Vivre avec nos morts – Delphine Horvilleur  ED GRASSET 

Il est très important de comprendre cette chose que nous aimons fuir, alors qu’il faut l’accepter comme faisant partie de nous, il faudra trouver les mots justes pour apaiser les souffrances et l’absence- l’écouter dans la grande Librairie du 13/04/2022»PBC

« Tant de fois je me suis tenue avec des mourants et avec leurs familles. Tant de fois j’ai pris la parole à des enterrements, puis entendu les hommages de fils et de filles endeuillés, de parents dévastés, de conjoints détruits, d’amis anéantis… »
Etre rabbin, c’est vivre avec la mort : celle des autres, celle des vôtres. Mais c’est surtout transmuer cette mort en leçon de vie pour ceux qui restent : « Savoir raconter ce qui fut mille fois dit, mais donner à celui qui entend l’histoire pour la première fois des clefs inédites pour appréhender la sienne. Telle est ma fonction. Je me tiens aux côtés d’hommes et de femmes qui, aux moments charnières de leurs vies, ont besoin de récits. »
A travers onze chapitres, Delphine Horvilleur superpose trois dimensions, comme trois fils étroitement tressés : le récit, la réflexion et la confession. Le récit d’ une vie interrompue (célèbre ou anonyme), la manière de donner sens à cette mort à travers telle ou telle exégèse des textes sacrés, et l’évocation d’une blessure intime ou la remémoration d’un épisode autobiographique dont elle a réveillé le souvenir enseveli.
Nous vivons tous avec des fantômes : « Ceux de nos histoires personnelles, familiales ou collectives, ceux des nations qui nous ont vu naître, des cultures qui nous abritent, des histoires qu’on nous a racontées ou tues, et parfois des langues que nous parlons. » Les récits sacrés ouvrent un passage entre les vivants et les morts. « Le rôle d’un conteur est de se tenir à la porte pour s’assurer qu’elle reste ouverte » et de permettre à chacun de faire la paix avec ses fantômes…

UN LECTEUR

Ce « petit traité de la consolation » est un grand livre que je recommande à ceux qui envisagent de mourir un jour et, beaucoup plus largement, à tous ceux dont la famille ou l’entourage sera visité un jour par Azraël, « l’ange de la mort ».
Conteuse merveilleuse, Delphine Horvilleur, a croisé Elsa Cayat, la psy assassinée de Charlie Hebdo, et Marc, son correspondant, Simone Veil et Marceline Loridan, les « filles de Birkenau », Yitzhak Rabin, mais aussi Moïse, Ilan Halimi, et des anonymes, Ariane, Isaac ou Sarah dont elle a présidé les cérémonies au cimetière, et Myriam, l’américaine qui a survécu à son inhumation new-yorkaise, et enfin son oncle Edgar, inhumé au cimetière alsacien de Westhoffen.
Onze chapitres qui révèlent une attention, une culture, une écoute, une intelligence et un humour extraordinaire enraciné dans une culture juive (et laïque) nourrie au quotidien de rencontres avec des personnes confrontées à la mort ou à un décès, les unes croyantes, voire pratiquantes, les autres agnostiques ou athées. Chacune avec ses doutes, ses espérances, sa foi, notamment quant à la vie post mortem et la résurrection.
Onze contes autobiographiques complémentaires et différents sur la mort, mais surtout sur la vie, qui interpellent chacune et chacun, dans une langue simple, portée par une personne bienveillante qui a l’humilité de partager ses doutes et la charité de proclamer sa foi.
« J’ai compris que l’élève-rabbin que j’étais ne remettrait plus jamais en doute la possibilité de la résurrection, puisque j’en avais été le témoin » affirme t-elle. le chrétien (que je suis) croit en la résurrection des morts et en la vie éternelle. Lecteurs de la Bible, et notamment du Deutéronome, (30:19) nous partageons le même verset « J’ai placé devant toi la vie et la mort, dit l’Eternel. Et toi, tu choisiras la vie ! ».
Un paradis où ne serait pas Delphine Horvilleur ne me semble pas concevable et j’espère avoir le plaisir de la rencontrer avant, en ce bas monde, devant un verre de Kirsh alsacien, pour proclamer ensemble « A la vie ! » … « LeH’ayim ! ».
PS : ma lecture de « Un temps pour mourir »

Rabbin de Judaïsme en Mouvement, Delphine Horvilleur dirige la rédaction de la revue Tenou’a. Elle est notamment l’auteur de En tenue d’Eve : féminin, pudeur et judaïsme (Grasset, 2013), Comment les rabbins font des enfants : sexe, transmission, identité dans le judaïsme (Grasset, 2015), Réflexions sur la question antisémite (Grasset, 2019) et Vivre avec nos morts (Grasset, 2021).