« The Lost Daughter » soulève un tabou, celui du regret d’être mère

« On ne doit rien occulter ,et comme je le dis souvent, il y a des silences solitaires et qui créent des tensions chez certains, il faut laisser les gens libres de choisir et que les pesanteurs sociales cessent. P B CISSOKO 

À l’heure de la Journée internationale des droits des femmes, ce mardi 8 mars, le film de Maggie Gyllenhaal, avec Olivia Colman et Dakota Johnson, confronte certaines injonctions à la maternité longtemps mises sous le tapis. Il est disponible sur Netflix.

Par Valentin Etancelin

Le HuffPost

CINÉMA – La parole autour de la grossesse et de la maternité se libère, y compris au cinéma. C’est le cas d’un film éclairant, mis en ligne sur Netflix en décembre 2021: The Lost Daughter.

Premier long-métrage de l’actrice américaine Maggie Gyllenhaal, c’est l’adaptation d’un best-seller de la romancière italienne Elena Ferrante, Poupée volée. Du haut de son casting trois étoiles (Olivia Colman, Dakota Johnson et Jessie Buckley), il a reçu le titre du meilleur scénario à la Mostra de Venise.

Son histoire, elle, c’est celle d’une certaine Leda. Elle a 48 ans, un mari et deux filles désormais âgées d’une vingtaine d’années. Universitaire américaine brillante, elle est venue passer des vacances en Grèce, au calme et seule, loin de ses amis et de sa famille.

Cet article s’inscrit dans le cadre de notre nouveau dossier sur les effets de la libération de la parole des femmes sur la grossesse et la maternité, publié pour la Journée internationale des droits des femmes, ce mardi 8 mars.

Mais voilà, l’arrivée sur la plage d’une cousinade va ébranler sa tranquillité. En cause, le bruit de ces nouveaux envahisseurs, certes, mais aussi et surtout la présence, parmi eux, d’une jeune femme constamment sollicitée par son enfant, une petite fille en bas âge. Elle va réveiller les souvenirs d’une période difficile qu’elle avait depuis longtemps mise sous le tapis: sa maternité précoce. Les regrets qui l’ont accompagnée, aussi.

Des doutes partagés

Le film dresse le portrait franc, sensible et tourmenté d’une femme qui, dans son passé, a eu beaucoup de mal à conjuguer ses ambitions professionnelles et l’attention sans réserve qu’elle était censée donner à ses enfants. La situation atteint son paroxysme quand, du jour au lendemain, la jeune Leda prend ses valises et quitte sa famille. Elle reviendra un an plus tard.

Des décennies après, les tourments refont surface. Pourquoi est-elle rongée par la culpabilité? A-t-elle été une mauvaise mère? Une mère inadaptée? Elle aime ses filles et les a toujours aimées, mais cela ne lui a pas permis d’encaisser. A-t-elle tout fait pour surmonter les difficultés de la maternité? Au fond, en avait-elle vraiment envie? The Lost Daughter soulève un tabou, celui du regret d’être mère.

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Un sentiment dont il est difficile de parler. À mi-chemin entre le drame et le thriller, The Lost Daughter veut ouvrir une brèche sans juger et s’adresser à toutes celles qui ont ou qui sont traversées par cet état d’esprit. L’héroïne du film n’est pas un cas isolé. La sociologue Orna Donath a publié une étude sur le sujet en 2015. Elle s’intitule Regretting Motherhood: A Sociopolitical Analysis. Elle a été suivie, deux ans plus tard, par un mouvement sur les réseaux sociaux grâce au hashtag #Regretting Motherhood.

Un tabou difficile à briser

“Le film essaie d’être bienveillant, il dit que ce n’est pas grave, souffle sa réalisatrice dans les colonnes de Vulture. Le désespoir, l’anxiété, la terreur, le sentiment de responsabilité écrasante, mais aussi une sorte d’extase déchirante, une joie que nous n’aurions jamais pu anticiper. Tout ça fait partie du spectre de la ‘normalité’. Et s’il est difficile de regarder en arrière sur certaines de ces choses, on est là pour vous. On est là avec vous.”

Mère de deux fillettes, Maggie Gyllenhaal le dit: la maternité, telle qu’elle est conçue, nous “met à genoux”. “J’ai connu trop de femmes qui avaient une vision idéalisée de la maternité et qui ont été dépassée par la réalité pour estimer qu’il est obligatoire d’enfanter, souligne-t-elle, cette fois chez 20 Minutes. […] La maternité est un tabou dont il est toujours aussi difficile de s’extirper même pour les femmes les plus jeunes qui doivent toujours subir l’injonction de la société à devenir mère au plus vite.”

The Lost Daughter ne fait pas de prosélytisme. Il ne dit pas qu’il ne faut pas être mère. L’histoire de Leda n’est pas réconfortante, mais frontale. Elle dit qu’il y a des différences entre les attentes autour de la maternité et la réalité, que ce n’est pas l’enfant qui fait naître ces ressentis, mais ce qui entoure.

Ces dernières années, la maternité a investi le féminisme, et inversement. Les maux de la grossesse, le corps enceint, les trois premiers mois sous silence, la fausse couche, le post-partum… Tous ces sujets sont désormais au cœur d’une remise en question. Il n’est plus question d’enjoliver la réalité de la grossesse puis de la maternité, mais de libérer la parole quant aux difficultés qui leur sont inhérentes.

Aujourd’hui, les futures mères, tout comme les femmes qui ne souhaitent pas le devenir, ont accès à un gigantesque panel de documents sur le sujet. Livres, podcasts, témoignages sur les réseaux sociaux se font de plus en plus nombreux, et font partie des discussions.

Quels sont les effets de cette libération de la parole sur les femmes? A-t-elle un impact sur leur rapport à la grossesse et à la maternité? On décortique ces questions dans notre nouveau dossier que nous publions à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes ce mardi 8 mars. Voici les autres articles:

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https://www.huffingtonpost.fr/entry/the-lost-daughter-souleve-un-tabou-celui-du-regret-detre-mere_fr_6225fd2ae4b042f866f102b1