Contrats d’expatriation en Afrique : la fin d’un eldorado ? Par Deffa Ka*    oui pour expatriation intra africaine

(Crédits : FED) Selon la dernière étude de Fed Africa, 97% des personnes interrogées déclarent être ouvertes à la mobilité intra-africaine. Un chiffre qui confirme une véritable tendance : les économies africaines connaissent un dynamisme qui tend à faire disparaître toutes les frontières lorsqu’un projet professionnel se présente ailleurs…

Il y a vingt ou trente ans, le continent africain n’attirait pas les cadres les plus diplômés ou expérimentés. New York, Paris ou Montréal avaient le vent en poupe. Qualifiés d’aventuriers, ceux qui sautaient le pas, et s’installaient à Cape Town, Abidjan ou Dakar, bénéficiaient alors d’un « golden package », une sorte de prime de risque, qui leur offrait un confort sans égal. Salaires doublés, voitures et logements de fonction, primes et autres avantages en nature, leur permettaient de vivre aisément dans des pays où le coût de la vie était encore bas. Face à une pénurie de cadres intéressés par ces postes, les entreprises n’hésitent pas à surenchérir pour s’arracher les quelques professionnels sur le marché, majoritairement occidentaux.

Depuis bientôt dix ans, le vent a tourné. Longtemps oubliés, les marchés africains constituent pour de plus en plus de multinationales de véritables réservoirs de croissance. Les opportunités professionnelles que ces dernières créent, couplées à la perception de plus en plus positive du continent africain, ont eu pour conséquence directe une augmentation conséquente de la main-d’œuvre qualifiée d’origine locale, qui est souvent perçue comme plus « légitime » en tant que manager. Appelés « Repats » ou « Returnees », ils ont l’avantage d’avoir un lien avec leur pays d’origine, de parler leur langue maternelle, de contribuer à l’africanisation des cadres des multinationales qui les recrutent et d’avoir déjà, pour certains, une attache familiale dans les pays dans lesquels ils postulent. Conséquence, leur coût d’installation est souvent moins élevé que celui des occidentaux. Avec cette nouvelle génération, le visage des expatriés change. Une transformation qui correspond aussi à une réalité économique : les multinationales opérant sur le continent africain cherchent activement à baisser leurs coûts d’opérations dans la région. Cela se traduit par la réduction drastique de la somme allouée à la masse salariale et à l’explosion du nombre de contrats locaux, qui viennent remplacer les contrats d’expatriation.

Aujourd’hui, les professionnels du recrutement estiment que 90% des embauches au sein des multinationales sont des contrats locaux. A charge pour les entreprises de composer avec les défis que cela implique, notamment en termes de compétences et de parcours de carrière. Il est parfois difficile de trouver des profils pointus formés localement. Certains parcours de formation sont inexistants ou peu développés (les métiers de l’aéronautique, agroalimentaire ou du secteur pétrolier), ce qui entraîne une pénurie de certains types de candidats sur le marché.

Expat cherche contrat local sur mesure

Dans ce contexte, une transition a été enclenchée par les entreprises afin de mettre en concurrence, sur le marché, des salariés locaux, de la diaspora africaine et des occidentaux. Cette nouvelle politique de recrutement impose de nouveaux cadres, avec l’émergence de ce qu’on appelle le « contrat local + » ou « contrat local amélioré ». Aujourd’hui, chaque candidat à la mobilité négocie son package salarial. La négociation permet ainsi d’intégrer des avantages en nature, en plus de la rémunération fixe.

Ces contrats hybrides sont de moins de moins standardisés et se construisent au fil des négociations. Les cadres non locaux ont tendance à rechercher avant tout, un salaire conséquent, sans prendre en compte la réalité du pays et valorisent moins les avantages complémentaires, souvent en nature. Analyser le marché et réduire légèrement la part fixe demandée, permet souvent d’obtenir une voiture de fonction, une allocation logement, une participation à une caisse de retraite ou encore une allocation pour l’Ocole des enfants. Les marges de négociations sont plus grandes que sur le salaire en lui-même et peuvent permettre, in fine, d’avoir un package plus avantageux.

Qu’en est-il des profils d’origine occidentale face à ces contrats de nouveau genre ? Tout dépend ici du secteur d’activité. Dans certains secteurs, comme les secteurs minier, pétrolier ou des infrastructures, les candidats étrangers exigent et reçoivent encore énormément de contrats d’expatriation. Les compétences sont pointues et rares, de ce fait les candidats ont un avantage. Cependant, dans d’autres secteurs d’activité, la donne est différente. Aujourd’hui, il n’est plus rare de rencontrer sur le continent africain des jeunes diplômés occidentaux, prêts à accepter des contrats locaux, dans des secteurs tels que les médias, la culture ou l’humanitaire, aujourd’hui en forte tension en occident. La concurrence est donc plus importante et le rapport de force joue en la faveur des employeurs, face à des salariés qui deviennent moins exigeants.

Le nouvel expat est souvent le voisin

Selon la dernière étude de Fed Africa, « Diasporas et mobilité » (2020), 97% des personnes interrogées déclarent être ouvertes à la mobilité intra-africaine. Un chiffre qui confirme une véritable tendance : les économies africaines connaissent un dynamisme qui tend à faire disparaître toutes les frontières lorsqu’un projet professionnel se présente ailleurs.

Ces constats posés, il est évident que le marché du travail sur le continent africain est en pleine mutation. Les acteurs du capital humain doivent en prendre conscience pour adapter leurs offres et politiques de recrutement en conséquence. Quels profils auront les expatriés demain ? Les appellerons-nous toujours ainsi ? Un Camerounais qui postule en Côte d’Ivoire peut-il prétendre à un contrat d’expatrié ? Sur un même poste, doit-on faire une distinction entre Occidentaux, locaux et membres de la diaspora ? Le contrat d’expatriation va-t-il finir par disparaître ? Avec la diversité des profils et des parcours, les négociations en matière de contrats, de rémunérations et d’avantages doivent sans doute se faire sur mesure.

(*) Manager – Fed Africa

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Expatriation : les conseils d’une recruteuse pour trouver un emploi

Par Hélène Porret  |  27 juin 2019 à 10h54 — Mis à jour le 27 juin 2019 à 14h30

Rencontrée au Forum des diasporas africaines, qui s’est tenu le 21 juin à Paris, Deffa Ka, manager au cabinet de recrutement Fed Africa, livre quelques conseils et pièges à éviter pour les candidats au retour.

Diplômée de l’université Paris Nord et titulaire d’un bachelor de l’Institut Africain de management (IAM) de Dakar, Deffa Ka a débuté sa carrière au sein de la société de conseil et agence de notation française SMBG, spécialisée dans l’enseignement supérieur. Après un peu plus de trois ans au sein de l’école de management parisienne ESCP Europe, elle intègre Jeune Afrique Media Group en tant que chef de projet pour l’activité événementiel. Elle y passe un an avant d’intégrer Fed Africa en 2016.

Quelles difficultés rencontrent les candidats à l’expatriation ?

J’entends souvent : « je postule à des offres mais je n’ai pas de retours ». Déposer un CV ou répondre à une offre, est aujourd’hui une action commune. Il faut être plus proactif car la concurrence est rude sur le continent. Les membres de la diaspora n’en ont pas toujours conscience. Il faut se défaire du culte du super-héros et venir en redoublant d’humilité. L’Afrique dispose déjà de nombreuses ressources au niveau local. Au Sénégal, plus de 300 000 jeunes arrivent par exemple sur le marché de l’emploi chaque année. La plupart des profils ont acquis des expériences dans plusieurs pays africains, au Ghana ou en Côte d’Ivoire. Cette mobilité est très valorisée. Mais les candidats de la diaspora peuvent aussi tirer leur épingle du jeu. Ils sont notamment très prisés pour leur connaissance des codes occidentaux et leur double culture. Il y a une vraie émulation de la part des recruteurs autour de ces profils.

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J’encourage les candidats à décrocher leur téléphone pour relancer après avoir répondu à une offre

Que préconisez-vous pour optimiser ses recherches ?

L’important est de se démarquer. Il faut coordonner plusieurs actions, en se renseignant tout d’abord sur le secteur. Lire la presse et faire une veille régulière peut être utile pour actualiser ses connaissances sur son environnement professionnel. J’encourage également les candidats à décrocher leur téléphone pour relancer après avoir répondu à une offre mais aussi pour postuler de manière spontanée. Cette démarche peut faire la différence. Les RH ne reçoivent pas beaucoup d’appels, au-delà des relances pour des candidatures. Il ne faut pas non plus hésiter à cultiver son réseau en se rapprochant de sa sphère personnelle. Faire appel à des professionnels comme des cabinets de recrutement peut également aider. Enfin, il est important de se rendre sur place pour connaître le terrain. Cela permet également de confronter son projet à la réalité.

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Contrairement en France, les employeurs négocient en net, et non en brut.

Quels autres facteurs sont à prendre en compte ?

Les membres de la diaspora doivent faire attention à la notion de salaire. Contrairement en France, les employeurs négocient en net, et non en brut. Cela n’est pas toujours pertinent de convertir son salaire. En Afrique, beaucoup d’entreprises proposent aussi certains avantages en plus de la rémunération. Elles peuvent par exemple mettre à disposition un véhicule de fonction, une allocation logement, une assurance rapatriement ou des primes bonus (fêtes religieuses, rentrée scolaire des enfants). Les impôts sont prélevés à la source. Il faut également relativiser les contrats expatriés. Il y a depuis quelques années une stratégie d’africanisation des postes d’un point de vue juridique. C’est-à-dire qu’on retrouve de moins en moins, voire quasiment plus de contrat français, suisse, anglais pour des postes basés sur le continent. Les entreprises proposent de plus en plus des contrats locaux et des contrats locaux améliorés. Il existe encore des contrats expatriés que l’on retrouve plus particulièrement sur des fonctions spécifiques voire techniques comme dans les secteurs miniers ou pétroliers.

Les « expats » en Afrique, une espèce en voie de disparition

Les entreprises tentent désormais de limiter le recours aux expatriés sur le continent, qui sont considérés comme trop chers. Elles accordent une plus large place aux cadres locaux, dont les compétences ont largement augmenté.

Par Myriam Dubertrand(contributrice, le Monde Afrique)

Publié le 30 juin 2015 à 13h23 Une soirée au Chill Out Club de Luanda, en Angola, où les expatriés se mélangent aux élites locales. Une bouteille de champagne y coûte jusqu’à 2500 dollars. (C) PAOLO WOODS

En Afrique, les lignes du recrutement bougent. Les entreprises tentent désormais de limiter le recours aux expatriés et accordent une plus large place aux cadres locaux. Les chasseurs de têtes constatent que la tendance, esquissée il y a une dizaine d’années, ne fait que s’accentuer. La baisse du recours aux expatriés varierait de 30 % pour les fonctions de direction à 50 % pour les postes de middle-management. Alors, bientôt la fin des « expats » ? Six raisons poussent à le croire.

  • 1 Très chers expatriés

Entre les frais de déménagement, la prise en charge du loyer, des frais de scolarité des enfants, les voyages annuels voire semestriels de retour au pays pour toute la famille, la prime d’expatriation, celle d’installation, celle de risque qui peut atteindre 50 % du salaire brut… un expatrié coûte cher, très cher. Igor Rochette, executive manager chez Michael Page Africa, estime qu’un contrat d’expatriation est deux à trois fois plus onéreux qu’un contrat local.

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Selon l’enquête 2014 du cabinet Mercer sur le coût de la vie, deux capitales africaines figurent sur le podium des villes les plus chères pour les expatriés. Luanda, en Angola, décroche la première place, suivie par N’Djamena, au Tchad. « Même si ces villes sont relativement peu coûteuses, elles sont très chères pour les expatriés car la plupart des biens de consommation y sont importés, note dans l’étude Ed Hannibal, associé et référent mondial pour l’activité internationale du cabinet conseil. En outre, trouver un hébergement sûr répondant aux normes occidentales peut se révéler également très coûteux. »

  • 2 Des politiques d’emploi restrictives

Certains gouvernements africains, notamment ceux des pays pétroliers, imposent aux entreprises des quotas de nationaux (politique dite de local content). Depuis quatre à cinq ans, l’étau se resserre. C’est le cas, par exemple, de l’Angola et du Gabon pour les fonctions support (ressources humaines, logistique, administration et finance…) « Les sociétés pétrolières ont abusé de l’expatriation. C’est le retour du balancier », note Igor Rochette.

  • 3 Des cadres locaux de bon niveau

La raison la plus souvent avancée pour justifier le recours à un expatrié est le manque de compétences équivalentes dans le pays concerné. Voilà un discours qui tient de moins en moins la route. En effet, « les jeunes cadres locaux sont désormais mieux formés et certains ont déjà travaillé dans des entreprises internationales. Bref, ils ont toutes les compétences requises. De plus, les membres de la diaspora ont désormais une perception différente du marché du travail africain. Certains sont prêts à rentrer au pays », note Didier Acouetey, président du cabinet de recrutement Africsearch. Cerise sur le gâteau, « certains candidats locaux ou membres de la diaspora maîtrisent une ou deux langues locales », affirme Dienaba Sarr, manager du cabinet de recrutement Fed Africa.

  • 4 Des expats déconnectés du quotidien

« Le management local a une meilleure connaissance de la culture, du tissu économique et politique. L’expatrié, de par ses conditions de vie, peut être déconnecté du quotidien », souligne Igor Rochette. Par ailleurs, il n’est pas toujours évident de maîtriser les spécificités du management local. Pour un Américain ou un Européen, les politiques de motivation et d’évaluation des performances passent la plupart du temps par une approche individuelle, ce qui peut se révéler une erreur de management en Afrique où prime la notion de collectif et de solidarité de groupe.

  • 5 Halte aux mercenaires

Le cadre local est « durable », contrairement à l’expatrié, par définition temporaire. « Les entreprises bâtissent des projets dans la durée et recherchent de la stabilité, explique Dienaba Sarr. Nous nous attachons systématiquement lors de la procédure de recrutement à l’analyse du projet de vie du candidat et nous nous assurons de sa volonté de rester. »

  • 6 Des expats moins désireux de partir

L’expat « professionnel », qui faisait toute sa carrière à l’étranger, a du plomb dans l’aile. Aujourd’hui, une expérience à l’étranger est le plus souvent une simple étape dans une carrière. Et les carrières se mènent à deux ! D’où de fréquents refus d’expatriation, parce que le conjoint ne veut pas quitter son travail. Enfin, le continent africain pâtit d’une mauvaise image (insécurité, maladies, instabilité…), qui fait que les expatriés sont plus tentés par l’Asie, par exemple. Enfin, les packages sont moins attractifs qu’avant.

Alors, est-ce la fin des expats ? « Non, il y en aura toujours », estime Didier Acouetey, notamment sur les fonctions très techniques dans le cadre de grands projets d’infrastructures. Mais en moindre quantité et surtout à des conditions revues à la baisse.

Myriam Dubertrand(contributrice, le Monde Afrique)