Frères d’âme, un dialogue entre Edgar Morin et Pierre Rabhi

Deux penseurs pour un monde différent- P B CISSOKO 

Maison d’édition d’Edgar Morin et de Pierre Rabhi à la fois, les éditions de l’Aube ont décidé de réunir les deux hommes, pour un dialogue coordonné par le journaliste Denis Lafay. Visiblement, le courant est passé : Frères d’âme paraîtra le 21 janvier 2021.

«Une rencontre éblouissante, un échange étincelant, un message incandescent?: la lumière jaillit de ce dialogue inédit entre Edgar Morin et Pierre Rabhi. Un moment de grâce, une sorte de miracle. Le sociologue et l’agroécologiste dissèquent le moment de bascule civilisationnelle auquel la ¬pandémie de ¬Covid-19 – un peu – et l’état du monde – beaucoup – convoquent l’humanité des hommes. Ensemble, ils dessinent une ¬pensée nouvelle où la poésie, l’amour et l’intelligence éclairent la voie vers un “humanisme régénéré” et une fraternité d’âme. Brillant.?» Denis Lafay

Après une année 2020 marquée par la crise sanitaire, qui vient s’ajouter aux castastrophes écologiques et économiques, le sociologue et l’agroécologiste avaient sans aucun doute pas mal de choses à se dire et de nombreux sujets à aborder.

Denis Lafay, qui a présidé ce dialogue entre les deux penseurs, évoque « [u]ne rencontre éblouissante, un échange étincelant, un message incandescent, […] [u]n moment de grâce, une sorte de miracle ». « Ensemble, ils dessinent une ­pensée nouvelle où la poésie, l’amour et l’intelligence éclairent la voie vers un « humanisme régénéré » et une fraternité d’âme. »

Frères d’âme sera publié par les éditions de l’Aube le 21 janvier 2021.

Edgar Morin est né en 1921 à Paris. Sociologue indiscipliné, anthropologue touche-à-tout, philosophe inclassable, moraliste iconoclaste, ses travaux de recherche et son appel à fonder une politique de civilisation visant à l’avènement d’une conscience globale, l’ont rendu célèbre dans le monde entier.

Pierre Rabhi, écologiste convaincu, expert international, est également philosophe et écrivain. Il vit en Ardèche.

1Denis Lafay. — Nous  nous    retrouvons  tous   les   trois,   en   ce   mois   d’octobre,   à  Montpellier.  Jusqu’à  ce  jour,  vos  chemins  s’étaient  croisés  aussi  rarement  que  brièvement  et  ne  s’étaient  jamais  prêtés  à un dialogue comme celui que nous initions. Est-ce à penser que vos consciences, vos champs de compétence, vos domaines d’intérêt ou d’expertise n’étaient pas prêts à se rencontrer ?Edgar Morin. — Nous   nous   sommes   en effet très peu vus de manière physique, mais  nous  nous  sommes  souvent  approchés   « psychiquement »,   «  intellectuellement  »  et  «  émotionnellement  ».  Voilà  ce  qui  est  important  :  cette  sorte  de  convergence profonde entre nos deux vies et nos deux pensées.

! L’agroécologie est  un  ensemble  de  pratiques  qui  créent  leur  propre  écosystème,  leur  propre  relation   entre   les   différents   êtres   vivants   (végétaux,  animaux).  Cette  approche  de  la  polyculture  constitue  la  véritable  rénovation  de  l’agriculture.  Mais  sa  richesse  et  ses  bienfaits  dépassent  ce  seul  terrain  ;  l’expérience  de  Pierre,  telle  que  l’incarne  le Mouvement Colibris, va dans le sens de la communauté et invite chacun à apporter  sa  «  part  »,  aussi  modeste  soit-elle,  au  bien  commun.  Cette  expérience  sollicite  des  enjeux,  des  réflexions,  des  perspectives qui questionnent et investiguent bien au-delà de la seule culture de la terre : elles mettent en lumière la solidarité humaine.

Pierre Rabhi. —Je crois à la sociologie des consciences, à la sociologie des âmes. Celle-ci  ne  se  réduit  pas  à  la  sociologie  humaine,  car  finalement  on  peut  faire  partie d’une même famille et ne pas s’entendre. Il existe quelque chose qui dépasse notre « biographie vivante » et qui invite à Pierre Rabhi. — Je   ne   sais   pas   si   le   hasard   existe…   Chacun   poursuit   son   itinéraire,  et  puis,  à  un  certain  moment,  ces itinéraires se croisent, sans prémédita-tion. Les âmes recèlent un espace d’évolution  qui  leur  est  propre  ;  lorsqu’elles  sont  dans les mêmes attentes et sont appelées à s’entendre, forcément elles se rencontrent

Denis Lafay. — Edgar,      que      représentent,  pour  vous,  Pierre  et  son  engagement,  Pierre  et  son  cheminement  ?  Et  vous, Pierre, qu’incarnent, à vos yeux, les travaux  et  les  combats  d’Edgar  ?  Ce  que  vous  êtes,  pensez,  avez  entrepris,  fait-il  écho  à,  nourrit-il  les  desseins  de  votre  interlocuteur ?Edgar Morin. —À cet enjeu si impor-tant   aujourd’hui   qu’est   la   régénération   du  travail  de  la  terre  et  de  l’agriculture,  qu’est  la  cause  «  bio  »  et  naturelle,  Pierre  a  apporté,  avec  la  notion  d’agro  écologie,  une contribution fondamentale. Il ne suf-fit pas de « dire bio » – après tout on peut cultiver en « bio » des champs de tomates à

Évidemment, il existe une  fraternité  que  nous  devons  ressentir a  priori  à  l’égard  de  tout  être  humain.  Mais il y a des fraternités particulières de personne  à  personne,  qui  s’établissent  de  pensée  à  pensée.  Pierre  et  moi  sommes  liés par « quelque chose » de fraternel.

Denis Lafay. — De    notre    première    véritable  rencontre  à  aujourd’hui,  huit  mois  se  sont  écoulés.  Huit  mois  d’une  impensable   et   inédite   singularité   ;   un   séisme sanitaire, économique, social, politique,  portant  le  nom  de  coronavirus  ou  Covid-19,  a  surgi,  provoquant  un  chaos  planétaire  et  déterrant  une  mémoire  du  «   tragique   »   que   l’on   croyait   inhumée.   Comment,    personnellement,    intellectuellement,  émotionnellement,  au  final  :  intimement,   avez-vous   vécu   l’épreuve   du  premier  confinement,  celle  du  risque  et  de  la  peur  de  la  maladie,  celle  d’un  postconfinement erratique, sans visibilité, synonyme d’un ressac et aujourd’hui d’une nouvelle  réclusion ?se rendre vers un espace où les consciences convergent   entre   elles   parce   qu’elles   sentent les mêmes résonances et partagent des  aspirations  communes.  La  première  fois  que  j’ai  lu  Edgar  –  il  y  a  bien  longtemps  –,  la  première  fois  que  nous  nous  sommes  rencontrés,  je  me  suis  dit  :  voilà  un frère. Peu importe nos origines et nos trajectoires, Edgar est un frère parce que je l’éprouve  comme  tel.  Un  frère,  c’est  celle  ou celui avec laquelle ou lequel, ensemble, nos  consciences  vibrent  dans  les  mêmes  attentes,   les   mêmes   engagements,   et   s’ouvrent à l’humanité. Or, n’est-ce pas ce dont le monde a vraiment besoin ?Denis Lafay. — Edgar,  vos  travaux  de  sociologue  et  de  philosophe,  mais  plus  encore votre trajectoire d’homme et votre itinéraire humaniste, vous érigent en gardien  de  la  fraternité.  Pierre  vous  signifie  que  vous  êtes  son  «  frère  ».  Quelle  entrée  en  matière !Edgar Morin. —Je  n’osais  pas  exprimer de la sorte ce sentiment… mais je le

 

 

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