Visages singuliers du Plutarque humaniste Autour d’Amyot et de la réception des Moralia et des Vies à la Renaissance

1. Spécificités originelles des Vies et des Moralia
A. Au temps de Plutarque    La vie de Plutarque est partagée entre une première période de formation et de voyages dans l’Empire pour y étudier la rhétorique et la philosophie, cette dernière auprès du platonicien et pythagoricien Ammonios à Athènes, y prononcer à Rome des conférences (dont les plus importantes sont celles sur la superstition, la fortune d’Alexandre, des Romains, d’Athènes), et y représenter les instances politiques grecques auxquelles il appartient auprès des autorités romaines, et en une seconde période, à partir des années 70, où il décide de revenir à Chéronée, sa ville natale, en Béotie. Loin d’être une retraite, cette période, qui coïncide politiquement avec une reviviscence des cités grecques favorisée par Trajan, le voit se marier (d’où ses traités sur l’amour et la vie conjugale), développer son « école », entretenir son cercle familial et amical (voir ses traités sur les amis et l’amitié) comme sa prêtrise à Delphes à partir de 96 (dont s’inspirent les célèbres « dialogues pythiques »), ainsi que rédiger la majeure partie de son œuvre conservée, dont les pièces présentent « cette particularité d’avoir un destinataire privilégié mais un public potentiel ».S’il déclare en ouverture de la Vie de Timoléon et de la Vie de Paul-Émile que son projet fut suscité par d’autres (sans doute son ami et protecteur romain Sosius Sénécion, proche de Trajan), s’il semble qu’aucun plan n’ait présidé à l’élaboration de celui-ci, le principe du parallélisme, comme des jalons dans les 23 tomes des Vies (en comptant la paire perdue, et sans doute initiale, Épaminondas-Scipion, où il expliquait peut-être son projet), Vies qui ont dû occuper près d’une vingtaine d’années de l’auteur (de 99 à 117 ap. J.-C. environ), signalent un tout unifié. Il en va ainsi des remarques selon lesquelles Démosthène-Cicéron forment le cinquième tome, Périclès-Fabius Maximus le dixième et Dion-Brutus le douzième. Plutarque fait également un certain nombre de « références croisées » qui suggèrent qu’il composait plusieurs tomes à la fois. Enfin, les nombreuses préfaces (des Vies d’Alexandre, Paul-Émile, Démosthène…), où il livre ses réflexions sur les particularités de ses personnages ou encore sur le « genre » qu’il pratique, contribuent à l’homogénéité de l’ensemble.