Pour conclure, patience, munyal face aux épreuves, à la douleur, aux peines. » (p. 77) Il y avait bien longtemps qu’un roman ne m’avait fait ressentir autant d’émotions : colère, larmes, impuissance… La forme chorale réussit particulièrement bien à faire ressentir toute la détresse de ces jeunes femmes dont on dispose dans la mesure où elles ne s’appartiennent pas; qu’on homme désire les posséder et leur sort en est jeté. Victimes de la violence intrafamiliale, de violence physique et psychologique et de viols conjugaux (le sort d’Hindou est particulièrement révoltant…), elles vivent dans la terreur d’être répudiée s’il advenait qu’elles cessent de se conformer à ce qui est attendu d’elles, ou qu’on se lasse tout simplement d’elles… Émouvant et révoltant tout à la fois, surtout lorsque l’on sait que l’auteure a elle-même été mariée de force, Les Impatientes est un roman magistral.