Ce que nous sommes, Zep et le cerveau numérique (est-ce le temps de la perte de l’Humain?)

 Albums BD » Ce que nous sommes

« L’IA est une bonne chose mais elle peut perdre l’Homme, et il est temps de l’humaniser, de mettre de l’Ethique dans tout avant qu’il ne soit trop tard .

P B CISSOKO

Il y avait eu The End, un thriller écologique avec Bertail. Toujours avec lui Zep part pour Paris 2119 un thriller insidieux. Aujourd’hui il assume les fonctions complètes d’auteur avec dessin et scénario pour Ce que nous sommes. Au départ une émission qu’il entend sur le cerveau numérique répliqué, le projet Blue Rain. Le professeur Magistretti fait partie de l’équipe et Zep le contacte car cela rejoint ses propres idées pour un scénario éventuel. L’album est le résultat de cette rencontre et du choix de Zep d’évoquer ce cerveau annexe pour favorisés qui va jouer un sale tour à son héros.

Un homme et une baleine, un requin survient et se jette sur lui. Douleurs atroces mais réalité ou rêve ? Constant raconte à son ami Franz son aventure cérébrale comme celles qu’ils vivent avec des jeux vidéo où les coup sont portés.

Le projet DataBrain a trente ans. Constant est né avec un cerveau numérique. A 5 ans, avec la pack langage, en trois minutes il a appris douze langues. Sans oublier l’encyclopédie universelle en dix-sept secondes.

Il peut même se transformer en créature fantastique pour des aventures virtuelles mais réelles puisque son cerveau les vit.

On peut aussi revoir ses proches disparus mais soudain Constant fait un malaise, oublie tout victime d’un bug. Il se retrouve en périphérie où le DataBrain ne fonctionne pas, habité par des exclus du programme. Les augmentés comme Constant vivent dans des villes protégées entourées d’une ceinture électrique. Il rencontre Hazel qui peut lui en dire plus.

Pourquoi Constant a-il bugué ? Lui qu’on va surnommer XIII (bon, on aura compris) retrouve ses fondamentaux, car son savoir n’est pas acquis.

Zep transforme peu à peu en thriller son escapade SF. Piratage, marché noir, pas si simple, car Constant a des flashs. Mais quel est le rôle des humains dans tout ça ? La trame bien que classique parfois (on pense à King bien sûr) prend sa place avec une certaine philosophie de l’évolution. On y croit et on suit l’histoire sur une dessin de Zep déjà éprouvé dans The End. Tout en retrouvant tous les thèmes chers à l’auteur dont l’écologie.

Ce que nous sommes, Rue de Sèvres, 20 €

Quand il s’échappe de Titeuf, Zep voit loin. Il anticipe le monde de demain. Après « The End » et « La puissance des arbres », « Ce que nous sommes » explore le « nous » augmenté. Passionnant.

avec : Zep (Dessinateur, auteur de bande dessinée).

Quelle est la part de vraie dans ce que vous vivez ? Vos conversations intérieures ? Sur les réseaux sociaux, dans votre rapport à l’autre, à l’humanité ? Ce que nous sommes, rien que le titre est une question philosophique. Alors, imaginez que le monde de demain soit totalement virtuel. Les premières planches sont dessinées dans un dégradé de bleu. Constant nage à 30 mètres de profondeur, sans combinaison, ni bouteilles. Il est là, en maillot, minuscule aux côtés d’une baleine bleue.

La douleur est d’un réalisme incroyable. Je sentais ses dents découper mon estomac

Au milieu de cette mer immense, surgit un requin blanc qui plante ses crocs dans le jeune homme. Le dessin devient rouge. Ca sonne vrai. Et pourtant… Le monde que nous connaissons a changé. L’homme dans la BD de Zep est augmenté. Plus la peine d’être scolarisé. Constant a appris 15 ans d’école en 3 minutes. Il parle 12 langues. La nourriture, les boissons, tout cela a disparu, au profit de gélules. La sexualité ? Virtuelle. Vous pouvez être ce vous voulez quand vous voulez. Le Data Brain center stocke toutes les intelligences. Constant fait partie de la première génération à être née avec un second cerveau numérique. 30 ans qu’il existe. Mais s’il a le pouvoir d’augmenter l’homme, il n’a pas le pouvoir de réduire les inégalités. En résumé, plus on a les moyens, plus on est augmenté.

Ce que nous sommes Planche Ed. Rue de Sèvres – Zep

Je l’ai appelé Treize. C’est le nom d’un héros de bande-dessinée qui a perdu la mémoire. Je lisais ça chez ma grand-mère

Comment vivent ceux qui n’ont pas accès à cette technologie, à l’électricité que Data Brain monopolise ? Ils sont tout simplement restés dans le monde d’avant. L’électricité ? Ils jouent avec le soleil. La nature est leur coffre-fort pour la nourriture, l’hygiène et tout le reste. Constant va découvrir ce monde, malgré lui. Le piratage de Data Brain va lui faire perdre tous ses repères, mémoires, connaissances.

Constant qui ne se rappelle plus de son prénom, va être surnommé Treize (le héros de la BD de Vance et Van Hamme) par la première famille qui le recueille, puis Melville au contact de Ruben aux côtés de laquelle, il va redécouvrir le vrai monde. Ce que nous sommes n’est pas une histoire sortie de l’imaginaire de Zep. Il s’est inspiré d’un projet baptisé Blue Brain, sur la reproduction numérique du cerveau humain, et interrogé l’un des scientifiques engagé sur ces recherches. Il en résulte donc au-delà de l’histoire, une réflexion sur précisément ce que nous sommes, nous humains, sur cette planète.

En 2018, The End évoquait la puissance des arbres. Leur façon de communiquer entre eux, de réguler le vivant pour se protéger d’une humanité excessive. Même bulles écrites au crayon papier, même type de dessin réaliste, The End était construit sur le modèle de l’enquête avec des scientifiques qui cherchent à comprendre ce que cachent l’intelligence des arbres : « Une météorite qui ne supprime que les dinosaures mais laisse en vie les mammifères et les végétaux ? Ca ne tient pas. »

En 2019, avec Dominique Bertail au dessin, ZEP avait scénarisé Paris 2119. On découvrait un Paris où tout est reconnaissance faciale, où les transports se font par téléportation. Cette BD d’anticipation s’interrogeait sur l’entre-deux, c’est à dire ce moment où la nouvelle technologie devient dominante et efface peu à peu le monde d’avant.

Je suis en train d’effacer votre identité. Vous n’avez plus de crédits, plus de domicile, plus d’accès au réseau, plus de parole. Je vous adresse mes sincères condoléances

Paris 2119 Planche Ed. Rue de Sèvres – Zep & Bertail

Ce que nous sommes, c’est l’instant d’après. Le monde d’avant n’existe plus aux yeux de la masse. Mais il suffit d’un bug, d’un piratage pour que la lucidité revienne. C’est l’épreuve que traverse Constant – Melville. Dans ces trois albums, Zep se fait grave. L’homme détruit, achève, extermine, mais l’auteur dit aussi qu’il peut réparer, à condition qu’il prenne conscience du désastre à venir. Pas si simple vu d’aujourd’hui.

Ce que nous sommes de ZEP, chez Rue de Sèvres.