Corps noirs et médecins blancs-La fabrique du préjugé racial, XIXe-XXe siècles-Delphine Peiretti-Courtis

Ki ZERBO venu rendre visite à la communauté noire à Besançon nous dit ceci « Ecrivez, osez prendre la plume pour dire et vous dire raconter, même si ce n’est pas bon, vous aurez occupez le terrain, sinon les autres prendront la plume pour raconter des balivernes sur vous « P BC

Pour lutter contre les stéréotypes racistes qui perdurent à l’égard des femmes et des hommes noirs dans la société française, il faut revenir à leurs origines. De la fin du XVIIIe siècle jusqu’au milieu du XXe, la littérature médicale a élevé au rang de vérité scientifique les préjugés raciaux sur les corps noirs : infériorité intellectuelle, résistance physique, prédominance des émotions ou encore hypersexualité.
L’ouvrage de Delphine Peiretti-Courtis constitue une première enquête approfondie sur la façon dont fut traitée cette question dans les écrits spécialisés de la période : dictionnaires et traités médicaux, monographies sur les races humaines, rapports de missions coloniales.

Elle documente ainsi l’apparition dans les sciences médicales françaises des théories raciales appliquées aux populations africaines, puis leur développement avant leur déclin. Elle éclaire les processus de racialisation du corps, du genre et de la sexualité des peuples d’Afrique.

Dans une société où la science se substitue progressivement à la religion comme source du savoir, le schéma racialiste élaboré par les savants est ensuite conforté par le pouvoir politique pour servir le projet colonial : le corps devient un outil de la colonisation.
En mettant en lumière les mécanismes de formation des stéréotypes ainsi que leur contestation progressive, cet ouvrage permet de comprendre comment les préjugés sont devenus des « savoirs » scientifiques, ancrés durablement dans les esprits, même après leur invalidation complète.

Delphine Peiretti-Courtis, agrégée et docteure en histoire, est enseignante à l’université d’Aix-Marseille et membre du laboratoire TELEMMe.
Introduction

L’ère du préjugé racial est-elle achevée ?

  1. Survivances d’un racisme ordinaire en France

Première partie. 1780-1860, Rencontre avec l’altérité africaine et construction des stéréotypes

Deuxième partie. 1860-1910, le corps noir scruté et mesuré : science, politique et terrain africain

Troisième partie. 1910-1960, médecine de terrain et prosélytisme colonial : la race face à la culture

In lemonde« Corps noirs et médecins blancs » : Quand les médecins inventent la « race noire »

L’ouvrage de l’historienne Delphine Peiretti-Courtis décrypte la façon dont la science a tenté de prouver les préjugés raciaux pendant près de deux siècles et participé ainsi à leur longévité.

Par Séverine Kodjo-Grandvaux

Livre. Dans Corps noirs et médecins blancs. La fabrique du préjugé racial, XIXe-XXe siècles, Delphine Peiretti-Courtis opère une plongée minutieuse au cœur des archives médicales et scientifiques. Elle montre comment la science a travaillé à inventer une race noire et a forgé des préjugés qui perdurent.

En effet, dès le XVIIIe siècle et la découverte de nouveaux peuples, les controverses sont vives entre polygénistes et monogénistes ; les savants cherchant à déterminer s’il y a une seule espèce humaine ou plusieurs. Les Lumières, contemporaines de la traite négrière, inventent alors les races et les hiérarchisent. Et tandis que le débat nature-culture fait rage, elles érigent l’homme blanc en un modèle à l’aune duquel les autres peuples sont jugés. Dans ce schéma, les Africains sont peu à peu considérés comme le chaînon manquant entre l’homme européen et le singe. Les savants observent, mesurent les corps sous tous les angles (crâne, os, cheveux, pilosité, odeur, sexe…) et les dissèquent pour comprendre le mystère de l’autre.

Des stéréotypes persistants

S’appuyant sur des textes de l’époque qu’elle cite abondamment, Delphine Peiretti-Courtis montre comment la science, parfois à partir d’éléments fantasques, a essentialisé les corps, les cultures et les psychologies des peuples étudiés afin de constituer des stéréotypes repris et popularisés par les discours politiques, les manuels scolaires et les dictionnaires, les publicités, les médias et les grandes expositions coloniales.

Le discours scientifique finit par « servir » le projet colonial, se faisant idéologique. « L’approfondissement des recherches sur la race noire détient une fonction politique et pratique, écrit l’historienne. Il s’agit de connaître la qualité biologique des corps et leur résistance, leur rendement potentiel. » Le but des médecins coloniaux, persuadés de leur « mission civilisatrice », est de préserver la santé de la main-d’œuvre indigène mais aussi de la race blanche et de limiter le métissage qui mettrait en péril le projet colonial.

Delphine Peiretti-Courtis : « Les préjugés raciaux perdurent, car la science a tenté de les prouver pendant près de deux siècles »

« Les Noirs, hommes et femmes sans distinctions, seraient paresseux, “indolentslubriquessensitifsintempérants et insouciants, pour ne citer que les poncifs les plus fréquents. Ces défauts sont souvent perçus comme inhérents à la nature africaine et par conséquent immuable. » Des préjugés que les scientifiques ont répandus pendant plus d’un siècle et demi et que la remise en question de la notion de race après la Shoah et les avancées de la génétique n’auront pas suffi à faire pleinement disparaître.