En octobre 2024, le président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko ont dévoilé « Sénégal 2050 », un projet visant à transformer l’économie sénégalaise sur 25 ans. Cette vision promet une croissance de 6,5 à 7 % par an d’ici 2029, une dette publique réduite à 70 % du PIB, une inflation maîtrisée à 2 % et un revenu par habitant triplé à 4 500 dollars d’ici 2050. Portée par une diversification – hydrocarbures, agro-industrie, numérique – et des investissements dans l’éducation et la santé, la première phase (2025-2029) exige 18 500 milliards de francs CFA , financés à 62 % par l’État, 23 % via des partenariats public-privé et 14 % par le privé. Mais la crise des finances publiques, révélée en 2025, et les réformes urgentes réclamées par le FMI compromettent cette ambition.
Une dette cachée qui ébranle les bases
La première année du mandat a été marquée par un audit des finances publiques, suivi d’un rapport de la Cour des comptes le 12 février 2025. Celui-ci a révélé une dette à 99,67 % du PIB fin 2023 (18 558,91 milliards de francs CFA), contre 76,3 % déclarés sous Macky Sall. Le déficit budgétaire, affiché à 5,5 % du PIB sur 2019-2023, atteignait en réalité 10,4 % en moyenne, avec un pic à 12,3 % en 2023. Le FMI a confirmé une dette dissimulée de plus de 7 milliards d’euros, estimant le ratio dette/PIB à 105,7 % fin 2024, avec un déficit de 11,7 %. Cette situation a valu une dégradation de la note souveraine par Moody’s, rendant l’accès aux marchés obligataires presque impossible. « C’est une très mauvaise nouvelle pour l’économie. Les Sénégalais risquent de souffrir et, à court terme, les autorités n’ont plus aucune marge de manœuvre budgétaire », déplore l’économiste Thierno Thioune, ancien Directeur du Centre de recherches économiques appliquées (CREA).
Un financement ambitieux mais incertain
Sénégal 2050 repose sur des ressources internes et des investissements étrangers, dans une logique de souveraineté économique. Pourtant, « avec une dette à 100 % du PIB et un déficit supérieur à 12 %, il n’est pas possible de financer le développement sur le marché obligataire international », note Thioune. Le discours de rupture, s’il séduit, semble difficilement conciliable avec la nécessité d’attirer des capitaux extérieurs. « Espérer une arrivée massive de capitaux étrangers et, dans le même temps, prononcer des discours politiques de souverainisme, cela ressemble à un vœu pieux », ajoute-t-il. Les modèles asiatiques, souvent évoqués, ont bâti leur essor sur des bases industrielles et des investissements massifs, des préalables absents aujourd’hui. À ce jour, aucun grand chantier n’a démarré. « Il leur reste trois ans pour lancer cette vision 2050, compte tenu du fait que la dernière année sera consacrée à la campagne électorale », observe Thioune.
Les réformes urgentes exigées par le FMI
Face à cette crise, le FMI, qui a suspendu son programme de 1,8 milliard de dollars après l’audit, presse Dakar d’agir. Lors de sa mission du 18 au 26 mars 2025, Edward Gemayel, chef de mission, a insisté sur plusieurs mesures. Il préconise une rationalisation des exonérations fiscales, qui absorbent 7 à 8 % du PIB, pour accroître les recettes et ramener le déficit à 3 % du PIB (norme UEMOA) d’ici 2025-2026. Il appelle aussi à réduire progressivement les subventions énergétiques, représentant 4 % du PIB depuis la pandémie, au profit de transferts ciblés aux plus vulnérables, libérant ainsi des fonds pour des projets productifs. Enfin, il exige un assainissement budgétaire rigoureux : apurement des arriérés (notamment envers le privé et l’énergie), renforcement de la gouvernance via l’OFNAC et l’ITIE, et un plan crédible de désendettement, jugé soutenable mais préoccupant. Ces réformes conditionnent un éventuel accord en juin 2025, crucial pour financer Sénégal 2050.
Signes de rigueur et tensions sociales
« Il est encore trop tôt pour parler de plan de rigueur, mais les premières mesures tombent », relève Thioune. La suppression d’exonérations fiscales et les licenciements dans des entités publiques (Port de Dakar, Aéroport Blaise Diagne, etc.), touchant 3 000 employés selon les syndicats, ont provoqué des grèves en mars 2025. Paradoxalement, le budget de la Primature et du Parlement a augmenté, contredisant les promesses de sobriété étatique. Ces signaux laissent présager une austérité implicite, difficilement compatible avec les investissements massifs requis.