Le sacre des pantoufles-Pascal Bruckner    (La paresse comme mode de vie après covid-PBC) 

« Le monde a beaucoup changé avec la Covid, on ne sort plus on reçoit, les liens sociaux ont changé de nature,  et les gens restent chez eux et paraissent. On est plus sujet aux angoisses avec les attentats, la guerre en Ukraine et la covid, etc. « P B C

Deux grandes idéologies dominent nos sociétés occidentales : le déclinisme et le catastrophisme. Depuis le début du siècle, tous les événements semblent confirmer ce pronostic :  le réchauffement climatique, le terrorisme islamiste, le coronavirus et, enfin, la guerre à l’Est de l’Europe de la Russie contre l’Ukraine.
Face à cette situation, la doxa veut que le seul recours raisonnable soit  de réintégrer le foyer, dernier refuge et protection contre la sauvagerie.

Mais la maison de nos jours n’est pas un simple abri, elle est bien davantage: un espace en soi qui supplante et remplace le monde, un cocon connecté qui rend peu à peu superflu toute percée vers le dehors. Depuis son canapé, on peut jouir par procuration des plaisirs qu’offraient jadis le cinéma, le théâtre, les cafés. Tout ou presque peut nous être livré à domicile, y compris l’amour.

Pourquoi dès lors sortir et s’exposer ? A l’instar du héros de la littérature russe Oblomov, qui vécut couché et ne parvint jamais à quitter son lit pour affronter l’existence, allons-nous devenir des êtres diminués, recroquevillés et atones ?
Tout l’enjeu de cet essai est de dresser l’archéologie de cette mentalité du repli et du renoncement, d’en saisir les racines philosophiques et les contours historiques. Car jamais la tension entre le désir de vagabondage et le goût de la réclusion n’a été aussi forte.

Et le confinement obligatoire, véritable cauchemar des dernières années, semble avoir été remplacé chez beaucoup par un auto-confinement volontaire.

Fuite loin des villes, télétravail, condamnation du voyage et du tourisme, nous risquons de devenir des créatures de terrier qui se calfeutrent à la moindre secousse.

Ce n’est pas la tyrannie sanitaire qui nous menace mais la tyrannie sédentaire : la pantoufle et la robe de chambre seront-elles les nouveaux emblèmes du monde d’après ?

Romancier et philosophe, Pascal Bruckner est l’auteur d’une œuvre forte d’une trentaine de titres, qui lui a valu de nombreuses distinctions (prix Medicis de l’essai, Prix Montaigne, prix Renaudot), de non moins nombreuses traductions à l’étranger et des adaptations à l’écran. Ses derniers titres parus : Une brève éternité, philosophie de la longévité (Grasset, 2019), Un coupable presque parfait, la construction du bouc-émissaire blanc (Grasset, 2020) et Dans l’amitié d’une montagne : petit traité d’élévation (Grasset 2022).