Le confinement n’a pas joujours tué, il a souvent blessé

L’approche du déconfinement m’a inspiré quelques réflexions que je veux vous faire partager. Avec cette première question, le réussira-t-on aussi bien que le confinement lui-même ? Nous avons déjà un début de réponses.

Certains d’entre nous, plus claustrophobes que d’autres, n’ont pas supporté ce confinement qui leur donnait l’impression d’être cloîtré, retenu prisonnier à domicile. Nous étions tous en liberté conditionnelle, même sans bracelet électronique à la cheville. Nous avons eu une petite idée de ce que vivent les cosmonautes dans leur habitacle spatial et plus près de nous les sous-mariniers. Un d’entre eux de mes amis m’a confié un jour qu’au retour d’une mission en mer de quatre ou six mois à bord d’un SNLE il lui fallait plusieurs jours pour s’acclimater au retour à la vie en surface. Dès en quittant le submersible, il devait être très prudent au cours des premières 24/48 heures car les distances, les couleurs, les bruits de la ville sont étranges et dangereux pour quelqu’un qui a vécu longtemps dans un espace confiné. Il subissait une sorte de perte d’équilibre et devrait retrouver ses repères sur la terre ferme.

J’ignore ce qu’il en sera pour nos concitoyens le 11 mai. Mais d’ores et déjà si le Covid-19 à fait des dizaines de milliers de morts dans notre pays et des centaines de milliers dans le monde il aura aussi blessé beaucoup autour de lui. Je pense en premier à ces familles où les violences verbales voire physiques ont vu leur situation empirer. Elles n’ont jamais été si nombreuses à l’égard des femmes et des enfants au cours de cette période. Pour elles il est urgent de remonter à la surface et de retrouver de l’oxygène, que les enfants soient mis à l’abri en allant à l’école et que les femmes puissent faire entendre leur souffrance.

Il y a aussi ceux que le confinement a énervé, a rendus agressif. Les chiffres de la mortalité répétés chaque jour par le professeur Salomon n’ont pas été pour rien dans ce climat de tension générateur de stress et d’angoisse, de même que les pertes financières vertigineuses dans nos comptes publics. Le monde économique d’avant s’écroule sous nos pieds et les lendemains sont incertains, inquiétants. Difficile dans ces conditions de ne pas perdre son sang-froid. L’ami sous-marinier m’expliquait que chaque candidat pour naviguer en eau profonde devait subir des test psychologiques avant d’embarquer car il faut avoir une santé mentale d’acier, aussi résistante que la coque du sous-marin, pour supporter l’exiguïté, une pareille proximité entre membres d’équipage et une telle promiscuité entre les hommes. On imagine mal en effet un matelot perdre ses nerfs au milieu de l’Atlantique ou du Pacifique par quatre cents mètres de profondeur. La cohésion du groupe et sa survie est à ce prix.

IL en aura peut-être été de même pour nos semblables dans leur habitat au cours des ces deux mois. Ici ou là on a déjà vu des rancoeurs qu’on croyait oubliées remontées des abysses, des relations que l’on croyait durables s’effriter à la suite de passions exacerbées, de plaies que l’on croyait cicatrisées s’ouvrir à nouveau. Des mots ont été jetés dans l’éther qui ont cause des maux d’une autre nature, non moins graves. Des jalousies, des égoïsmes, des convoitises se sont fait jour car dans toutes les crises de l’humanité les bas instincts réapparaissent, le caractère grégaire de l’homme reprend le dessus et les passions l’emportent sur la raison.

Oui, le coronavirus aura fait plus de dégâts que les statistiques quotidiennes du docteur Salomon car ceux-ci, d’une autre nature, n’ont été pris en compte par aucun organisme ou fichier numérique.

Oui cette pandémie laissera des traces derrière elle, et beaucoup regretteront le temps d’avant, celui de l’insouciance où comme disait Jean Yanne  » tout le monde était beau et gentil », en apparence du moins et en dépit des soucis quotidiens, où les gens croyaient s’aimer dans une société qu’on disait éduquée par deux mille ans de civilisation judéo-chrétienne.

Le 11 mai nous retrouverons (pour combien de temps ?) notre liberté ou présumée telle, mais au prix de combien d’illusions perdues et de bleus à l’âme ?

Jean-Yves Duval, Directeur d’Ichrono