Face à la percée du RN FN notre société est divisée on ne se comprend plus alors que nous sommes mêlés, nous nous connaissons mais certains décident de fermer les yeux et les esprits pour rejeter ceux avec qui ils avaient vécu sans entraves . P B C
On est en plein dedans, n’est- ce pas?
* Lettre à celui qui me déteste.
Alors ça y est.
On est en plein dedans.
Le cauchemar que me promettait mon père, tu n’es qu’une invitée , ma fille, tandis que je secouais la tête, sûre de moi, tellement sûre de mon bon droit : je suis ici chez moi, papa.
En vérité, j’ai pas tellement le coeur à te parler, je me force mais j’ai la nausée.
Depuis ce matin, mon regard noir te suit, toi le petit vieux qui as voté pour les haineux, toi le méchant qui portes ton karma ingrat sur le visage, toi le modeste aux épaules voûtés qui as sorti le champagne hier soir. C’était mieux que Noël hier, pour toi. Enfin, t’as vu une lueur d’espoir.
C’est ta première victoire à toi depuis longtemps, ta revanche sur ceux que tu détestes, ceux qui ne méritent pas, ceux que tu veux voir disparaître.
Ce n’est plus qu’une question de mois. Tu as attendu une vie.
Tu sauras attendre quelques semaines de plus.
Moi, je te déteste de m’avoir jeté ta haine au visage, ton rejet viscéral, non négociable. Je pressentais ta détestation, je l’ai vue gonfler, au fil des années, irrésistible et laide; j’ai fait avec, depuis mon enfance, d’autant plus facilement qu’elle ne m’a jamais été directement adressée. Je ne ressemble pas à ceux que tu distingues dès le faciès.
Mais le prénom et le nom que m’ont transmis mes parents racontent notre histoire et des liens qui se déploient entre ici et un ailleurs. Mon prénom, mon nom, mon histoire entre ici et ailleurs, ça aussi, ce n’est pas négociable.
On est nombreux comme moi autour de toi. Tu corriges, vous êtes trop. En vérité, on est plus nombreux que tu ne le soupçonnes.
On est ta femme, ton voisin, ton patron (ah ça, ça passe toujours pas), ton collègue, ta belle-soeur, ton joueur de foot préféré, ton médecin, l’aide-soignante qui torche le cul de ta mère à l’ ehpad et s’occupe aussi bien d’elle que de sa propre mère, ton médecin que t’aimes bien, ton prof, ta psy, celle de tes gamins, ton banquier, ton épicier que tu es bien content de trouver ouvert à minuit, ton chauffeur de bus, ton boulanger, ta n+1, ton coach de tennis…. On a des gamins ensemble. On est des sangs mêlés.
Notre histoire commune est le produit de l’Histoire.
On ne l’a pas choisie ni voulue ni toi, ni moi. Mais c’est inéluctable, irrépressible quoi qu’en disent les semeurs de haine qui t’ont retourné le cerveau.
Ils t’ont convaincu qu’en tapant sur le noir, l’Arabe, tu te sentirais mieux. Tu penses que de plus voir nos gueules fera passer ce goût amer que tu as dans la bouche depuis toujours, ce goût de la défaite et de l’impuissance ?
Ton rêve, c’est de retrouver la France blanche des Choristes ?
Ok, je peux comprendre.
Ça te soulagera 5 minutes. Mais je vais te spoiler la suite : dans ta France nettoyée, tu seras toujours aussi petit et le monde t’ écrasera toujours autant. Tu resteras dominé. Voilà : toujours la même merde et les mêmes frustrations. Tu seras le dernier puisque tu auras viré ceux qui étaient assignés à cette place avant.
Mais ne t’inquiète pas. Il y aura toujours des hommes politiques et des journalistes qui te diront qui détester, pour canaliser et ravaler ton ressentiment. Il y en aura d »autres pour remplacer les noirs et les Arabes, même ceux qui aujourd’hui pensent ne pas être concernés par ta haine.
Au fond, tu me fais de la peine. Ta haine aveugle et furieuse plonge tout un pays dans les ténèbres. Tu connais mal l’Histoire. Elle va t’engloutir tout cru alors qu’ensemble, on aurait pu affronter les véritables artisans de notre malheur existentiel, à nous les dominés. On a tellement plus en commun que ce que tu ne crois.
J’ aurais tellement de choses à ajouter… Mais le temps presse : je dois garder mon énergie pour l’après, ce funeste après que tu as contribué à créer. Je te souhaite bon courage malgré tout. Tu vas en avoir autant besoin que moi.
Et une dernière chose si tu n’as pas encore compris : je suis ici chez moi, et si tu veux me faire partir, il faudra venir me chercher.
Dalila Bellil
1er juillet 2024