«Au Sénégal, le mariage est souvent pour les femmes le seul moyen d’accès à des ressources économiques» Sylvie Lambert

« Comprendre notre société est important pour son avenir »P B C

Economiste à l’Ecole d’économie de Paris (PSE) et à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement/Inrae

L’économiste Sylvie Lambert montre, dans une tribune au « Monde », comment la dépendance économique des femmes augmente à la fois la polygamie et la fécondité au Sénégal

Publié le 17 juillet 2020  . https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/07/17/au-senegal-le-mariage-est-souvent-pour-les-femmes-le-seul-moyen-d-acces-a-des-ressources-economiques_6046563_3232.html

Tribune. Dans les pays occidentaux, les économistes du mariage étudient sur quels critères (éducation, projets de vie, etc.) les individus s’apparient pour se mettre en couple, et les conséquences de ces appariements sur la division du travail ou le partage des ressources au sein du couple. Dans les pays d’Afrique de l’Ouest, les questions dominantes sont assez différentes.

En effet, la faiblesse du système public de protection sociale crée une situation dans laquelle chacun dépend de ses propres ressources ou de la solidarité familiale et communautaire. Cette nécessité de « s’assurer » influence l’ensemble des décisions matrimoniales. Ainsi, les premiers mariages sont une affaire familiale, où la question des alliances entre lignages domine souvent toute autre considération. Une fois ce mariage réalisé, les femmes sont plus autonomes en matière de décisions matrimoniales, mais leurs choix restent guidés par le souci de se protéger contre les chocs de la vie.

Au Sénégal, dans la très grande majorité des cas, le mariage est pour les femmes le seul moyen d’accéder à des ressources économiques. Le mari a l’obligation de fournir le logement, de couvrir les dépenses de santé et d’éducation et plus généralement les dépenses importantes du ménage. Un « bon mari » doit aussi donner à son épouse une allocation régulière, « la dépense quotidienne », destinée à couvrir le coût des repas familiaux.

Les femmes dépendantes des hommes

Par ailleurs, la possibilité pour une femme de gagner elle-même un revenu dépend aussi de son époux, par exemple par l’accès à la terre. Ainsi, suite à un divorce ou à un veuvage, les femmes n’ont souvent pas d’autre option que de se remarier. Lors de ce second mariage, les divorcées, et plus encore les veuves, sont fréquemment amenées à entrer dans une union polygame.

Car d’une part il est difficile pour une femme qui a déjà été mariée de trouver un époux monogame, et d’autre part la dépendance à l’égard de l’époux pousse les femmes à choisir des hommes solides financièrement, quitte à ce qu’ils soient polygames. De ce fait, même si cette solution n’est pas plébiscitée par les femmes, la polygamie a un rôle d’assurance important en facilitant le remariage nécessaire pour leur subsistance, notamment sous la forme du lévirat, c’est-à-dire le remariage à un frère du défunt.

La situation des veuves, même remariées, est tout sauf enviable, et les femmes le savent bien. Aussi se préparent-elles à cette éventualité tout au long de leur vie conjugale. Cela n’est pas sans coût, même si ce coût est difficile à déceler. Par exemple, en cas de veuvage, avoir au moins un fils s’avère indispensable. Les règles d’héritage favorisant les garçons, lui et ses frères peuvent hériter de la maison de leur père même s’ils sont très jeunes, ce qui permet à leur mère de continuer à y résider. De plus, un fils adulte accueillera sa mère plus facilement qu’une fille qui vit avec sa belle-famille.

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iNFO en  2015 /    23% des hommes et 44% des femmes sont des polygames au Sénégal