Le noeud gordien–Georges Pompidou-Gouverner c’est contraindre

Humaniste, homme de réflexion et homme d’action, Georges Pompidou a écrit Le Noeud gordien après les événement de Mai 1968. Dans cet ouvrage, le lecteur trouvera avant tout de quoi nourrir ses interrogations actuelles sur l’évolution des idées et de la société. La notion de dialogue, le destin du marxisme, les problèmes économiques et sociaux, ceux de l’Université forment la trame de cet essai politique dans lequel on retrouve la Corce, mêlée d’une lucidité parfois brutale, de l’homme qui devait être amené à exercer les plus hautes fonctions. Bien plus que d’un testament politique, il s’agit d’une remise en question de l’Homme dans le monde moderne. Le Noeud gordien est un message d’authenticité :  » La République doit être celle des « politiques » au sens vrai du terme, de ceux pour qui les problèmes humains l’emportent sur tous les autres.  » Comme l’indique Georges Pompidou lui-même dans sa préface:  » Ceux qui me liront trouveront à l’état brut et sans aucune adjonction ultérieure divers éléments de ma pensée, telle qu’elle cherchait à se définir au moment où le destin allait me précipiter dans l’action et les responsabilités.  »

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50 ans de la mort de Pompidou : « Il était le contraire du critique de l’État qu’on décrit aujourd’hui »

Entretien

Propos recueillis par Etienne Campion in Mariane.net

Publié le 02/04/2024 à

50 ans de la mort de Pompidou : « Il était le contraire du critique de l’État qu’on décrit aujourd’hui »

Arnaud Teyssier, historien du gaullisme et de la Ve République, examine, pour les 50 ans de la mort de Georges Pompidou célébrés ce mardi 2 avril, notre rapport à la mémoire de ce dernier. L’occasion pour notre spécialiste de redresser quelques biais à l’heure où le défunt président de la République est devenue la coqueluche d’une certaine droite libérale.

Arnaud Teyssier, historien, spécialiste du gaullisme et de la Ve République, vient de faire rééditer, en poche chez Tempus son excellent L’énigme Pompidou-de Gaulle. À l’occasion des 50 ans de la mort du successeur du Général de Gaulle jour pour jour ce mardi 2 avril, nous avons discuté de la mémoire des années Pompidou, de ce qu’était réellement le pompidolisme – une pensée qui sublime le rôle de l’État plutôt qu’elle ne l’abîme – du malentendu – « nourri par la nostalgie et les arrière-pensées » – entretenu autour des « Trente glorieuses », des différences opposant Georges Pompidou à l’Homme du 18 Juin…

Marianne : 50 ans après la mort de Georges Pompidou, comment jugez-vous la mémoire collective nationale à son sujet ? La tendance au retour du rôle de l’État, l’effritement du progressisme, l’éternel retour du gaullisme dans les affaires politiques et le champ de bataille culturel et idéologique ne concourent-ils pas aussi à un retour en grâce du pompidolisme ?

Arnaud Teyssier :Nous sommes en présence, je le crains, d’un vaste malentendu, nourri par la nostalgie et les arrière-pensées. L’évocation de Georges Pompidou tourne autour des « années heureuses » ou des « années bonheur », pour tenter de rappeler à la vie un temps – fort bref, somme toute – où le pays vivait dans la concorde et la prospérité, sinon le luxe et la volupté…

Bien entendu, le tableau a du vrai : croissance économique record jusqu’au milieu des années soixante-dix, France respectée à l’étranger, institutions fortes… Mais il s’agit alors d’une société bien différente de la nôtre, où la condition des classes populaires – les ouvriers en particulier – reste difficile, mais qui, en revanche, est encore proche de ses traditions, animée du sens de l’effort collectif, forte de son État social, à l’abri des communautarismes et des tensions ethniques et religieuses. Une société qui a su se relever de la guerre d’Algérie.

La structure politique et administrative du pays est d’une puissance incomparable et fait l’objet d’une large adhésion des Français : un exécutif fort, qui prend le temps de la décision, une administration centralisée, le Plan, la DATAR et l’aménagement du territoire, une grande politique industrielle. Et une conception de la politique qui préserve le pouvoir de l’influence chaotique de la démocratie d’opinion. En clair, une société qui tient et se tient, soutenue par un État fort et respecté – et disposant de tous les outils nécessaires à l’action, à commencer par la monnaie.

La force des institutions est telle, toutefois, que la société peine à supporter la rude entreprise de modernisation imposée par le tandem de Gaulle-Pompidou : on le verra en mai 1968, où le mouvement étudiant, porté par l’explosion démographique, est rejoint par un mouvement social qui paralyse le pays.

Je comprends que se développe une sourde nostalgie de cette époque – qui est en fait plus celle des années de Gaulle-Pompidou (1962-1968) que de la présidence Pompidou (1969-1974), déjà marquée par le retour des tensions et des crises économiques et géopolitiques. Pour le reste, je vous trouve bien optimiste ! L’État gaullien n’a jamais été aussi affaibli qu’aujourd’hui, et quant à l’éternel retour du gaullisme, il me paraît relever de la pure rhétorique…

Nous sommes bien d’accord quant à l’existence de ce hiatus entre les incantations gaulliennes et la politique réellement exercée. Pour revenir au sujet, à quand remonte la rencontre entre Pompidou et De Gaulle ? Comment le second a-t-il été séduit par le premier ?

À la Libération, quand Pompidou rejoint le cabinet du Général, chef du gouvernement provisoire. Pas vraiment comme le normalien ou l’agrégé « sachant écrire », contrairement à la légende. Il était censé s’occuper de dossiers assez techniques, mais il a vite rédigé des notes plus politiques qui ont suscité l’intérêt de De Gaulle par leur qualité, leur précision, leur intelligence.

Il est devenu ensuite, en quelques années, son homme de confiance (fait essentiel et bien connu, il lui confie des responsabilités au sein de la Fondation Anne de Gaulle), il a dirigé son cabinet au RPF, avant de le rejoindre à Matignon, en juin 1958, lors des derniers mois de la IVe République.

Dans Les Leçons de Pompidou, David Lisnard et Christophe Tardieu dépeignent Pompidou en pourfendeur de la bureaucratie et de la technocratie. Qu’en dites-vous ?

C’est un livre bien écrit et intelligemment composé, dont le propos est de montrer qu’il existait un « style » de gouvernement propre à Pompidou, assez différent de celui du Général, et donc susceptible d’être mieux reçu par nous aujourd’hui, qui sommes de simples mortels. Je note toutefois que les auteurs glissent discrètement sur la question de la décentralisation, pourtant chère à David Lisnard.

Je les comprends : Pompidou était rétif, de tout son être, à la décentralisation. Dans l’un de ses derniers discours, il a tourné en dérision « l’Europe des régions », qui commençait à être à la mode, en relevant qu’elle avait déjà existé, « cela s’appelait le Moyen Âge, cela s’appelait la féodalité ». Il trouvait même que de Gaulle avait été trop loin avec son projet de création des régions – alors qu’il ne s’agissait même pas, dans le cas d’espèce, d’une vraie décentralisation.

Pompidou préférait la commune et le département – et pas dans une optique décentralisatrice. Il était plutôt partisan de « déconcentrer », c’est-à-dire de rapprocher l’administration d’État du citoyen. C’est évidemment très différent. Et l’aménagement du territoire, qui était son dada, suppose, pour être efficace et équitable, un système centralisé.

Là où le livre de David Lisnard et de mon ami Christophe Tardieu me paraît vraiment contestable, c’est lorsqu’il présente, en effet, Pompidou comme un pourfendeur de la bureaucratie, et au-delà comme un critique de l’État.

Il est exact qu’il était souvent exaspéré par la lenteur des procédures et le conformisme trop fréquent de la technocratie. De Gaulle aussi, d’ailleurs. Chez Pompidou, on a pieusement recueilli au fil des ans des boutades ou propos de table – présumés – à ce sujet (notamment l’inusable « arrêtez d’emmerder les Français »). On trouve un propos parfois plus construit dans Le nœud gordien, autour du thème, qui devenait tout juste à la mode, de la « simplification ».

Mais Pompidou ne confond pas l’État, dans toute sa substance, avec l’action publique dans son déploiement quotidien. Il parlera un jour de « décentralisation des responsabilités », mais « une telle action, dira-t-il, n’a pas pour but de démanteler l’État, mais bien au contraire de renforcer ses moyens là où sa présence est nécessaire et irremplaçable ».

Dans l’un de ses derniers discours, il a tourné en dérision « l’Europe des régions », qui commençait à être à la mode, en relevant qu’elle avait déjà existé, « cela s’appelait le Moyen Âge, cela s’appelait la féodalité ».

Ce n’est donc en rien une critique idéologique de l’État. Bien au contraire. Voici ce que déclare Pompidou devant le Conseil d’État en avril 1970, cela vaut d’être cité largement : « La conception d’où est issu tout notre droit était naguère celle d’un État fort […] Il était inévitable et souhaitable que le Conseil d’État devînt progressivement le protecteur des libertés individuelles, et pour cela soumît l’action de l’État au respect, sous son contrôle, d’un certain nombre de principes généraux progressivement définis.

La défense de l’individu doit demeurer l’une de vos préoccupations dominantes. Mais notre société et donc notre droit ont changé depuis un siècle […] [L’action des pouvoirs publics] s’adresse non plus seulement à des individus isolés, mais à des groupes qui dans la meilleure des hypothèses n’ont de l’intérêt national qu’une vision fragmentaire, et qui, le plus souvent, n’ont d’autres préoccupations que la défense de la situation qui leur est propre ou la revendication des avantages qu’ils exigent. […] En présence d’intérêts collectifs multiples, le citoyen reste démuni et exposé aux plus graves atteintes.

Dès lors, le temps n’est plus où dans un pays tel que le nôtre, l’autorité de l’État pourrait apparaître comme une menace pour la liberté du citoyen, elle en constitue au contraire aujourd’hui la plus solide et la meilleure garantie. Aujourd’hui plus que jamais sa force n’est pas seulement indispensable à la nation pour assurer son avenir et sa sécurité, mais aussi à l’individu pour assurer sa liberté. Je souhaite que le premier Corps de l’État qui ne peut pas ne pas en avoir une claire conscience, continue de s’en inspirer dans ses avis comme dans ses arrêts. »

Propos clair, très gaullien… et visionnaire, hélas, à bien des égards. Quant au Pompidou « libéral », qu’on se souvienne de la tirade du Nœud gordien, qui s’ouvre ainsi : « Gouverner c’est contraindre. »

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Dans Le duel. De Gaulle-Pompidou, Philippe Alexandre a proposé l’idée d’une confrontation entre les deux hommes. Vous parlez de séduction réciproque et de confiance profonde…

Les divergences sont nées au milieu des années soixante, quand Pompidou, Premier ministre, devenu le Dauphin présumé, rechigne à mettre en œuvre les ambitions sociales de De Gaulle, qu’il juge confuses, prématurées et irréalistes. Mai 1968 est venu rapidement prouver que c’est de Gaulle qui avait raison, contre Pompidou qui tenait le discours, promis à un grand avenir, du « ce n’est pas le moment » – pour ensuite tout lâcher avec les accords de Grenelle. Elles sont d’ailleurs manifestes en mai 1968 car leur analyse de la situation et des réponses qu’il faut apporter est différente.

Enfin, c’est l’affaire Markovic (à la fin de l’année 1968, NDLR) qui crée une rupture affective entre les deux hommes : Pompidou, blessé, reproche au Général une indifférence excessive, et lui en voudra d’avoir tardé à lui apporter un clair soutien dans cette trouble affaire où on a cherché à le compromettre.

Ensuite, le fossé se creuse avec les déclarations de Rome et de Genève, lorsque Pompidou se dit disponible pour une succession qui n’est pourtant pas ouverte. De Gaulle lui en voudra d’avoir ainsi favorisé l’échec du référendum d’avril 1969, dans la mesure où l’électorat conservateur était désormais convaincu de disposer d’un solide héritier, propre à éviter tout chaos.

Mais ce ne fut jamais une vraie confrontation. De Gaulle, malgré une certaine amertume, s’est sincèrement réjoui de l’élection de Pompidou à l’Élysée. Il évitait ainsi l’arrivée au pouvoir du centriste Alain Poher, qui, sous ses allures rondouillardes, aurait sans doute détricoté avec soin les institutions gaulliennes. Il est vrai que la « poherisation » de la vie politique – entendez le retour larvé à la IVe République – est bel et bien venue, progressivement, par la suite.

Quant à Pompidou, il est resté fidèle à l’héritage gaullien dans ses grands traits. Il n’a jamais cessé d’admirer de Gaulle, et même de l’aimer – car c’est en raison même de ce lien affectif que l’affaire Markovic l’avait profondément meurtri. Et je crois – même s’il était peu porté à découvrir ses sentiments – que cette admiration et cette affection étaient partagées par de Gaulle à son endroit.

La qualité exceptionnelle de leurs relations – malgré leurs différences de milieu et de caractère, qui étaient grandes –, la longueur et la force de leur collaboration ardemment réformatrice au sommet de l’exécutif constituent une sorte d’énigme. La réponse est simple, pourtant, elle est dans la posture présidentielle de Pompidou à la fin de son mandat, noble, impérieuse, toute gaullienne : ils avaient en commun un amour éperdu de la France, le culte de l’État, qui en garantissait la pérennité, le sens du tragique de l’Histoire, le refus obstiné de « lâcher prise ».

On a beaucoup devisé sur la différence de culture des deux hommes. Selon la doxa en vigueur, Pompidou était assez éloigné du péguo-barrésiannisme du Général, était plus « moderne »…

C’est un faux débat. Pompidou et de Gaulle étaient tous deux de grands lecteurs. Pompidou était plutôt un lecteur de romans – passionné par Proust dès sa jeunesse. Il aimait aussi Barrès, mais le premier Barrès, un peu dandy, « le prince de la jeunesse » de Sous l’œil des barbares, qui avait su séduire Blum.

De Gaulle était très « Grand Siècle », préférait l’histoire et les essais, la philosophie, avait une passion pour Péguy. Mais ils avaient tous deux un goût prononcé pour la poésie – même s’ils n’aimaient pas nécessairement les mêmes poètes. Ils étaient des lecteurs de Corneille et de Racine.

En somme, ils étaient tous deux d’une culture profonde – et très classique. C’est en matière d’art contemporain que Pompidou manifestait son originalité par rapport à de Gaulle. Mais il en était de même de Malraux. Ce que je retiens surtout, c’est l’étendue de leur culture et leur capacité à citer spontanément des poèmes ou des strophes dans leurs discours ou conférences de presse : ici, Éluard, pour Pompidou, là, Verlaine, pour de Gaulle.

Pourquoi De Gaulle a-t-il laissé Pompidou aller cher Rothschild ? Pourquoi ce dernier est-il revenu en politique ?

Pompidou était un homme traversé de contradictions. D’un côté, il était attiré par la vie sociale, intellectuelle, artistique, mondaine, il était soucieux aussi de partager pleinement la vie de sa famille, de profiter de la campagne, qu’il adorait, au milieu de ses livres, mais aussi de la Côte d’Azur, de l’Italie… De l’autre, il était fasciné par l’exercice du pouvoir, poussé par l’ambition – mais une ambition désintéressée, inspirée par le seul désir de servir.

Il n’avait pas pris définitivement son parti, contrairement à de Gaulle, qui savait de toute éternité que le gouvernement authentique des hommes est un sacerdoce et non une jouissance.

Le Général avait compris que Pompidou était agité par ces injonctions contradictoires. C’est pourquoi, j’en suis convaincu, il admettait parfaitement ces échappées chez Rothschild, sachant que l’aspiration vers les hauteurs serait, le moment venu, la plus forte – comme ce fut le cas en 1958 et en 1962.

Le post-gaullisme commence-t-il avec Pompidou ? Ou bien avec Jacques Chaban-Delmas et sa « nouvelle société » ?

Avec Chaban, indiscutablement. La « Nouvelle Société » comportait certaines mesures concrètes souhaitées par Pompidou. Mais c’est l’esprit général qui annonçait « la France morcelée » et sa langue en caoutchouc, décrites depuis par Jean-Pierre Le Goff.

Pompidou ne croyait pas à la « société », mais à « la France » et « aux Français ». La dénonciation par Chaban de « l’État tentaculaire » et « inefficace » dans son discours d’investiture – qui nous paraît certes banale aujourd’hui – montre déjà que la « nouvelle société » n’aura strictement aucun rapport avec le grand projet porté par de Gaulle. Le discours brasse un certain nombre d’idées à la mode dans les années 1960, se calant sur une sociologie teintée de mendésisme et habilement vulgarisée.

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Société bloquée, pays prisonnier de ses archaïsmes et engoncé dans des structures sociales rigides : Chaban, passé par le parti radical, se fait le promoteur d’une vulgate technocratique teintée de centrisme de gauche qui, peu à peu, va dévorer tout le discours politique.

En fait, cette « nouvelle société » inaugure une nouvelle ère qui va se développer un peu dans le giscardisme et s’épanouir plus tard dans des courants de pensée comme le rocardisme avant de trouver son acmé dans les années 2000. Chaban a introduit dans l’écosystème de la Ve République une sorte de virus pseudo-réformateur imprégné d’un esprit technicien subverti et décroché des réalités politiques. C’est dire combien, depuis trente ans, nous sommes en terrain connu…

Le Nœud gordien « , méditation sur une certaine façon de gouverner les Français.

Par PIERRE VIANSSON-PONTÉ.

Un mélange curieux de scepticisme, voire de découragement, de conviction, d’optimisme, de foi même. Le détachement un peu froid de celui qui observe de loin, critique volontiers, n’a point de part à l’action, et puis la soudaine passion de qui veut bousculer, entraîner, convaincre. Une vision calme, raisonnée, cohérente, de la société française qui débouche sur une incertitude, une interrogation angoissée :  » Nous sommes arrivés à un point extrême où il faudra, n’en doutons pas, mettre fin aux spéculations et recréer un ordre social. Quelqu’un tranchera le nœud gordien.  » Ainsi apparaît, divers et attachant, le livre posthume de Georges Pompidou, le Nœud gordien.

Ce livre, il l’a écrit pendant l’hiver 1968-1969 alors que chassé du pouvoir après six ans il attendait de passer d’une carrière à un destin. Il n’en a rien retranché, il n’y a rien ajouté, nous dit-il, pendant les années passées ensuite à l’Élysée ; et c’est la mort qui l’a empêché de remettre ce premier jet sur le métier, de le poursuivre, de l’achever.

Voici donc un témoignage exceptionnel, fruit d’une expérience et somme d’une réflexion. Il éclaire bien la vision et l’action du plus proche conseiller, puis du premier ministre du général de Gaulle, et il explique aussi par avance en quelque sorte, la doctrine et la politique du second président de la Ve République. Derrière chacune de ces pages sans concessions à la facilité, mais d’une clarté d’exposition toute cartésienne, il y a, bien sûr, un homme tel qu’on l’a connu au mieux de ses capacités, avant la solitude, la maladie, la souffrance. Mais il y a aussi la preuve qu’il existait bel et bien, distinct du gaullisme s’il y prend évidemment racine, un pompidolisme, c’est-à-dire  » une certaine conception du pouvoir, de son exercice et de son objet en même temps que du présent et de l’avenir français « .

Ce n’est pas, on le voit,  » une certaine idée de la France  » : c’est pl

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