« Le Duel des grands-mères », un roman d’apprentissage dans un village malien-Diadié Dembélé

LE LIVRE DE LA SEMAINE. Dans ce récit plein de verve, Diadié Dembélé narre la crise d’adolescence d’un jeune Bamakois féru de lettres et son exil loin de la capitale.

Par Kidi Bebey

Elevé à Bamako au sein d’une famille modeste dont la plupart des membres ne sont pas alphabétisés, le jeune Hamet, 12 ans, évolue comme il le peut dans le petit monde qui l’entoure. De sa maison à son école, en passant par les rues et les boutiques de son quartier, il slalome entre les logiques de pensée familiale (son père « a horreur des théories scientifiques. Il voit la science comme un double affront à la religion et aux traditions ») et la culture livresque occidentalisée de sa scolarité.

, on pratique les langues « songhay, peul, bambara, soninké, senoufo, dogon, mandinka, tamasheq, hassanya, wolof, bwa ». A l’école en revanche, il apprend « le français, les mathématiques et la physique-chimie pour devenir comme les voisins fonctionnaires », espère-t-il. Impertinent à force d’être incompris, l’écolier se plaît à glisser dans les interstices de sa vie quotidienne quelques polissonneries de bon aloi. Jusqu’au jour où ses excès d’effronterie lui valent d’être envoyé au village pour un séjour de redressement. Là-bas, il retrouvera le sens du respect des traditions et de l’obéissance, sous l’œil vigilant de sa grand-mère.

A hauteur d’enfant

D’abord mortifié par cet exil loin de la capitale du Mali, Hamet est bien obligé d’accepter peu à peu sa nouvelle vie, rythmée par les travaux agricoles ou les fêtes qui rassemblent la communauté : « Au milieu de cette routine paysanne, une nouvelle vient, sautillante comme un poisson sorti de l’eau, pétillante comme une viande en friture, et croustillante comme la patate de midi. » En observateur curieux de son environnement, Hamet raconte les petits et les grands événements auxquels il assiste, rapporte les faits divers et suit la piste des commérages qui conduisent parfois à la découverte de secrets de famille et aux conflits de loyauté.

Au fil de cet apprentissage quotidien, l’ennui des premières semaines le cède à l’enrichissement de l’expérience et à la découverte d’un monde bien plus vaste et digne d’intérêt que ne l’imaginait le jeune citadin. L’enfant qu’il était au départ reviendra transformé et mûri au terme de ces quelques mois.

En se plaçant du point de vue de l’intériorité de son narrateur, à hauteur d’enfant en quelque sorte, le romancier malien Diadié Dembélé réussit à rendre avec beaucoup de justesse les états d’âme successifs de son héros, confronté à cette période de crise si particulière qu’est l’adolescence. Tour à tour sujet à l’impatience, au désespoir et à l’incompréhension de ses camarades ou de sa famille, auprès desquels il passe pour un prétentieux, le pauvre Hamet ne peut recourir qu’au savoir qu’il a acquis à l’école.

On pense à Kourouma

La langue française lui sert de repère et de refuge. Et c’est avec brio qu’il s’en sert et s’en nourrit, tout en y mêlant les siennes, jusqu’à trouver progressivement sa propre manière de la dire et de l’écrire : usant du « gros français très-très glacé » pour raconter sa vie, en faisant « des phrases longues, très-très longues, tellement longues que, sorties de leur contexte, on pourrait rouler dessus avec des remorques-dix-tonnes ».

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L’humour et l’inventivité sont également au rendez-vous de ce Duel des grands-mères, magnifique roman-soliloque où viennent prendre place nombre d’expressions délicieusement inattendues. Bien sûr, on ne peut s’empêcher de penser à l’art d’écrire de grands aînés des lettres africaines, comme Ahmadou Kourouma. Mais Diadié Dembélé possède son souffle propre et offre aux lecteurs le plaisir de découvrir sa plume, intelligente et alerte, qui donne à ce récit – son premier roman – une véritable saveur de miel.

Le Duel des grands-mères, de Diadié Dembélé, éd. JC Lattès, 224 pages, 19 euros.

Kidi Bebey

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/02/12/le-duel-des-grands-meres-un-roman-d-apprentissage-dans-un-village-malien_

Lectures

Parce qu’il fait l’école buissonnière pour lire, manger des beignets et jouer aux billes, parce qu’il répond avec insolence, parce qu’il parle français mieux que les Français de France et qu’il commence à oublier sa langue maternelle, Hamet, un jeune garçon de Bamako, est envoyé loin de la capitale, dans le village où vivent ses deux grands-mères.
Ses parents espèrent que ces quelques mois lui apprendront l’obéissance, le respect des traditions, l’humilité.
Mais Hamet en rencontrant ses grands-mères, en buvant l’eau salée du puits, en travaillant aux champs, en se liant aux garçons du village, va découvrir bien davantage que l’obéissance : l’histoire des siens, les secrets de sa famille, de qui il est le fils et le petit-fils. C’est un retour à ses racines qui lui offre le monde, le fait grandir plus vite.
Un premier roman bouleversant, porté par une langue pleine d’inventivité et de poésie.Finaliste du Grand Prix-RTL-Lire-Magazine Littéraire 2022
Finaliste Prix Première 2022
«  De ce très attachant et réussi Le duel des grands-mères, premier roman du Malien Diadié Dembélé, on ne dit que peu en révélant seulement l’histoire. Car celle-ci n’est que la parure de son objet principal, à savoir son écriture éblouissante.  » Livres Hebdo

« Récit d’apprentissage drolatique et émouvant retour aux origines, Le Duel des grands-mères, premier roman de Diadié Dembélé, tient par la langue inventive de son auteur. » Le Monde des livres

« C’est dans un immense champ de labour que nous plonge Diadié Dembélé, au sein d’un premier roman de pleine maîtrise. » L’Humanité

« La découverte linguistique de 2022, le livre qui va faire parler de lui cette année. » Clique TV, Canal +

« Un regard sur le monde tout à fait singulier et réjouissant. » RFI

« Un roman d’apprentissage drôle, émouvant. Une des révélations de la rentrée littéraire de janvier. » TV5 Monde

« Ce premier roman captive par son originalité et sa finesse. » Télérama

« Un texte de grande maîtrise. » L’Humanité

« Diadié Dembélé possède son souffle propre et offre aux lecteurs le plaisir de découvrir sa plume, intelligente et alerte, qui donne à ce récit – son premier roman – une véritable saveur de miel. » Le Monde Afrique

Coups de cœur des libraires

« Dans une langue multicolore et inventive, D. Dembélé nous offre un roman d’apprentissage drôle et plein de tendresse. Une pépite !! » Corinne, Librairie les 3 Souhaits (Morteau)

« Dans une belle plume et des alternances de langues et dialectes, ce premier roman nous invite à découvrir un jeune garçon turbulent, un Mali aux nombreuses facettes. Une belle découverte ! » Jérémy, Librairie L’impromptu (Paris) 

« Tiraillé entre plusieurs langues, ce jeune ado de Bamako va découvrir le monde compliqué des adultes, et de sa propre famille quand il est renvoyé dans le village de ses ancêtres…Bonheur de style, truculence, délectation joyeuse. » Librairie du Canal (Paris) 

« Ce roman tendre, réjouissant et émouvant, nous raconte l’enfance qui prend son sens quand on la quitte. À découvrir absolument ! » Librairie Folies d’encre (Gagny)

Autre lecture

Avec Le duel des grands-mères (JC Lattès), Diadié Dembélé signe un premier récit remarquable et bouleversant, porté par une langue pleine d’inventivité et de poésie.

Diadié DEMBÉLÉ EN UN CLIN D’OEIL :

Diadié Dembélé est né à Kodié, dans l’ouest du Mali. Diplomé du Master de création littéraire de l’université Paris VIII, il travaille en tant qu’interprète au sein d’une association d’aide aux migrants. Le duel des grands-mères, publié aux éditions JC Lattès, est son premier roman.

POURQUOI ON AIME Le duel des grands-mères :

Le jeune Hamet vit à Bamako. Parce qu’il fait l’école buissonnière pour lire, parce qu’il répond avec insolence et parce qu’il parle mieux français que les Français, il est envoyé loin de la capitale, dans le village où vivent ses deux grands-mères. Ses parents espèrent que, là-bas, leur fils apprendra l’obéissance, le respect des traditions et l’humilité. Hamet va alors découvrir la vie au village, ainsi que les secrets de sa famille. Ce faisant, il retourne à ses racines et grandit plus vite.

Puissant roman initiatique, Le duel des grands-mères est aussi remarquable par la langue qui l’habite. Avec une écriture « cash-cash-direct », Diadié Dembélé nous offre un récit poétique qui n’hésite pas à faire entendre du bambara et du soninké. Entre les pages de ce roman, se dessine toute une réflexion sur le langage et sa puissance évocatrice, sur l’écriture comme l’acte de « déposer sur la feuille les mots que [nous] dicte la petite voix qui hurle » (p. 13).

LA PAGE À CORNER : 

     Ces jours m’effraient. Ce vent m’agresse. Les cris des animaux m’agacent. Ce village me répugne. Lorsque j’étais à Bamakon j’habitais une grande maison. De l’autre côté de la rue, on pouvait apercevoir l’avenue des trente-mètres avec ses quincailleries, ses menuiseries, ses blanchisseries, ses papeteries, ses librairies, ses dibiteries, et ses boulangeries-pâtisseries. Mais ce village est un taudis. Lorsque je lève la tête, je ne vois rien d’autre que des toits en paille, des hangars et la grosse antenne parabolique du secteur des millions, le quartier des riches. Je marche dans une ruelle étroite. Il n’y a ni poteaux électriques ni lampadaires. Un tracé laisse ruisseler les eaux usées. C’est malpropre ! Je fais attention à ne pas salir mes chaussures. Une vieille dame jette des épluchures d’arachides par la fenêtre. Quelle manière ! Si je ne fais pas attention, quelqu’un va m’uriner dessus ou m’asperger de crachats. J’arrive sur une grande place. Au milieu, un grand tambour gît. À ma gauche, se trouve l’agora des vieux désoeuvrés. Et à ma droit une rangée de hangars de commerçants. Je contourne l’agora, pénètre dans la vieille ville, et arrive sur le marigot des cascades. Je dois quitter ce village. Je m’engouffre dans les hautes herbes.
Ici personne ne comprend ce qui se passe dans ma tête. Je suis sûr qu’ils sont en train de se demander si je ne suis pas malade, à parler tout seul en bambara. Ils ne comprennent pas, ils ne savent pas ce que ça fait de n’avoir personne à qui parler dans la langue qui nous amuse, qui nous distrait, qui est la langue de nos meilleures amitiés et la langue de nos meilleurs souvenirs. Ils pensent que le soninké suffit comme langue pour tout faire et tout dire, puis se sentir bien en disant cela. Mais je ne peux pas parler de mon intérieur en soninké et me sentir bien après. Le bambara est la langue de mon coeur.
Peut-être que c’est mieux comme ça ! Le silence total et puis les soupirs ne peuvent pousser personne à me pointer du doigt. Si je continue à bouder, on va me laisser seul. Je comprends très bien ce qu’ils me veulent : que je commence à parler en soninké et qu’ils continuent à se moquer de mon accent. Mais je ne leur ferai jamais ce plaisir. Quoi qu’ils en fassent, je répondrai en français, comme ça, je les agacerai pour de bon.
Je suis l’enfant seul au cordon ombilical cisaillé à l’épée, assoiffé de lait, pourtant la tête noyée dans le sein de sa grand-mère. Je ne sais pas si la lune est bleue ou grise, si les vagues de l’Atlantique veulent engloutir toute la côte ouest, affamées de terres à inonder ou si les forêts profondes du Sud-Ouest peuvent se révolter contre leurs terres d’assignation et envahir Bamako. Mais je veux être une fine goutte de mer, ou une fine herbe insignifiante, que personne ne surprendrait à exister ostentatoirement. 
(p.84-86)

DANS LA PRESSE :

Récit d’apprentissage drolatique et émouvant retour aux origines, Le duel des grands-mères, premier roman de Diadié Dembélé, tient par la langue inventive de son auteur.
Le Monde des Livres

C’est dans un immense champ de labour que nous plonge Diadié Dembélé, au sein d’un premier roman de pleine maîtrise.
L’Humanité

De ce très attachant et réussi Le duel des grands-mères, premier roman du Malien Diadié Dembélé, on ne dit que peu en révélant seulement l’histoire. Car celle-ci n’est que la parure de son objet principal, à savoir son écriture éblouissante.
Livres Hebdo

Shannon Humbert.