Le loup russe et le petit chaperon rouge français

Quand le général Fabien Mendon, chef d’état-major des armées alerte les français sur les risques d’un conflit de haute intensité avec la Russie dans les prochaines années, il ne fait que son devoir. Le contraire serait coupable irresponsable.

Il est en effet l’homme le mieux informé de France en matière de défense et de risques géopolitiques, et s’il a décidé de sortir du silence c’est que le danger est à nos frontières, peut-être imminent. Que ne lui reprocherait on pas si demain, en 2029, en 2030,2031, il ne nous avait pas prévenu.  S’il y a une chose que j’ai apprise àl’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN), au-delà d’une culture de défense, c’est la certitude que les militaires, qui connaissent le prix du sang versé, ne sont pas des va-t’en-guerre. Un peu comme les policiers, dont on oublie trop souvent que le véritable nom est « gardiens de la paix ». Les chefs de nos armées ne font qu’appliquer le proverbe  Si vis pacem paara bellum, si tu veux la paix, prépare la guerre, autrement dit la paix ne peut s’obtenir qu’à condition d’être en capacité d’affronter l’adversaire, y compris moralement.  L’ avertissement solennel du général Mendon nous place face à nos choix, abdiquer et se démettre ou être patriote et résister. Ou nous voulons préserver notre liberté, ou nous acceptons d’être des individus soumis, c’est aussi un appel au courage, au civisme, et une condamnation de la lâcheté, du renoncement. En cela, le chef d’état-major avait des accents gaulliens, n’en déplaise à quelques esprits chagrins.

En revanche, à l’heure où il sonne le tocsin, nous, français, sommes en droit de demander à nos dirigeants politiques ce qu’ils ont fait au cours des cinquante dernières années en faveur de nos armées ? Chirac a mis fin au service militaire nous privant aujourd’hui d’effectifs, au point de devoir compter sur le renfort d’ un petit nombre de réservistes  et les gouvernements successifs ont amputé le budget de nos armées de façon drastique, réduisant du même coup le nombre de nos chars et de nos avions, alors que nos matériels deviennent obsolètes, et manquent cruellement d’entretien, à l’image de nos hélicoptères de combat.

Plusieurs raisons peuvent expliquer cela, sans pour autant le justifier : La présence, depuis la deuxième guerre mondiale, d’un bouclier américain en Europe ,(et les économies budgétaires  qui en ont résulté pour nos finances) , la fin de la guerre froide et la disparition du glacis des pays de l’Est et de l’URSS  dans les années 1990, et la conviction que tout risque de guerre était désormais écarté, enfin  l’assurance que la possession de  l’arme atomique et la dissuasion  nucléaire nous protègeraient dans l’avenir de toute agression extérieure.

Nos dirigeants, de Mitterrand à Macron, en passant par Chirac, Sarkozy et Hollande, ont choisi la politique de l’autruche en se mettant la tête dans le sable. Ils ont manqué de lucidité, n’imaginant, n’envisageant pas un instant, excluant même, une possible reconstitution des empires, comme si l’Histoire était, à tout jamais, figée dans le marbre. Or le premier devoir de tout chef d’Etat est d’anticiper et d’évaluer les menaces, afin de protéger la nation, la prospective et la futurologie sont là pour cela, afin de ne pas se retrouver fort dépourvu quand la bise fut venue.

Un électrochoc salutaire 

En Ukraine, voici trois ans que l’armée tient tête aux militaires russes, là où en raison de nos effectifs et de nos équipements nous n’aurions pas tenu plus de deux semaines … Or, la France, faut-il le rappeler est la sixième puissance mondiale.  De ce fait l’Ukraine, qui se bat courageusement, héroïquement, face à des envahisseurs qui ne respectent pas la souveraineté d’un pays indépendant et bafouent les traités internationaux, est actuellement le rempart de la démocratie et des peuples européens. Que cette digue cède et notre continent verra son existence menacée et avec elle notre liberté, notre histoire  et notre culture.

Nous avons bien sûr notre porte-avions Charles de Gaulle, nos sous-marins lanceurs d’engins et leurs missiles à ogives nucléaires, nos Rafales vecteurs, eux aussi, de la bombe A, notre char Leclerc mais dans un conflit conventionnel nous aurions davantage besoin de troupes au sol (on a ressuscité la guerre des tranchées, comme en 14-18, dans le Donbass) de drones, de batteries de défense anti-aérienne, etc. or notre industrie de défense peine à fournir le matériel adéquat par suite du démembrement de cette même industrie depuis près d’un demi-siècle, de la même façon que notre pays à perdu quarante mille agriculteurs, ce qui est également dramatique . Nous sommes contraintes de dire : France, tout fout le camp !

Alors oui, aujourd’hui on crie au loup, et à juste titre ! Mais est-ce la faute des français si la nation est fragilisée dans ses moyens de protection, et si la France ressemble étrangement au petit Chaperon rouge du conte de Charles Perrault ?

Jean-Yves Duval, journaliste écrivain