Mon cher Less, par le Pr Alpha Amadou SY- Une complicité intellectuelle

« Alpha SY a une certaine autorité pour parler de l’Ami Mame Less CAMARA, tous les deux penseurs et philosophes, ils aimaient se rencontrer pour penser le monde et le panser s’il le faut. Le 24 juin 2022, mon ami Alpha m’informe que Mame Less lui a demandé une mission qu’il ne peut refuser. Je lui réponds, moi j’assurerai à l’Institut Français de St- Louis  pour une fois que j’étais au pays en présentiel, pendant que toi, tu seras à la Fondation F-EBERT aux côtés de ton ami, qui était à l’honneur.  Lisons ce bel article ». P B CISSOKO

Avril 2000, avril 2023, plus de 22 ans durant lesquels tu engageas un combat des plus héroïques contre la mort. Tu livras un corps à corps singulier contre une maladie sournoise avec ses crocs-en jambes, ses tours de passe-passe et ses traquenards. Certes, elle est parvenue à avoir physiquement raison de toi, mais s’est-elle avérée incapable de t’empêcher d’accéder à l’immortalité.  Par la qualité de ton parcours et la noblesse de tes combats, tu loges désormais dans le cœur et dans la mémoire de milliers et de milliers de tes compatriotes.

 Parrain de la 15ème Promotion du Programme Leadership Politique 2021
de la Fondation Friedrich-Ebert, tu m’avais invité, le 25 juin 2022, à faire ta présentation. Au nom de cette confiance acquise, je m’autorise à revenir sur ton parcours afin que la postérité et, surtout, les jeunes retiennent la consistance de ta contribution aux avancées démocratiques au Sénégal.

Ta formation terminée, tu fus affecté à la Voix du Nord, dans cette belle cité où les habitants se baignent dans la mer avant d’aller se rincer dans le fleuve. Jeune débutant, tu fis montre d’un sens remarquable de la créativité en impulsant une nouvelle dynamique à un programme radiophonique fort limité par son nivellement par le bas.   « Delta » et « Récit et description », par la qualité de leur thématique et par le choix minutieux de leurs invités, conjugués à l’arrière-plan musical qui les rythmait, devinrent, en un temps record, des émissions suivies par les nombreux élèves et enseignants de Saint-Louis.

Ayant fini de te « faire la voix » de cette manière, ta tutelle te fit regagner Dakar où ton épanouissement fut, pour un temps, hypothéqué par la ligne éditoriale d’une RTS, prisonnière du monolithisme médiatique. Mais, puisque, comme on dirait Ndiaga Mbaye, on ne peut enterrer une ombre, ton ascension s’opéra à la faveur du renouveau médiatique à partir des années 1990. La concurrence, désormais de mise, te permit de faire prévaloir tes compétences. Ainsi, tu créas « Face à face » dans les conditions rappelées lors de mon témoignage du 25 juin.

Loin de te contenter d’ouvrir des brèches importantes pour faire triompher, à la RTS, le respect du droit sacré des citoyens à une information vraie et diversifiée, tu consentis à prêter main forte à la presse privée que tu élevais à la même dignité que celle dite d’État. Ainsi, Walfadjiri te servit de structure d’accueil avec tes succulentes chroniques hebdomadaires, signées sous le pseudonyme de Abdou Sow !

Homme de défi, tu poursuivis ta singulière aventure dans le landerneau médiatique en tant que directeur de la Radio du Groupe de presse Walfadjiri. Tu mis à profit cette opportunité pour faire montre de cette capacité managériale qui a beaucoup contribué à faire de toi une des icones de la presse.

Outre l’élaboration d’un programme radiophonique des plus attractifs, tu parvins, fort de ton riche vécu, à composer avec les compétences et profils à ta portée pour faire de Walfadjiri une station de référence. Tu recrutas de jeunes collègues fraichement sortis du CESTI, tu intégras des journalistes en herbe non sans veiller à leur proposer un horaire qui n’hypothèque pas leur formation ! Bien plus, tu sus « ramasser dans la rue », pour rependre Bécaye Mbaye, des personnes qui te semblaient nanties d’un talent naturel.

Bien des figures de proue de la presse d’aujourd’hui, qui se reconnaitront, sont issues de cette pépinière de Walfadjiri.

Professionnel de l’information et de la communication jusqu’au bout des ongles, ton esprit alerte s’intéressait à tout ce qui touchait à ta corporation. Sentinelle de la démocratie, tu veillais à ce qu’aucun des acquis, toujours conquis à la suite d’âpres luttes, ne souffrît d’aucune forme de détournement d’objectif, forcément préjudiciable aux intérêts matériels et moraux des professionnels de l’information et de la communication !

T’as manifesté cet esprit, entre autres, au sujet du Haut Conseil de la Radio et de la Télévision. Pour avoir salué avec enthousiasme la création de cette Institution, une conquête des plus remarquables du SYNPICS, tu ne t’étais, pour autant, jamais mépris sur sa limite. Mieux, très tôt, t’avais regretté que le HCRT, disqualifié pour la distribution des fréquences et pour la transmission des cahiers de charges aux promoteurs intéressés par le marché de l’audiovisuel, soit confinée à une sorte d’arbitrage entre les différents protagonistes du jeu politique.

Ton appréhension fut réconfortée par la nomination, en haut lieu, de personnalités dont les profils préfiguraient une politisation d’une « institution qui ne pouvait se crédibiliser que dans l’indépendance. » Sous prétexte d’avoir œuvré pour la radicalisation de l’Institution par ta « publication de deux avis rappelant à l’ordre les responsables de la Radio et de la Télévision», tu en fus évincé.

Mon cher Less que d’écueils sur ton chemin ! Que de privations librement consenties ! T’as su faire face avec une grandeur qui force respect et admiration !

Certes, m’aurais-tu retorqué t’as bénéficié d’un contexte particulièrement favorable. J’admets aussi que t’as  su mettre à contribution  des  structures aussi performantes que le SYNPICS et le CORED (Conseil pour l’Observation des Règles d’Éthique et de Déontologie dans les Médias)

. Enfin t’as eu la chance de vivre cette aventure avec des collègues mus par la même volonté de faire triompher, au-delà des règles déontologiques, leur idéal de liberté et de justice sociale.

J’en conviens. Toutefois, mon cher Less, si ta figure a pu émerger comme un iceberg sur le landerneau médiatique, voire sur l’intégralité de l’espace politique, c’est à cause des efforts que t’as personnellement consentis afin de remplir « ta tâche générationnelle ! »
Homme libre, crédité d’une impressionnante culture politique, philosophique et artistique, t’as renvoyé dos à dos sectarisme idéologique et intolérance religieuse.  Ton intransigeance, par rapport tant aux principes républicains qu’aux règles de la déontologie, n’entamait en rien ton humanisme.  Tu savais te fixer l’horizon et te donner les moyens de t’en approcher : « Travailler avec indépendance et rigueur face à tout groupe de pression, sans agression aucune contre les fondements de l’unité nationale sans parti pris de nature à porter atteinte au droit à la différence ».

Cet esprit a guidé l’essentiel des actes que t’as eus à poser ta vie durant. Édifiant, à ce sujet, est ta réponse à la question de savoir ce que t’as retenu de ton fameux « Face à face » de 1994 avec l’Abbé Diamacoune Senghor : « …Ces compatriotes ne sont ni méchants ni égarés ni antirépublicains ; ils souffrent plutôt de frustrations dont certaines résultent d’une absence de dialogue ! »

Cette générosité te mettait dans les dispositions idoines pour t’approprier le civisme dont l’essence, selon Montesquieu, est la préférence de l’intérêt général, qui n’est pas chose aisée !

Dans ton éducation, ta spiritualité et ton sens du commerce avec tes semblables transpire l’idée de Maxime Gorki qui postule que « les hommes, dès que tu les comprends, ils deviennent meilleurs ». Fort de cette philosophie, chaque fois que je te voyais monter au créneau avec détermination et beaucoup de sérénité, je ne pouvais m’empêcher de penser à ces mots de Sembene Ousmane, placés dans la bouche de Coumba l’aveugle : « Heureux, ceux qui combattent sans haine ! »

Alors mon cher Less, tu nous quittes au moment où l’état de notre barque, le Sénégal, confirme ta métaphore selon laquelle le sapin de Noël a du mal à prendre racine en Afrique. En attestent ces zones de turbulences grosses de tous les dangers que nous devons impérativement traverser.

Qu’à cela ne tienne ! Mais ton rappel à Dieu lui-même fut une opportunité pour voir le Sénégal auquel nous rêvons nous tous : Un Sénégal solidaire, un Sénégal fraternel, un Sénégal d’union des prières. Des milliers et des milliers de nos compatriotes ont prié en validant, du coup, ton choix certes difficile, mais le seul à même de nous faire faire un pas, puis un autre vers le progrès économique et social.

Par ton œuvre, ton parcours et ton style, t’as réussi la prouesse rarissime à faire l’unanimité autour de ta personne. Cette communion, aussi profonde que spontanée, a d’autant plus contribué à atténuer la douleur consécutive à ta perte que bon nombre de Sénégalais, qui t’ont porté dans leur cœur, sont à cent lieues de cerner les enjeux d’une information   juste et plurielle non seulement pour l’économie de leur pays, mais aussi pour la sauvegarde de la mémoire d’une Nation !

Nous souhaitions que la dynamique de la reconnaissance de ton œuvre ne s’épuisât pas dans cette séquence émotionnelle. Et voilà que Son Excellence Monsieur Macky Sall, vient, avec célérité et promptitude, de répondre à la forte attente de tes compatriotes en donnant ton nom au CESTI. Tout un symbole ! Reste à relever impérativement le défi de faire assimiler à tous nos compatriotes, singulièrement les jeunes, ton œuvre si admirable ! Cette perspective est fortement solidaire de la réalisation de cette promesse qui revenait constamment dans nos échanges : faire publier l’intégralité de tes chroniques !

 

Philosophe/ écrivain.