Yambo Ouologuem ou le retour de l’écrivain maudit et le prix Goncourt 2021 de M Mbougar SARR

Quand on a la plume on peut tout écrire et dire pour discréditer l’autre, c’est pourquoi Ki Zerbo nous a invité à écrire même si c’est mauvais au moins ils sauront qu’il y aura de la riposte. Mais quand le terrain est vierge tous les coups sont permis -Tabula rasa -vide culturel –etc. Le Pr Dibril SAMB a écrit sur le concept de plagiat dans l’antiquité dans son ouvrage Etudes de philosophie ancienne et médievale , l’Harmattan 2020. Je rappelle a ma promotion d’il y a 32 ans à l’UCAD nous avions eu ce cours avec le dit Professeur, c’est un sujet qu’il disait devoir aborder comme cela se fait dans les universités du monde. Je l’en remercie  Pape CISSOKO

Yombo oublié et Mbougar SARR dit non, il mérite notre attention.

CHRONIQUE Abdourahman Waberi  Le Monde Afrique

Cinquante ans après sa sortie fracassante, « Le Devoir de violence », œuvre phare de l’auteur malien, sort enfin du purgatoire, raconte notre chroniqueur.

Publié le 15 mai 2018 à 14h36 – Mis à jour le 15 mai 2018

L’écrivain malien Yambo Ouologuem, lauréat du prix Renaudot 1968 pour son livre « Le Devoir de violence », à Copenhague, en août 1971. AFP FILES / AFP

Chronique. Qu’on se le dise une bonne fois, Mai 68 n’a pas laissé son empreinte que dans l’imaginaire des ouvriers et des étudiants français. De Prague à Dakar, de Berlin à Oakland en passant par Tunis, le joli mois de 1968 fit partout l’effet d’un tsunami. Les dieux avaient-ils décidé de tout chambouler cette année-là ? Toujours est-il qu’à l’automne, c’est un Africain de 28 ans, inconnu jusqu’alors, qui remporta le prix Renaudot. Le Malien Yambo Ouologuem entra dans les annales avec son premier roman, Le Devoir de violence, publié aux éditions du Seuil, classées à gauche et sensibles aux voix de cette humanité que l’on appelait encore le tiers-monde.

Né le 22 août 1940 à Bandiagara, au centre du pays dogon, Yambo Ouologuem fait son lycée à Bamako et part en France en 1960 pour y poursuivre d’excellentes études universitaires (prépa à Henri-IV, Ecole normale supérieure de Saint-Cloud, fac de lettres et d’anglais), couronnées par un doctorat de sociologie. Professeur de lycée à Charenton le jour, écrivain la nuit, Yambo Ouologuem fomente sa révolution en toute tranquillité. Personne ne peut le soupçonner de quoi que ce soit, personne ne le connaît, ni dans la France gaulliste ni ailleurs.

Meurtre symbolique des pères

En Afrique, les dernières possessions portugaises (Angola, Mozambique) s’abîment dans une longue guerre civile, victimes de la guerre froide et de la prédation néocoloniale. Après l’euphorie des indépendances, souvent purement formelles, les nuages noirs s’accumulent sur le reste du continent au fur et à mesure que les coups d’Etat se multiplient.

Dans les milieux artistiques et intellectuels, souvent pris dans l’engrenage politique, l’heure est au désenchantement. « Adieu à la négritude », claironnent de concert les vieux compagnons de route de Senghor et les jeunes étudiants impatients. Ce meurtre symbolique des pères annonce une série de remises en question. Il est accompli par Yambo Ouologuem avec panache et talent. Avec ambition aussi.

Son roman est une fresque qui s’étend sur huit siècles dans un empire africain et renouvelle de fond en comble l’image que les Européens et les Africains (occidentalisés et islamisés) projettent sur l’Afrique. L’entreprise de démolition est colossale, les premières phrases donnent le ton :

« Nos yeux boivent l’éclat du soleil, et, vaincus, s’étonnent de pleurer. Maschallah ! oua bismillah !… Un récit de l’aventure sanglante de la négraille – honte aux hommes de rien ! – tiendrait aisément dans la première moitié de ce siècle ; mais la véritable histoire des Nègres commence beaucoup, beaucoup plus tôt, avec les Saïfs, en l’an 1202 de notre ère, dans l’Empire africain de Nakem, au sud du Fezzan, bien après les conquêtes d’Okba ben Nafi el Fitri. »

Après le succès, la chute

Chefs spirituels et temporels, monarques d’hier ou roitelets postcoloniaux, nulle autorité n’est épargnée par la fureur romanesque de Yambo Ouologuem, que viendra conforter la charge d’Ahmadou Kourouma (Les Soleils des indépendances). Cette rupture formelle et thématique est parachevée dix ans plus tard, toujours au Seuil, par deux nouvelles plumes enragées et iconoclastes : le Congolais Sony Labou Tansi (La Vie et demie, 1979), trop tôt disparu, et le Guinéen Tierno Monénembo (Les Crapauds-brousse, 1979), futur récipiendaire du prix Renaudot en 2008.

Lire aussi  Alain Mabanckou : « Il est toujours sous-entendu que l’écrivain noir africain a une mission »

Après le succès, la chute. En 1971, « l’affaire Ouologuem » éclate lorsqu’un chercheur américain dévoile d’étranges similitudes entre Le Devoir de violence et Le Dernier des Justes, d’André Schwarz-Bart, publié également au Seuil et prix Goncourt 1959. D’autres accusations de plagiat sont lancées quelques mois plus tard. L’auteur est cloué au pilori, son éditeur ne le défend guère. Face à la meute, le styliste malien publie un manifeste pour sa défense et un récit érotique sous pseudonyme. Ecœuré, Yambo Ouologuem finit par se retirer au Mali, rompant tout contact avec le monde littéraire, puis avec tout ce qui lui rappelle l’Occident. Retiré dans son monde intérieur, il ne parlera plus de son œuvre passée. Il n’écrira plus jamais.

Un demi-siècle après son entrée fracassante sur la scène littéraire et quarante-cinq ans après l’opprobre, l’œuvre du natif de Bandiagara sort enfin du purgatoire grâce aux efforts renouvelés d’un petit cercle d’admirateurs appuyés par les ayants droit. Le roman polémique vient de ressortir aux éditions du Seuil, après celles du Serpent à plumes en 2003. Mieux : le pôle pour les études africaines de la faculté de lettres de l’université de Lausanne organise, en collaboration avec l’université de Strasbourg, un colloque international de deux jours sur l’œuvre de l’écrivain maudit. Gageons que ces rencontres et cette réédition ouvriront le bal d’une série de célébrations et d’hommages dédiés à l’écrivain malien décédé en octobre 2017 dans sa bonne ville de Sévaré.

Le Devoir de violence, de Yambo Ouologuem, éditions du Seuil, 304 pages, 19 euros.

Abdourahman A. Waberi est un écrivain franco-djiboutien, professeur à la George-Washington University et auteur, entre autres, de Moisson de crânes (2000), d’Aux Etats-Unis d’Afrique (2006) et de La Divine Chanson (2015).

Abdourahman Waberi(chroniqueur Le Monde Afrique)

Yambo Ouologuem ou le retour de l’écrivain maudit (lemonde.fr)

Aujourd’hui le 03/11/2021  le Goncourt

« Derrière le Goncourt 2021, le destin tragique de Yambo Ouologuem

Mohamed Mbougar Sarr a reçu le prix Goncourt 2021 pour son roman « La plus secrète mémoire des hommes », une fiction qui s’inspire du discrédit qu’a vécu l’auteur malien Yambo Ouologuem.

Par Valentin Etancelin

KEYSTONE-FRANCE VIA GETTY IMAGESYambo Ouologuem, ici en 1968 au moment de la remise de son prix Renaudot.

LITTÉRATURE – C’est une victoire pleine de sens. Ce mercredi 3 novembre, le prix Goncourt 2021 a été remis à l’auteur sénégalais Mohamed Mbougar Sarr pour son quatrième et dernier roman La plus secrète mémoire des hommes, paru aux éditions Philippe Rey au mois d’août dernier.

Son histoire est celle d’un certain Diégane Latyr Faye, un jeune écrivain sénégalais installé à Paris qui, bouleversé par la découverte d’un livre paru en 1938, décide d’enquêter sur le récit qui se cache derrière ce roman. Une quête qui va l’emmener sur les traces de son auteur, T.C. Elimane, au Sénégal, en Argentine, à Amsterdam et à Paris.

Mémoire de la colonisation, de la Première Guerre mondiale, de la Shoah… Dans son livre, l’auteur de 31 ans creuse dans les souvenirs et l’histoire mystérieuse d’un auteur disparu des radars. Ce récit, mêlant fiction et vérité, ne vient pas de nulle part, il est inspiré du destin tragique de l’écrivain malien Yambo Ouologuem.

Décédé en 2017 à l’âge de 77 ans, il est le vainqueur du prix Renaudot en 1968 pour son premier roman Le Devoir de violence. C’est la première fois dans l’histoire de la prestigieuse récompense qu’un homme originaire du continent africain reçoit cette distinction. Mais voilà, le jeune écrivain qu’il est n’a pas longtemps savouré sa victoire.

Et pour cause, de nombreuses voix s’élèvent presque aussitôt pour dénoncer ses écrits, estimant que le texte de Yambo Ouologuem, une saga fictionnelle sur huit siècles sur des seigneurs féodaux africains du nom des Saïfs, insinue que des chefs locaux ont contribué au colonialisme en Afrique. On lui reproche d’être un traître, surtout au regard du contexte international des années 1960, période des indépendances.

L’affaire du “plagiat”

La colère à son égard ne désemplit pas. Pis, elle est accompagnée d’une polémique parallèle. Au même moment, des auteurs reconnaissent dans les lignes de Yambo Ouologuem leurs propres textes. Certains, comme André Schwartz-Bart, sont flattés. D’autres portent plainte, à l’instar de l’auteur anglais Graham Greene.

Yambo Ouologuem ne s’est jamais caché de ces emprunts. Ils s’inscrivent dans sa pratique littéraire. Cependant, comme se remémore la Radio télévision Suisse, “il n’est pas encore question d’intertextualité [terme désignant l’ensemble de textes mis en relation dans un seul et unique texte, NDLR] à l’époque et les emprunts nombreux et avérés à Maupassant, Flaubert, la Bible ou le Coran font scandale”.

Le scandale est tel qu’il pousse son éditeur, les éditions du Seuil, à rétropédaler. Le Devoir de violence est retiré du marché. Yambo Ouloguem, lui, se sent discrédité. Il quitte Paris et décide de rentrer au Mali, pays depuis lequel il publie en 1969 Letttre à la France nègre, texte dans lequel il dit vouloir mettre à mal les idées reçues sur les rapports ambigus entre Noirs et Blancs.

D’autres romans vont suivre, notamment un livre empreint d’érotisme intitulé Les mille et une Bibles du sexe. Mais voilà, reclus à Sévaré, il abandonne rapidement la littérature et l’écriture. Il ne veut plus entendre parler de ses livres et souhaite se tenir à distance de son passé. Alors même qu’il renoue avec sa piété musulmane, les informations à son sujet se font de plus en plus rares au cours des années, certaines personnes le déclarant même mort dix ans avant son véritable décès.

Une œuvre en réhabilitation

Depuis, on tente de réhabiliter son travail. “Cette affaire, selon le professeur en littérature francophone Romuald Fonkoua, cachait au fond l’avènement dans le champ de la littérature noire africaine subsaharienne d’un écrivain qui a décidé de faire de la littérature une activité individuelle, autonome et authentique de création à un moment où cette dimension quasi professionnelle n’est pas d’actualité dans les sociétés postcoloniales dominées.”

Des documents découverts en 2018 ont apporté de nouveaux éclairages sur l’affaire des plagiats. “On y découvre que, contrairement à ce qui a été dit, l’initiative d’écrire un remake africain du Dernier des Justes d’André Schwarz-Bart ne vient pas du Seuil mais, sciemment ou non, de Ouologuem”, explique au Point l’écrivain et chercheur Jean-Pierre Orban.

“Que le manuscrit a été retravaillé pendant l’hiver 1967-1968 de concert entre Ouologuem et son éditeur François-Régis Bastide. Que personne, au Seuil, ni ailleurs, sauf une exception [Robert Kanters, du Figaro Littéraire], ne décèle clairement les emprunts à Schwarz-Bart, ou en tout cas ne les prend en compte”, poursuit-il.

Dans son pays, Yambo Ouloguem est aujourd’hui considéré comme un écrivain illustre. À chaque rentrée littéraire, un prix en son nom est décerné pour récompenser une œuvre francophone d’un auteur du continent africain. Tandis que Le devoir de violence a été réédité au Seuil, en 2018, la victoire de Mohamed Mbougar Sarr ravive, elle, sa mémoire.

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