Jean-Marc Vigilant, un plafond de verre en moins à l’Ecole de guerre

Le général Jean-Marc Vigilant, à Paris le 9 juillet. Photo Frédéric Stucin pour LIbération

Le général de brigade aérienne, pilote de chasse de formation, s’apprête à prendre la direction de l’Ecole de guerre, prestigieuse institution académique destinée aux officiers. Une carrière brillante, qui souligne toutefois la sous-représentation des personnes noires dans le haut commandement.

  • Jean-Marc Vigilant, un plafond de verre en moins à l’Ecole de guerre

Il y a ceux qui ont ricané : «Il a le nom de sa fonction !» Ceux qui ont relevé en connaisseurs : «Un aviateur à la tête de l’Ecole de guerre, pas courant.» Enfin un troisième constat, à la fois plus immédiat et plus clivant : le général de brigade aérienne Jean-Marc Vigilant est noir. A ce niveau de commandement, c’est un fait rare, alors même que l’armée française est particulièrement diverse en bas de la hiérarchie, où nombre de militaires du rang et de sous-officiers viennent des outre-mer ou sont issus de l’immigration. Le général Vigilant se dit conscient de ce décalage : «Quand je suis arrivé au ministère à Paris, j’ai été frappé de voir beaucoup plus de Noirs en général, mais pas dans les mêmes proportions parmi les cadres supérieurs.» Il ajoute aussitôt : «Ce n’est pas propre aux armées.» Dans son bureau sobrement décoré d’un calendrier de l’armée de l’air et de quelques trophées, il insiste surtout sur les vertus d’une armée qui lui a offert une carrière exceptionnelle.

Né dans l’Est de la France à Châlons-en-Champagne, qui s’appelait encore Châlons-sur-Marne en 1967, il a grandi dans une petite ville des Deux-Sèvres, où son père, sous-officier dans l’armée de terre, avait été muté. Vigilant fils n’a pas connu la Martinique natale de ses parents, et ne suivra pas exactement la voie paternelle. Lui rêve d’être pilote, puis pilote de chasse. Il lui faut donc entrer à l’école de l’air de Salon-de-Provence, un concours très compétitif, qu’il réussit en 1986 après un passage en prépa.

Il obtient son brevet de pilote en 1990. La guerre froide n’est pas encore tout à fait terminée, comme il le constatera dans les airs. Affecté à Cambrai, dans le Nord, le jeune officier Vigilant est pilote de «défense aérienne». «Je devais décoller en moins de sept minutes pour intercepter un avion au comportement suspect dans le ciel de France. C’était passionnant, avec un gros rythme de travail», se remémore-t-il. Si les pilotes jouissent d’un certain prestige au sein des armées, ceux qui se spécialisent dans le combat aérien sont réputés les meilleurs : eux ne visent pas des objectifs au sol, mais sont formés pour affronter leurs alter ego ennemis dans les airs. «Du combat avion contre avion, de la chasse pure», dit-il. Chevaleresque. En bon officier général, Jean-Marc Vigilant parle aujourd’hui d’une «saine rivalité» avec ses camarades chasseurs bombardiers.

De Reims à Bagdad

Il découvre le commandement cinq ans plus tard, à Reims, où il prend la tête d’une escadrille, et franchit en 2000, encore assez jeune, la marche indispensable pour aller vers les étoiles (le grade de général) : entrer à l’Ecole de guerre. Les officiers qui réussissent le concours sont ensuite promis aux plus hautes fonctions. Jean-Marc Vigilant a passé cette année-pivot loin de Paris. «Je voulais aller à l’étranger, par goût du voyage et de la découverte. Au départ, je visais un pays anglophone, car je parle anglais comme tous les pilotes. La concurrence était très forte pour les Etats-Unis, le Canada et le Royaume-Uni. Un de mes chefs m’a conseillé de me porter candidat pour un pays dont je ne parlais pas nécessairement la langue.»

Ce sera l’Espagne et des journées très chargées pour apprendre le castillan tout en suivant les cours. La suite a tenu ses promesses : l’officier prend le commandement d’un escadron, puis un poste à Paris, à la délégation aux affaires stratégiques (aujourd’hui fondue dans la Direction générale des relations internationales et de la stratégie), sa première expérience «opérationnelle au niveau stratégique politico-militaire». «On préparait pour la ministre [Michèle Alliot-Marie] des fiches d’analyse et d’éléments de langage pour toutes les opérations où la France était engagée dans un cadre multinational (Otan, UE, ONU).» A l’époque : l’Afghanistan, la fin des opérations de l’UE au Kosovo, le Tchad. «C’était passionnant, on n’exécutait pas les opérations, mais on concevait et proposait des options à nos autorités», se souvient-il.

Vient l’Otan, au collège de défense à Rome pour un an de scolarité, puis comme directeur de cabinet du général français le plus haut placé de l’Alliance, le Commandant suprême allié Transformation. Basé à Norfolk, en Virginie, il est en contact étroit avec l’allié américain, dont la France n’a cessé de se rapprocher depuis 2007 sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, poursuivie par François Hollande. Sa dernière affectation, avant le retour à Paris en 2019, sera Bagdad, au sein de la coalition contre l’Etat islamique. D’Irak, il passe en visio les entretiens pour diriger l’Ecole de guerre. Avec succès.

«Reflet de la société»

A-t-il senti des freins, voire des discriminations ou du racisme lors de sa carrière en raison de sa couleur de peau ? Le général Vigilant répond par une démonstration : «J’ai choisi une voie hypersélective. Un élève pilote doit s’investir énormément pour dominer la machine. Un instructeur peut très facilement le faire échouer en lui mettant la pression. En revanche, il est très difficile de tirer quelqu’un vers le haut et d’en faire un officier pilote fiable et performant. Au sein de l’armée de l’air, je n’ai croisé que des gens qui voulaient me tirer vers le haut, au même titre que mes camarades. Je n’ai jamais vécu de brimade ou un coup d’arrêt à cause de ma couleur.» Il appuie : «Si j’avais été confronté à [des discriminations] de manière frontale, j’aurais chuté. Le simple fait que j’ai pu être breveté pilote de chasse montre que dans l’armée de l’air je n’en ai pas souffert.»

A la tête de l’Ecole de guerre, il pourra poursuivre les réflexions engagées sur la féminisation du haut commandement : «Le moment du concours de l’Ecole de guerre est particulièrement exigeant d’un point de vue familial, il faut préparer un concours qui est très difficile. Souvent, les femmes, qui sont les piliers dans les familles, sont confrontées au choix entre la famille et la carrière. Ce choix se pose avec plus d’acuité pour elles. Ce problème est identifié et nous avons développé des axes d’effort afin de le corriger.» La question des minorités est plus sensible. Le futur directeur partage le constat d’une très faible représentation des militaires issus de l’immigration ou des outre-mer en haut de la hiérarchie, tout en précisant : «Je pense que ce n’est pas propre à l’armée française. On est le reflet de la société. La diversité est moins représentée chez les cadres supérieurs, c’est un fait.»

Il loue une armée qui «reste un ascenseur social» et parvient «à corriger des défauts ou excès qu’on peut voir à l’extérieur» grâce à un fonctionnement très normé de notations et évaluations avec possibles recours tout au long de sa carrière. Lorsqu’il parle de «plafond de verre», c’est au sujet des Etats-Unis, où la nomination du général noir Charles Brown Jr. à la tête de l’US Air Force a montré qu’ils «peuvent être cassés».

Pierre Alonso Photo Frédéric Stucin

https://www.liberation.fr/france/2020/07/12/jean-marc-vigilant-un-plafond-de-verre-en-moins-a-l-ecole-de-guerre_1794088