la relation Europe-Afrique, un partenariat privilégié

Selon un rapport de l’Institut Montaigne loin des seules questions économiques et sécuritaires, auxquelles on tend à réduire leur relation, l’UE et l’Afrique sont étroitement liés sur quatre questions clés : diplomatie, multilatéralisme et influence internationale ; économie, développement et finances ; sécurité et défense ; changement climatique et mobilité humaine. 

Une véritable « communauté de destin » qui appelle à un partenariat fort et renouvelé, dont la vision doit reposer sur trois axes principaux :

  • réaffirmer les objectifs du développement durable (ODD) comme vision commune, d’abord. Au nombre de 17, les ODD sont des objectifs de prospérité qui prennent en compte la préservation de la planète. Ils ont été adoptés en 2015 par l’ensemble des pays du monde et doivent être atteints d’ici 2030 ;
  • mieux se connaître, ensuite : des réseaux d’influence communs, des échanges entre étudiants et chercheurs européens et africains, une communication plus active sur les réalisations de l’UE sur le terrain sont essentiels ;
  • enfin, placer l’objectif de création d’emplois en Afrique en priorité absolue, et urgente : d’ici 2050, 30 millions de jeunes Africains entreront sur le marché du travail !

Un partenariat centré autour de cinq défis clés

Le partenariat Europe-Afrique doit être centré sur cinq priorités, répondant aux défis majeurs auquel le continent africain devra faire face afin d’atteindre l’objectif ultime de création d’emplois. Ces défis sont les suivants : l’environnement des affaires, l’industrialisation et l’insertion dans l’économie mondiale, la fiscalité, l’intégration régionale, et la formation professionnelle. Si apporter des réponses à ces enjeux sera bénéfique pour le continent africain, l’Europe aussi en tirera des bénéfices dans le cadre d’une coopération privilégiée.

L’environnement des affaires

Les conditions politiques, légales, institutionnelles et réglementaires des pays africains ne sont aujourd’hui pas optimales pour les entreprises étrangères souhaitant investir sur le continent africain, ce qui entrave l’attractivité de ces pays. Les infrastructures sont un élément clé de l’attractivité – et donc de l’activité économique – d’un pays ou d’un marché. Sans route ou chemin de fer en bon état entre Dakar et Bamako, quelle entreprise étrangère comme locale peut considérer le Sénégal ou le Mali comme un grand marché, dans lequel il est intéressant d’investir ? Or, les besoins en matière d’infrastructures demeurent colossaux dans les pays africains, en quête d’investissements étrangers.

L’industrialisation et l’insertion dans l’économie mondiale 

L’Afrique ne représente aujourd’hui que 2 % des chaînes de valeur – c’est-à-dire de l’ensemble des activités amenant un produit de la conception, à la production, jusqu’à la livraison au consommateur final – mondiales. L’industrie du continent, centrée en grande partie sur les matières premières, est insuffisamment compétitive et crée localement peu de valeur ajoutée. Par ailleurs, le continent africain souffre aujourd’hui d’un déficit de chaînes de valeur régionales africaines.

La fiscalité 

Pour financer les 600 milliards de dollars par an nécessaires au développement, les Etats africains doivent et ont le potentiel de dégager davantage de ressources domestiques, par la collecte des impôts. Cela aura également un impact sur l’attractivité des pays africains pour les entreprises, notamment européennes, qui ont tendance à être surimposées.

L’intégration régionale 

Le commerce intra-africain représente aujourd’hui moins de 18 % des échanges du continent. Si l’entrée en vigueur, en juillet 2019, d’une Zone de libre-échange continentale (ZLEC) signée par 44 pays africains et ratifiée par 22, est une promesse d’amélioration de ce point de vue, celle-ci ne doit pas masquer les défis futurs de l’intégration régionale africaine. Il existe en effet d’importantes différences de revenus entre les pays et les capacités des institutions régionales existantes – UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine), CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), CEEAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale), SADC (Communauté de développement d’Afrique australe), EAC (Communauté d’Afrique de l’Est) – sont aujourd’hui trop faibles.

La formation professionnelle 

Environ 30 millions de jeunes africains arrivent sur le marché du travail chaque année. Or, la formation professionnelle n’est pas à la hauteur des besoins du continent africain  : elle est trop peu financée et inadaptée aux besoins des entreprises qui doivent souvent supporter des formations de rattrapage, ce qui représente des coûts importants, voire rédhibitoires, pour ces dernières.
Quels outils pour l’UE au service de ces priorités ?

Bien qu’elle engage des moyens variés et importants à destination du continent africain, l’action de l’UE est encore trop peu lisible, visible et efficace. L’UE doit repenser les outils de son partenariat avec l’Afrique, en particulier sur trois volets.

  • Le Fonds européen de développement (FED), l’instrument financier de l’UE à destination des pays d’Afrique subsaharienne dans le cadre de Cotonou, privilégie aujourd’hui l’aide sous forme de soutien financier, en particulier aux Etats. Afin de créer un environnement favorable à l’investissement privé dans les pays africains, il convient de favoriser l’assistance technique, c’est à dire l’apport de savoir-faire, sous forme de personnel ou de formation par exemple, qui représente aujourd’hui à peine plus de 3 % de l’aide de l’UE. Cette assistance technique doit être ciblée tout particulièrement vers le secteur privé, PME et ETI en premier lieu, sans néanmoins délaisser l’assistance technique auprès des administrations africaines, notamment dans la mise en oeuvre des projets, et l’harmonisation des législations.
  • À l’heure actuelle, parmi les financements de l’UE, peu sont dédiés au secteur privé. En outre, les procédures permettant aux acteurs du secteur privé d’obtenir ces financements sont trop lentes et complexes – c’est là l’un des talons d’Achille de l’Europe en Afrique, notamment face aux pays émergents. Un exemple parlant : six ans de discussions ont été nécessaires entre Africains et Européens pour développer une infrastructure ferroviaire qui relie Djibouti à Addis Abeba, sans succès… tandis qu’il n’a fallu que deux ans à la Chine pour construire les rails et faire rouler un train. L’UE doit s’atteler à faciliter l’accès à ses financements pour les entreprises africaines et européennes, qui sont les plus à même de créer des emplois sur le continent africain.
  • Dès 1970, la plupart des pays membres du Comité d’aide au développement de l’OCDE se sont engagés à consacrer 0,7 % de leur RNB à l’aide publique au développement (APD). Cet objectif, aussi symbolique soit-il, axe les politiques publiques en matière d’APD sur les montants engagés plutôt que sur l’impact des projets financés. Afin de maximiser l’impact de l’APD versée par l’UE, cette dernière doit développer des outils destinés à diminuer le risque associé à l’investissement privé sur le continent africain, tels que des garanties. Dans ce cadre, les initiatives de finance mixte (“blending finance”), associant ressources publiques et privées, doivent être démultipliées.

Nos propositions

Repenser le paradigme du partenariat UE-Afrique

Partager une vision commune du partenariat
Centrer le partenariat UE-Afrique autour des 17 objectifs de développement durable (ODD). S’appuyer sur les ODD pour faire du partenariat UE-Afrique un espace de réciprocité et d’équilibre des échanges pour une meilleure appropriation par chacune des parties des enjeux nationaux, continentaux et mondiaux.

Faire de l’environnement des affaires une priorité commune
Mettre en place une chambre arbitrale euro-africaine sur les litiges commerciaux, financiers et judiciaires qui touchent les entreprises européennes en Afrique et africaines en Europe.

Miser sur les institutions pour renforcer les intégrations régionales et continentales
Définir une feuille de route précise pour développer une relation forte de continent à continent entre l’UA et l’UE, au sein de laquelle cette dernière pourrait mieux partager son expertise d’intégration acquise au cours de ses 60 années d’existence. Cette feuille de route pourra notamment fixer le cadre :

  • des compétences renforcées de l’UA et de la définition de sa subsidiarité par rapport aux États membres et aux organisations régionales ;
  • de la stricte application par tous des règles régionales de tarification douanière et de libre circulation des biens, des personnes et des capitaux au sein de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) ;
  • du renforcement des capacités sectorielles prioritaires (agriculture, éducation, santé et infrastructures régionales) des instances régionales existantes.

Porter ensemble une ambition économique forte

Structurer une offre européenne sur les infrastructures 
Bâtir une offre européenne intégrée publique/privée de déploiement d’infrastructures durables en Afrique en valorisant les avantages comparatifs européens (l’attention portée à la soutenabilité financière, à la qualité et au caractère durable, à la maintenance, ainsi qu’à l’accompagnement autour des projets sur la formation ou la gouvernance). La doubler d’une priorité : la rapidité d’exécution.

Renforcer la valeur ajoutée produite en Afrique 
Cibler des industries d’intérêt commun et construire un modèle d’ouverture graduée aux marchés mondiaux, afin d’accompagner et de faire grandir la création de chaînes de valeur africaines et de champions régionaux et in fine les soutenir dans leur stratégie d’export à l’international, particulièrement en Europe. Afin de stimuler et de développer l’écosystème productif national africain, mettre à jour conjointement une cartographie industrielle de l’Afrique, à partir du travail initié par le NEPAD, doublée d’une cartographie des compétences associées.

Financer l’agriculture, soit 60 % des actifs africains 
Augmenter le montant des financements dédiés aux petits agriculteurs et aux exploitations familiales notamment via l’appui aux coopératives et l’échange d’expertises avec les agriculteurs européens.

Employer des outils plus efficaces

Mobiliser davantage de ressources domestiques 
Orienter davantage de financements vers la formation des administrations fiscales africaines et soutenir la coopération entre administrations fiscales africaines, notamment autour de la question de la disponibilité et de l’échange de données. Contribuer à la construction avec les Etats africains de projets de collecte de l’impôt grâce au déploiement d’outils numériques. Travailler aux côtés des Etats africains à des solutions fiscales et de protection sociale permettant une démarche flexible et graduée selon le degré d’insertion des acteurs économiques dans le secteur formel ou informel.

Déployer une assistance technique efficace et ciblée 
Réorienter et renforcer une assistance technique harmonisée de l’UE vers le secteur privé et l’amélioration de l’environnement des affaires, à travers la mise en place d’équipes mixtes Europe-Afrique pour éviter les biais culturels qui freinent la mise en place de bonnes pratiques.

Appuyer le secteur privé, PME et ETI en priorité 
Faciliter l’accès aux outils de financement européens pour les PME et ETI européennes et africaines en leur octroyant un accès simplifié. Accélérer le déploiement du Plan d’investissement extérieur (PIE) européen. Créer des chambres de commerce et d’industrie européennes dans les pays africains chargées d’animer le dialogue entre entreprises européennes et africaines et de diffuser l’information sur les financements européens, conjointement avec les délégations de l’UE.

Recourir davantage à la finance mixte (« blending finance »)

Augmenter et cibler l’utilisation du « blending finance », associant ressources publiques et privées, sur la conception amont des projets, les financements en monnaie locale et les projets les plus risqués souvent délaissés par ce type de financement et pourtant susceptibles des plus forts effets d’entraînement sur l’économie. Mesurer et privilégier comme critère d’impact l’effet de levier sur le marché et d’entraînement sur

La connaissance et le savoir, des préalables indispensables

Investir davantage dans la formation professionnelle
Allouer des financements européens conséquents à la formation, en particulier à la formation technique (productivité pour le milieu agricole, agents de maîtrise dans l’industrie et les services) et à la formation des formateurs. Allouer une part substantielle de ces financements à la formation professionnelle des femmes, majoritaires dans des secteurs à fort potentiel (transformation agricole, petit commerce), et à la formation au numérique, qui garantit un accès à une meilleure information et permet de maîtriser des outils nécessaires. Co-construire avec les pays africains des référentiels de compétences communs pour la formation professionnelle favorisant l’acquisition, le partage des connaissances et le dialogue, qui répondent aux besoins spécifiques identifiés pour le pays ou le marché, que ce soit pour le secteur formel ou informel.

Développer les acteurs de terrain et les maîtrises d’ouvrage de demain
Cartographier, structurer et animer un réseau de nouveaux acteurs économiques, politiques et culturels africains. Accentuer l’effort financier dédié au renforcement des organisations, des compétences et de la gouvernance de ces structures.

D’après un rapport de l’Institut Montaigne