Décès d’Ousmane Sow Huchard : La CACSEN reconnaissante ! Alpha Amadou SY*

L’homme, dont nous ressentons au plus profond de nous-mêmes la
disparition depuis ce 1er juillet 2020, a vécu un parcours dont la complexité
est sans doute révélatrice de sa détermination jamais prise à défaut de
mettre toutes ses compétences au service des hommes. Cette option a
trouvé son expression la plus remarquable dans son engagement sur
plusieurs fronts : création artistique, critique d’art, anthropologie,
productions scientifiques et militantisme connu et reconnu de la cause
écologiste.
Ces activités, éclatées en apparence, trouvaient leur cohérence dans son
Projet de société qui s’articulait autour de la quête inlassable de la justice
sociale et de la restitution à la nature de ses « prérogatives ». Mais loin de
tomber dans l’idéologisme ou dans le sectarisme politique, il s’était ouvert,
grâce à la forte conscience qu’il avait du rôle de la culture, à toutes les
sensibilités non sans contribuer à élargir, autant que faire se peut, tous les
horizons du possible.
Pour cet hommage, nous nous contentons de ces deux observations sur son
œuvre et sur le souvenir impérissable laissé à la CACSEN.
Comme s’il écrivait trois livres en un seul, son ouvrage La culture : ses objetstémoins et l’action muséologique (sémiotique et témoignage d’un objet –
témoin : le masque Kanaga des Dogons de Sanga,) édité en 2010 par le Nègre
International, au-delà de ses 858 pages et de ses 60 dessins, était
doublement instructif.
Il l’était par sa page-dédicace qui édifie tant sur son profil intellectuel, sur
ses sensibilités idéologiques que sur son humanisme. Aussi le livre, en plus
de sa famille et de ses proches, était-il dédié à Léopold S. Senghor, Alioune
Diop, Aimé Césaire et Cheikh Anta Diop. Il avait ajouté à cette liste le
« Grand peuple Dogon du Mali », « tous les artistes et professionnels
africains de la culture, « tous les Artisans de l’Humanisme du 21e
siècle » et
« naturellement », les « amis de la Nature et tous les militants écologistes
de la planète Terre ». Pour rappel, en dédicaçant son livre La kora Objettémoin de la civilisation manding (essai d’analyse organologique d’une harpeluth africaine), publié en 2000, aux Presses Universitaires de Dakar, il n’avait
pas oublié de mentionner « tous les griots, les jali et korafolas mandinko ».
Instructif, l’ouvrage l’était aussi par ses 307 photos dont chacune contenait,
pour ainsi dire, un pan de notre patrimoine culturel. Toutefois, si elles sont
toutes d’égale valeur, notre attention reste rivée sur celle de la page 857 :
l’auteur habillé « à la saoudienne » avec cette légende : « Le catholique
militant du Dialogue islamo-chrétien » invité comme conférencier « le
03/03/2010, lors du Salon International du Livre et de la Semaine culturelle
sénégalaise à Ryad ».
Cette photo, à elle seule, est un message auquel le contexte actuel donne
une étonnante fraicheur. Il nous invite à puiser au tréfonds de nous- mêmes
pour trouver les énergies intellectuelles et psychologiques que requiert
notre victoire sur les forces obscurantistes et les logiques de pouvoir, afin
de mettre l’humanité à l’abri des périls.
Cependant, pour la CACSEN, en plus de l’œuvre riche et du parcours
brillant, l’image de Ousmane Sow Huchard se confond avec ces faits et
gestes de ces hommes dont nous avons besoin pour oser soulever les
montagnes. Aussi nous avait-il fait profiter de sa forte conscience des
énormes enjeux de la culture, de son expérience des grands évènements
culturels, mais aussi de sa bonne humeur, lors de nos inoubliables
préparatifs du Cinquantenaire du 1er Festival Mondial des Arts Nègres.
Malgré ses problèmes de mobilité, il avait pris sur lui le temps de participer
activement à toutes nos réunions dans l’atmosphère extrêmement
conviviale du WARC. Et, ayant vite compris que notre forte volonté de
commémorer le Cinquantenaire était bien inversement proportionnelle à
nos dérisoires moyens, il nous assura, spontanément et avec la plus grande
discrétion, un appui financier. Nous en parlons aujourd’hui publiquement
pour, d’une part, témoigner de sa générosité et, d’autre part, partager
l’exemplarité de l’acte dans un Sénégal où l’on confond encore mécénat et
sponsoring politique.
Ainsi, Ousmane Sow Huchard alias Soleya Mama, cet homme si jovial vient
de tirer sa révérence. Mais heureusement, immense est l’œuvre qu’il a eue à
laisser à la postérité. Eu égard aux multiples missions qu’il a eues à remplir,
la CACSEN est persuadée que la République, dont l’unique critère de
distinction entre ses filles et ses fils est le mérite, saura lui rendre l’hommage
qu’il faut et lui dédier un site qui nous rappellera constamment le militant
des bonnes causes qu’il a été.
En attendant de voir ces vœux se réaliser, la CACSEN et ses différents
partenaires, par ma voix, présentent leurs condoléances les plus attristées à
tous leurs compatriotes, notamment à sa famille, à tous les militantes et
militants de la culture et à ses camarades écologistes.
*Philosophe/ Écrivain
Président de la section sénégalaise de la Communauté Africaine de
Culture (CACSEN).