Affaire Maatzneff : Que découvre-t-on dans le livre « Le consentement » de Vanessa Springora

« Le consentement Vanessa Springora  Un livre poignant qui interroge le silence de la société d’antan 

Le silence est un crime, une non assistance à personne en danger et personne ne doit profiter de sa puissance pour abuser des enfants ou de quiconque. P B C

Au milieu des années 80, élevée par une mère divorcée, V. comble par la lecture le vide laissé par un père aux abonnés absents. À treize ans, dans un dîner, elle rencontre G., un écrivain dont elle ignore la réputation sulfureuse. Dès le premier regard, elle est happée par le charisme de cet homme de cinquante ans aux faux airs de bonze, par ses œillades énamourées et l’attention qu’il lui porte. Plus tard, elle reçoit une lettre où il lui déclare son besoin «  impérieux  » de la revoir. Omniprésent, passionné, G. parvient à la rassurer : il l’aime et ne lui fera aucun mal. Alors qu’elle vient d’avoir quatorze ans, V. s’offre à lui corps et âme. Les menaces de la brigade des mineurs renforcent cette idylle dangereusement romanesque. Mais la désillusion est terrible quand V. comprend que G. collectionne depuis toujours les amours avec des adolescentes, et pratique le tourisme sexuel dans des pays où les mineurs sont vulnérables. Derrière les apparences flatteuses de l’homme de lettres, se cache un prédateur, couvert par une partie du milieu littéraire. V. tente de s’arracher à l’emprise qu’il exerce sur elle, tandis qu’il s’apprête à raconter leur histoire dans un roman. Après leur rupture, le calvaire continue, car l’écrivain ne cesse de réactiver la souffrance de V. à coup de publications et de harcèlement.
«  Depuis tant d’années, mes rêves sont peuplés de meurtres et de vengeance. Jusqu’au jour où la solution se présente enfin, là, sous mes yeux, comme une évidence  : prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre  », écrit-elle en préambule de ce récit libérateur.Plus de trente ans après les faits, Vanessa Springora livre ce texte fulgurant, d’une sidérante lucidité, écrit dans une langue remarquable. Elle y dépeint un processus de manipulation psychique implacable et l’ambiguïté effrayante dans laquelle est placée la victime consentante, amoureuse. Mais au-delà de son histoire individuelle, elle questionne aussi les dérives d’une époque, et la complaisance d’un milieu aveuglé par le talent et la célébrité ».

‘ Une parenthèse pour mieux comprendre le flou , l’omerta , la dissimulation, le mensonge , le travestissement de la pensée –in  https://www.universalis.fr/encyclopedie/pedophilie/1-etymologie-et-mythologie/ « Étymologie et mythologie

Le terme pédophilie est d’un emploi relativement récent. Il nous vient de la terminologie psychiatrique de la fin du XIXe siècle. C’est un néologisme formé de l’alliance de deux racines grecques : paispaidos, signifiant « enfant » et philein, « aimer d’amitié ». Étymologiquement, l’acception de pédophile est entendue comme signifiant « celui qui aime les enfants ». Le terme philia n’ayant aucune connotation sexuelle en grec, il n’était pas des plus judicieux de le retenir pour caractériser une pulsion libidinale conduisant, dans les cas les plus graves, à un passage à l’acte, avec ou sans violence.

Il importe de bien différencier cette notion moderne de pédophilie de la notion antique de pédérastie. Ce dernier terme, formé à partir de la même première racine et de erastês, « amoureux », dérivé de erân (désirer sexuellement), signifie spécifiquement dans l’Antiquité le désir amoureux de l’homme adulte pour un jeune garçon. C’est par un abus de langage que, au XIXe siècle, le terme pédérastie fut pris pour équivalent du mot homosexualité. Ce dernier, apparu au milieu du siècle, désigne l’appétence d’un sujet – masculin ou féminin – pour des personnes de son sexe. Il n’est alors question que de relations entre adultes consentants.

La pédérastie comme relation initiatique est une pratique que l’on retrouve dans les plus anciennes sociétés (Papous, Aborigènes) et sur tous les continents (Polynésie, Chine, Japon, Crète, Grèce).

Dans la tradition mythologique grecque, l’amour des jeunes garçons possède une double valence. Côté séduction, c’est le mythe du jeune Ganymède, à peine adolescent, dont l’extrême beauté avait charmé le plus puissant des dieux de l’Olympe, Zeus. Ce dernier aurait pris la forme d’un aigle pour enlever le jeune mortel. Devenu sur l’Olympe son amant, Zeus en fit son échanson. À côté de cette face lumineuse, il y a une face sombre de l’amour des enfants, beaucoup plus […] »

« Un pédophile n’est pas un ami des enfants c’est le contraire, aimer un enfant ce n’est pas lui faire l’amour » LASSUS

Dans son premier livre, l’éditrice décrit l’emprise de l’écrivain des Carnets noirs sur elle au début des années 1980. Un retour sur ce qu’elle nomme, dans ce récit cathartique, un «sortilège».

Par Jean Talabot et Alice Develey

Dans «Le Consentement» (éd. Grasset), Vanessa Springora cherche à «prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre». Grasset

On aurait tendance à l’oublier, Le Consentement est avant tout un livre. Pas un roman, ni un simple témoignage. Si Vanessa Springora avait seulement souhaité dénoncer la pédophilie de Gabriel Matzneff et mettre fin à cinquante ans d’apathie de la part du monde littéraire, elle aurait pu se contenter d’une interview dans la presse. Notre époque, caisse de résonance du mouvement #MeToo, aurait fait le reste.

L’enjeu n’est pas là. Sans doute est-il plus complexe pour celle qui est aujourd’hui éditrice chez Julliard. En deux cents pages, la très jeune amante de l’auteur des Moins de seize ans (elle en a quatorze à l’époque des faits, lui, cinquante) entend se libérer de l’emprise qu’a pu avoir sur elle l’écrivain des décennies durant. La première partie du Consentement ressemble à une séance de psychothérapie, voire de psychanalyse.

Pour lui, elle fut «V» dans ses romans. «Cette initiale résume désormais mon identité, note-t-elle J’aurais quatorze ans pour la vie. C’est écrit.» D’où cette volonté, sans doute, de ne plus le mentionner qu’en ces termes: «G.M.». À son tour, l’écrivain est réduit à une projection littéraire, enfermée par deux petites lettres.

Un «bel homme au sourire paternel»

Dans la première partie, la narratrice revient sur son enfance et sur la séparation précoce de ses parents. Cette attirance pour un romancier quinquagénaire doit compenser l’absence de figure paternelle. «Depuis qu’il a disparu, je cherche désespérément à accrocher le regard des hommes, écrit-elle à propos de son père. L’écrivain représentait la figure de l’autorité suprême.»

Toute scène devient propice à expliquer les événements qui adviendront . «On n’échappe pas à son déterminisme», se justifie-t-elle. Chaque souvenir candide est alors corrélé au sexe. Si d’habitude, les monstres habitent les placards, chez son père, la jeune Vanessa Springora découvre une poupée gonflable. Et tandis qu’un exhibitionniste ouvre son manteau devant l’enfant, la rencontre avec Matzneff ouvre le chapitre intitulé «La Proie».

Cette première entrevue a lieu lors d’un dîner mondain auquel Vanessa Springora a été traînée par sa mère, attachée de presse dans l’édition. L’homme la dévore des yeux. Curieuse, elle l’observe en retour. Le portrait qu’elle en dresse est d’abord élogieux: «Bel homme, sourire paternel, regard amusé et intrigant, des yeux d’un bleu surnaturel». Son «charme de bonze» l’envoûte. Il la voussoie et lui écrit des poèmes. Pour autant, «le sourire carnassier de grand fauve blond» trahit ses intentions. Plus loin, elle apporte une précision éloquente: «Je n’ai pas de dessous féminins dignes de ce nom, et rien ne peut davantage plaire à G.»

Elle avoue son amour pour Matzneff à sa mère. Malgré «une grimace de dégoût mêlée d’incrédulité», celle-ci ne l’empêche toutefois de le rejoindre. Deux pages plus loin, nous voilà entre les draps de l’écrivain. Le récit est glaçant. Comme l’enfant a mal, «G. [la] retourne sur le matelas». Vanessa Springora ne s’étend pas. Elle évacue l’image d’une phrase, sèche et glaçante: «Voilà comment je perds une première partie de ma virginité. Comme un petit garçon.»

La jeune fille est totalement éprise ; elle s’insurge contre ceux qui ne partagent pas son enthousiasme. Pourquoi une fille de quatorze ans n’aurait pas le droit d’aimer qui elle veut , s’interroge-t-elle. «Jamais je n’accepterais d’être séparée de lui. Plutôt mourir .» D’autant qu’à l’époque, elle le note à dessein, certains journaux se font les porte-voix de pétitions en faveur de la dépénalisation des relations sexuelles entre mineurs et adultes. Pourquoi son amour sincère, total serait-il interdit dans le sillage de Mai-68 et de son mantra, «il est interdit d’interdire»?

Le laissez-passer de cette passion dévorante lui est attribué dans une scène insoutenable. Lorsque son gynécologue, dont on espère qu’il ne sévit plus, lui opère une «légère incision pour lui permettre d’accéder aux joies du sexe» et «aider l’homme qui se rend quotidiennement à [son] chevet à jouir sans entrave de tous les orifices de [son] corps».

«Il faut croire que l’artiste appartient à une caste à part»

À l’inverse de la plume crue, à la fois précieuse et licencieuse de Matzneff, Springora s’exprime dans une langue factuelle et distanciée. Les faits parlent d’eux-mêmes. La littérature est ici digérée, introspective, à l’opposé de l’écriture fiévreuse, endimanchée, qui habite les carnets de Matzneff. L’homme ne se cache jamais. Ni dans le papier, ni dans la réalité. Pourtant aucun médecin, aucune brigade des mineurs, ne met fin à leur couple. Malgré les dénonciations anonymes dont le «couple» est l’objet à l’époque.

Comme l’auteur, on s’interroge. «Si les relations sexuelles entre un adulte et un mineur de moins de quinze ans sont illégales, pourquoi cette tolérance quand elles sont le fait du représentant d’une élite – photographe, écrivain, cinéaste, peintre?» L’auteur avance une réponse qui ne manque pas de sarcasme: «Il faut croire que l’artiste appartient à une caste à part, qu’il est un être aux vertus supérieures auquel nous offrons un mandat de toute-puissance, sans autre contrepartie que la production d’une œuvre originale et subversive, une sorte d’aristocrate détenteur de privilèges exceptionnels devant lequel notre jugement, dans un état de sidération aveugle doit s’effacer.»

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Les contes de fée éclairent d’une lumière blafarde son histoire. La référence au Petit Chaperon rouge est transparente. Rappelons-le, dans ce récit, le loup partage le rôle de prédateur et de protecteur. «Quand le petit Chaperon rouge se déshabille et rejoint le loup dans le lit, et que le loup lui dit que ses grands bras sont faits pour mieux l’embrasser, rien n’est laissé à l’imagination, peut-on lire dans La Psychanalyse des contes de fée. Comme la fillette, en réponse à cette tentative de séduction directe et évidente, n’esquisse pas le moindre mouvement de fuite ou de résistance, on peut croire qu’elle est idiote ou qu’elle désire être séduite

«Le sortilège se dissipe»

Chez Vanessa Springora, qui n’a sans doute pas manqué de lire Bruno Bettelheim, le loup représente aussi bien l’animal féroce que la figure paternelle. «Cet homme n’était pas bon. Il était bien ce qu’on apprend à redouter dès l’enfance: un ogre», écrit-elle. De proie, elle cherche désormais à «prendre le chasseur à son propre piègel’enfermer dans un livre.»

Comme dans les contes de fées, Vanessa parvient à s’échapper. Mais la fin n’est pas aussi heureuse. Au moment où elle désire se soustraire définitivement à l’emprise de G.M., sa mère lui lance: «Le pauvre, tu es sûre? Il t’adore! » Lui ne veut rien entendre, la traite de «folle, d’hystérique, d’insatisfaite chronique».

L’emprise physique devient alors psychologique. Harcelée de lettres, de coups de téléphone, héroïne malgré elle des nouveaux romans de l’écrivain, la jeune fille s’abîme dans la dépression. La deuxième partie du Consentement fait état d’une longue reconstruction, entre crises psychotiques, cure de la parole et suivi psychanalytique.

Avec le temps, «le sortilège se dissipe» et l’auteur réussit à desserrer l’étau de cette relation toxique. Son expérience personnelle se mue peu à peu en réquisitoire. Elle revient à la notion de consentement, titre de son livre.

De l’amour, il y en eut sûrement. «Notre histoire était pourtant unique, et sublime», reconnaît-elle avant d’évoquer le syndrome de Stockholm. «Notre passion extraordinaire aurait été sublime, c’est vrai, si j’avais été celle qui l’avait poussé à enfreindre la loi par amour, si au lieu de cela, G. n’avait pas rejoué cette histoire cent fois tout au long de sa vie…»

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PauAffaire Matzneff: le livre de Vanessa Springora, «une étape importante» face à la pédophilie

La sortie chez Grasset de Consentement a provoqué une véritable prise de conscience de la part de l’opinion publique. Mais elle a fracturé les tenants de nouveau et de l’ancien monde des lettres.

Par AFP agence et Le Figaro

La pédophilie de l’écrivain Gabriel Matzneff dénoncée dans un livre-témoignage

Dans Le Consentement, l’éditrice Vanessa Springora raconte sur 200 pages comment elle a été séduite à 14 ans par un écrivain célèbre désigné par ses initiales «G. M.».

Par AFP agence et Le Figaro

Publié le 26 décembre 2019 à 15:07, mis à jour le 27 décembre

La sortie de l’ouvrage relance le débat entre défenseurs de l’écrivain, dénonçant une forme de puritanisme voire un procès fait à une époque révolue, et ceux défendant les victimes de violences sexuelles. JACQUES DEMARTHON/AFP

Le goût de Gabriel Matzneff pour «les moins de seize ans» est au cœur de son œuvre mais jamais l’une des adolescentes séduites par le sulfureux écrivain n’avait pris la parole: l’éditrice Vanessa Springora décrit une relation sous emprise dans un livre qui secoue déjà le monde littéraire. La nouvelle directrice des éditions Julliard raconte sur 200 pages comment elle a été séduite à 14 ans par le presque quinquagénaire (elle le nomme G. M.) au milieu des années 1980. Publié le 2 janvier chez Grasset, Le Consentement sort dans un contexte de dénonciation des violences sexuelles.

Sur Europe 1 Mr LASSUS très critique

Affaire Matzneff : « Il y avait une omerta consciente », dénonce Pierre Lassus

 08h22, le 02 janvier 2020 , modifié à 08h58, le 02 janvier 2020  Sur Europe 1 Mr LASSUS très critique

Le psychothérapeute Pierre Lassus, également directeur général honoraire de l’Union française pour le sauvetage de l’enfance, avait lancé une alerte au début des années 2000 alors que l’Académie française voulait décerner un prix à l’écrivain ouvertement pédophile. Il raconte sur Europe 1 une époque où le silence et la crainte régnaient dans le monde de l’édition.

INTERVIEW

Sans Pierre Lassus, Gabriel Matzneff pourrait se targuer, parmi d’autres distinctions, d’avoir été honoré par le prix du roman de l’Académie française. Mais apprenant que les Immortels voulaient, au début des années 2000, récompenser l’un des ouvrages de l’écrivain aux penchants ouvertement pédophiles, ce psychothérapeute, alors directeur général de l’Union française pour le sauvetage de l’enfance, avait tiré la sonnette d’alarme, et obtenu gain de cause. Près de vingt ans plus tard, alors que l’affaire Matzneff a éclaté, suite aux révélations de Vanessa Springora, qui sort jeudi Le consentement, Pierre Lassus dénonce sur Europe 1 les travers d’une époque. « Il y avait une omerta inconsciente, parce que les gens ne se rendaient pas compte de la gravité des faits », explique-t-il. « Mais il y avait aussi une omerta consciente. »

« Dans le milieu littéraire, ces personnes-là faisaient le pluie et le beau temps »

Quand il avait été alerté l’Académie française, Pierre Lassus avait été accusé de censure. Mais les choses étaient allées plus loin. « J’ai aussi commis quelques ouvrages, et un grand éditeur notamment m’a dit ‘vous êtres blacklistés’ », raconte le psychothérapeute. « Un autre éditeur, alors que je citais des noms des gens qui avaient soutenu Matzneff et soutenu d’une façon générale la pédophilie, m’a dit ‘surtout pas de noms’. »

Alors pourquoi cette chape de plomb imposée ? « Parce que dans le milieu littéraire, ces personnes-là faisaient le pluie et le beau temps sur les prix, etc », explique Pierre Lassus. « Donc aucun éditeur ne voulait se les mettre à dos on ne voulait pas se fâcher avec X,Y, Z, dont on connaissait le poids dans le monde de l’édition. »

Voilà pour l' »omerta consciente ». Quid de l' »omerta inconsciente » ? « Ce n’était pas connu. Et c’était beaucoup plus accepté, parce qu’on ne connaissait pas les conséquences », répond Pierre Lassus. « Il y a une responsabilité des psychothérapeutes, psychanalystes et compagnie, parce qu’ils n’avaient pas mesuré – parce que ça ne les intéressait pas, c’était des enfants, ça n’intéresse pas grand-monde- la gravité des agressions sexuelles contre les enfants », accuse-t-il.

Par Rémi Duchemin