Le Triangle et de l’Hexagone : réflexions sur une identité noire, de Maboula Soumahoro, La Découverte- Par Séverine Kodjo-Grandvaux

Livre : Maboula Soumahoro explore la « charge raciale »

Née à Paris de parents ivoiriens, l’universitaire interroge dans « Le Triangle et l’Hexagone » son identité de femme française noire et musulmane.

L’universitaire Maboula Soumahoro. La Découverte

« Fille de l’Hexagone et de l’Atlantique, mon ascendance, mes origines, mes trajectoires et ma propre histoire m’inscrivent dans l’immensité culturelle, politique et intellectuelle de l’Atlantique noir, un espace géographique profondément façonné par l’Histoire. » Dès les premières lignes du récit Le Triangle et l’Hexagone : réflexions sur une identité noire (La Découverte, à paraître le 6 février), Maboula Soumahoro donne le ton : son parcours personnel ne peut se comprendre en dehors d’une histoire façonnée par la traite négrière transatlantique et la colonisation française, qui s’immisce jusque dans les familles et l’intime.

Née à Paris en 1976 de parents ivoiriens, cette universitaire angliciste enseignant à la faculté de lettres de Tours a dû passer par les Etats-Unis pour mieux appréhender son identité noire et afropéenne. Pendant dix ans, d’abord comme étudiante puis comme enseignante, elle y a côtoyé les penseurs et les idées qui lui manquaient en France pour comprendre le sens et l’importance de son identité noire, en être fière et pouvoir la revendiquer « non pas de la manière dont l’histoire [l]’a définie et façonnée sur la base de [s]on corps ». Au contraire, écrit-elle :

« Je suis noire de la manière dont les corps qui ressemblent au mien ont réagi, combattu, contesté, résisté et se sont soustraits à ces tentatives anciennes, répétées et organisées d’infériorisation. Dans ces résistances et affirmations de leur humanité, ces corps et esprits construits comme noirs ont offert au monde une multitude de trésors. […] Par mon entrée consciente dans une communauté transnationale […], j’effectue sans doute une simple et énième réactualisation de la négritude. »

« Un bout de Côte d’Ivoire »

Mi-essai mi-biographie, Le Triangle et l’Hexagone est le récit d’une chercheuse qui a renoncé à « la distance dite critique et à l’illusion de l’objectivité scientifique » et qui fait d’elle-même son propre objet d’étude. Est-elle africaine ? française ? noire ? Relève-t-elle de la diaspora, elle qui a grandi au sein d’une famille musulmane traditionnelle en banlieue parisienne, au Kremlin-Bicêtre, auprès d’une mère qui ne parlait que dioula et à laquelle elle ne répondait qu’en français ? Une mère qui a élevé seule ses sept enfants lorsque le père est reparti vivre en Côte d’Ivoire à la fin des années 1970.

Ressentant son décalage par rapport à une Côte d’Ivoire qu’elle a très peu fréquentée, elle affirme avoir « perdu l’Afrique ». Pourtant, à la maison, « il y avait un bout de Côte d’Ivoire ; la France, je l’ai découverte en dehors de chez moi et, par bien des aspects, elle me paraissait très exotique », explique au Monde Afrique celle qui, pendant de nombreuses vacances scolaires, a été placée par les services de la Ddass auprès d’une famille d’accueil de la Nièvre rurale.

Maboula Soumahoro s’interroge : comment comprendre sa situation lorsqu’on est un « corps noir évoluant dans une société se proclamant aveugle à la race », qu’on doit régulièrement faire face au racisme (une lettre reçue par la jeune femme à son arrivée à l’université de Tours est, à ce sujet, sidérante) et qu’on se voit accuser de racisme, de communautarisme et de radicalisme dès lors qu’on travaille sur le nationalisme noir, comme cela lui a été rétorqué à son retour des Etats-Unis par sa directrice de mémoire ?

Sur le modèle de la charge mentale qui incombe aux femmes, Maboula Soumahoro a forgé le concept de « charge raciale », exprimant alors cette « tâche épuisante d’expliquer, de traduire, de rendre intelligibles les situations violentes, discriminantes ou racistes ».

Formules provocatrices

Le témoignage de la fondatrice et présidente du Black History Month, manifestation qui ambitionne de promouvoir l’histoire et les cultures issues des mondes noirs, est riche d’enseignements et amène à réflexion sur le processus de racialisation, le désir de retour en une Afrique fantasmée, le panafricanisme, la revendication d’une diaspora noire.

Mais on peut regretter parfois une argumentation fragile, des formules provocatrices ou un manque d’explicitations pour qui ne connaît pas dans le détail les événements évoqués. Ainsi, évoquant la question raciale en France, elle regrette une « impossibilité, voire [une] illégalité, de dire, nommer, penser, sonder les sujets, questions et thématiques qui fâchent aujourd’hui encore » ou affirme sans autre explication qu’en France, pour les hommes musulmans « qui portent trop grande atteinte à la sûreté de l’Etat, la peine de mort est presque automatiquement prononcée en dehors de tout tribunal ».

Si Le Triangle et l’Hexagone s’appuie sur un parcours personnel pour ausculter une situation française, cet ouvrage repose sur une écriture plutôt aride, dépouillée de tout pathos voire d’émotion, comme si Maboula Soumahoro n’était pas parvenue à briser la barrière scientifique et à explorer ce que ces tiraillements peuvent provoquer au niveau de la psyché. Comme si elle n’avait pas osé plonger au cœur de l’intime, restant en surface.

« Je voulais d’abord passer par ces jalons historiques et théoriques », explique-t-elle. Peut-être avant d’explorer un autre questionnement et une blessure profonde : celle de la difficulté d’assumer tout l’héritage culturel africain et de « n’avoir jamais balbutié en dioula », au point, avoue-t-elle, de n’avoir « jamais eu de vraie conversation avec [s]a mère ». « La question, c’est : qu’est-ce que nous ne nous sommes pas dit, qu’est-ce que nous n’avons pas pu nous dire, elle et moi, parce que nous ne parlons pas la même langue ? »

Le Triangle et de l’Hexagone : réflexions sur une identité noire, de Maboula Soumahoro, La Découverte, 160 pages, 16 euros, à paraître le 6 février.