UN PACTE PEUT EN CACHER UN AUTRE

Il est contradictoire d’utiliser, en l’état, le système judiciaire qui a été à l’origine de tant de dénis de justice pour restaurer l’Etat de droit et de vouloir changer de système politique sans adopter une nouvelle Constitution

14 mars 2024 – 14 mars 2025, il y a un an, jour pour jour, le président Diomaye et le premier ministre Sonko sortaient de prison, de l’hôtel zéro étoile du Cap Manuel pour aller s’installer dans un autre hôtel, plus confortable. Ils devaient leur élargissement à la promulgation d’une loi d’amnistie controversée, votée une semaine auparavant.

La défaite programmee du Benno-APR

Après l’échec retentissant de sa tentative de torpiller le processus électoral, au moyen d’un report sine die de l’élection présidentielle, le patron de Benno Bokk Yakaar, déjà convaincu de la prochaine défaite de son camp, cherchait à sauver les meubles, à s’aménager une sortie honorable mais surtout sécurisée.

Imaginons un instant, ce qui aurait pu se passer, si la brillante victoire électorale du candidat Diomaye était survenue, alors qu’il était encore retenu dans les liens de la prévention avec des centaines de ses camarades.

C’est bien parce que la voie du camp patriotique vers la victoire était déjà tracée, que le président Sall s’est vu obligé d’opérer une retraite aussi précipitée que désordonnée, à la faveur d’une loi d’amnistie, qui avait, en plus, l’avantage de conférer une impunité scandaleuse aux bourreaux de son camp.

Un an après, le camp patriotique, sous la houlette du Pastef, se rend compte, après deux élections victorieuses, celle présidentielle du 24 mars et les législatives du 17 novembre de l’année dernière, que tout reste à faire. La mise en œuvre du projet de transformation systémique se heurte, en effet, à de multiples écueils.

 

L’envol plombé du projet pastefien

Le premier obstacle est la situation économique héritée du précédent régime, dont la nature désastreuse est incontestable et a été amplement étayée par le rapport de la Cour des comptes. Lequel a dévoilé de nombreux manquements et écarts dans la gestion des finances publiques, avec des chiffres maquillés, minorant aussi bien le montant de la dette que celui du déficit budgétaire.

Ce sinistre legs réduit drastiquement la marge de l’Etat, qui se trouve « contraint », ne réussissant à subvenir, qu’au prix d’énormes difficultés, aux dépenses courantes de fonctionnement et à fortiori, aux dépenses d’investissements.

Il en découle une grogne sociale tout à fait légitime, mais que les adversaires politiques malintentionnés cherchent à instrumentaliser.

 

Bisbilles avec le monde du travail

Il est vrai, que certains observateurs proches du camp patriotique avaient alerté, dès le début, sur l’insuffisante implication du monde du travail dans la dynamique de transformation systémique enclenchée par Pastef et ses alliés.

Il s’y ajoute le fait que, lors des luttes épiques menées par la jeunesse patriotique, ces dernières années, on avait pu noter, si ce n’est une collusion manifeste de la plupart des patrons des centrales syndicales avec le défunt régime du Benno-APR, tout au moins, une neutralité bienveillante à son endroit.

S’abritant derrière le prétexte d’apolitisme du mouvement syndical, ces leaders ont, en réalité fait montre d’une inertie certaine devant les agressions outrancières du pouvoir de Macky Sall contre les droits et libertés, y compris ceux des travailleurs.

Les syndicats de base, par contre, ont été moins soumis, faisant même preuve d’une grande combativité, qui a permis aux enseignants et aux professionnels de santé d’arracher certains acquis. Il en est ainsi de la revalorisation de certaines primes et indemnités des enseignants (prime scolaire, indemnités spéciale d’enseignement, d’encadrement pédagogique, de recherche documentaire …etc.). Dans le secteur de la Santé également, en plus de l’accord de principe sur le reclassement de certains corps, il a été procédé à une revalorisation de l’indemnité de risque et à l’octroi de l’indemnité de logement, qui n’est cependant pas encore élargie à tous les ayant-droits.

Sur fond de détérioration prononcée du pouvoir d’achat des masses populaires liée, en partie, à des facteurs exogènes et de licenciements importants dans certaines sociétés parapubliques, qui servaient souvent à caser la clientèle politique des barons du défunt régime, on a assisté à une levée de boucliers des centrales syndicales qui, une fois n’est pas coutume, sont parvenues à faire front commun. Le 14 février dernier, un grand rassemblement des forces syndicales du Sénégal s’est tenu au siège de la CNTS, en brandissant des menaces de grève générale.

Quel pacte garantit la stabilité sociale ?

L’Etat, de son côté, va convoquer, le 27 février une rencontre tripartite Etat-employeurs- travailleurs, en proposant la signature d’un pacte de stabilité sociale, rappelant le précédent pacte de stabilité sociale et d’émergence économique, de triste mémoire, qui avait servi de paravent au plan Sénégal Emergent. Résultat des courses, l’atonie voire la complaisance des centrales syndicales a occasionné l’exacerbation de la mal-gouvernance, aussi bien au niveau des finances publiques qu’à celui des sociétés parapubliques et a subséquemment conduit à cette situation économique désastreuse, entièrement imputable au précédent pouvoir.

Le pouvoir Pastef, promoteur et soutien des lanceurs d’alerte a tout intérêt à maintenir intacte la fonction de veille citoyenne des organisations de la société civile, dont les syndicats. C’est dire qu’un pacte de bonne gouvernance démocratique inspiré des Assises nationales est un plus sûr garant de la stabilité sociale, car permettant aux travailleurs de s’approprier des objectifs du projet de transformation systémique.

A quand la nouvelle République ?

Le nouveau régime fait également l’objet d’attaques injustifiées de la part d’anciens caciques du Benno Bokk Yakaar, leurs thuriféraires et certains opposants égarés, sur la reddition des comptes et sur l’abrogation partielle de la loi d’amnistie. S’exonérant de toutes responsabilités sur les détournements de deniers publics, sur le bradage foncier et sur la répression disproportionnée et parfois sanglante de citoyens cherchant à faire valoir leurs droits et libertés, ils veulent mettre sur un pied d’égalité les bourreaux et les victimes.

S’il faut saluer la détermination dont fait montre le régime Pastef pour remettre le pays sur les rails et appliquer le slogan du Jubb Jubbal Jubbanti, il faut reconnaître qu’il compte davantage sur les professions de foi et les déclarations d’intention, plutôt que sur la mise en place de mécanismes éprouvés pour aboutir à une véritable refondation institutionnelle, gage de ruptures conséquentes et décisives d’avec l’ancien ordre néocolonial.

De nouvelles règles du jeu en conformité avec les idéaux de justice sociale doivent être définies et respectées par tous. Il est ainsi contradictoire d’utiliser, en l’état, le système judiciaire qui a été à l’origine de tant de dénis de justice pour restaurer l’Etat de droit et de vouloir changer de système politique sans adopter une nouvelle Constitution.

En somme, il est illusoire de vouloir faire aboutir le projet de transformation systémique, en utilisant la vieille République néocoloniale devenue obsolète.

 

Source : Seneplus