HISTORIOGRAPHIE DES ÉCRITURES AFRICAINES-SUITE AU COLLOQUE DU PROF. S. BATTESTINI : DE L’ÉCRIT À L’ORAL AFRICAIN. LE PHÉNOMÈNE GRAPHIQUE AFRICAIN Paris Trocadéro 2003-PAR PAPE BAKARY CISSOKO, PHILOSOPHE

                                                                                                                           
Comme l’histoire (Hegel), l’esthétique africaine, le discours sur les écritures africaines a fait couler beaucoup d’encre. Rien de simple quand il est question d’installer de façon définitive des idées et faits quand il est question de l’Afrique.
Il faut préciser que les intellectuels africains pour l’essentiel, formés dans des écoles occidentales ont accepté sans critique les théories négatives sur leur continent.
L’exégèse interne des textes permet de mieux cerner et comprendre certaines réalités.
L’antériorité de la civilisation nègre ne fait plus de doute pour des universitaires sérieux et certains faits ont été validés par Darwin 1802-1881 et H. Weinert.
L’idée qu’il n’y a pas de documents écrits et d’écriture pour certains auteurs classiques est un argument pour affirmer qu’on ne peut pas parler d’histoire en Afrique. Cette assertion a pour conséquence le fait qu’eu égard à cette venue tardive, l’histoire aurait commencé qu’avec l’avènement de l’Égypte et de Sumer, ce qui est faux (4 à 5000 ans).
Il y a accord que l’Afrique foisonne de langues entre 800 et 1500 selon des critères qui distingueraient langues et dialectes, on oublie aussi de façon volontaire ou non qu’elle est riche en alphabets et en systèmes de signes divers. Certes ces alphabets sont récents et ont une particularité d’être le fruit de l’imagination de gens connus.
C’est vrai aussi que ces alphabets et signes n’ont pas été assez utilisés pour la publication.
Pour ce qui nous intéresse ici, la linguistique, les écritures africaines en particulier, les critiques sont nombreuses pour dénier son existence ou pour l’enfermer dans une catégorie limitée dans le temps et dans l’espace.
Notre propos ici n’est pas de dire ce qu’est une écriture ou ce qui ne l’est pas, mais bien de montrer ce qui s’est dit à ce sujet. Notre prétention sera limitée parce que nous n’allons pas disserter sur tous ceux qui ont écrit sur ce sujet.
Donc c’est un choix d’auteurs subjectifs mais éclairant sur le sujet. Un regard sur l’écriture et son origine nous intéressent pour ensuite tenter de montrer les quelques arguments qui réfutent l’idée de l’existence des écritures africaines et enfin nous appesantir sur les propos tenus de 1960 à nos jours (C. Anta. DIOP, Obenga, Battestini).

1) Regard sur l’origine de l’écriture.

Il est important de situer le contexte de découverte des écritures, pour mieux comprendre le bien fondé des arguments que nous avancerons, pour conforter ou discréditer les arguments avancés.
C’est en Mésopotamie Asie Mineure que l’écriture aurait fait son apparition entre le VIe et le 1er millénaire avant notre ère.
Ces premiers signes étaient destinés aux comptes agricoles. C’est sur des tablettes d’argile qu’étaient inscrits les listes de sacs de grains et de têtes de bétails.
Les écritures cunéiformes ont ainsi vu le jour et elles étaient en vérité des aide-mémoires.
Il faut noter que les signes étaient nombreux et cela posait problème, donc les sumériens et les anciens égyptiens, pensèrent (à réduire leur nombre et utilisèrent la technique et l’associer du rebus (le rebus qui consiste dans l’utilisation du son d’un objet dessiné ; un pictogramme et l’associer à d’autres sons pour former un autre nom : chat+pot=chapeau).
L’écriture entre le 3eme et le 1er millénaire, en Palestine et en Arménie. Il n’a pas que des écritures cunéiformes, il a existé dans d’autres contrées du monde des systèmes d’écritures qui ont fonctionnent sans difficulté majeure en Égypte et en Chine.
Aujourd’hui en Égypte les hiéroglyphes et les cunéiformes ont été remplacés par l’écriture arabe depuis des années voire des siècles. L’écriture chinoise elle est restée fidèle à ses origines.

La lecture des écritures chinoises soit dit en passant n’est pas si simple, elles peuvent se lire de haut en bas, de la gauche vers la droite selon le niveau d’éducation du lecteur. Allons vite et brûlons des étapes pour remarquer que mille ans AV-J.C, on assiste à l’invention de l’alphabet qui opéra une véritable à une véritable révolution. Le premier modèle d’alphabet est attribué aux phéniciens. On y trouve des consonnes et précisons Vers le V ème siècle les alphabets hébreux et arabe son issus de celui phénicien.

Vers le Vème siècle AV-J.C, l’alphabet grec fait son apparition et jusqu’aux environs du VIIIème siècle AV-J.C les hiéroglyphes étaient encore usitées en Egypte. Des emprunts réciproques ont favorisé le développement de certaines écritures.
On a remarqué que l’alphabet grec était pauvre en voyelle mais par la suite, les grecs ont eu l’idée pour noter leur voyelles d’emprunter à l’alphabet araméen (langue parlée dans l’ouest de l’Asie) plusieurs signes, qui représentent des consonnes, ainsi naquirent le A de alpha et le E de epsilon, etc. Vers le IIIème siècle AV-J.C à l’alphabet latin car ils étaient de grands navigateurs et voyageaient tout autour de la Méditerranée, dont en Italie.
Bref, l’aventure des écritures n’est pas si simple et du III au II ème AV-J.C, la nouvelle écriture commune et l’onciale (écriture romaine large en lettres majuscules) apparaissent.
2) Les divers discours.
Ki-ZERBO éminent intellectuel africain sérieux, nous décrit l’écriture comme un signe, un symbole humain parmi d’autres. Il précise que des peuples ont acquis un certain degré d’évolution en l’absence d’une quelconque écriture (Ifé au Nigéria), mais il note que les sociétés traditionnelles ont une grande carence qui se caractérise par ce même défaut. (- absence d’écriture).

Suivons la pensée de Ki-Zerbo qui définit l’écriture comme un outil « formidable de précision et d’abstraction et de généralisation de la pensée, d’accumulation et de transmission du capital intellectuel » (cf. page 363 Histoire Générale). Nous notons une contradiction quand Ki-Zerbo reconnaît que l’écriture est comme un signe, un symbole, ce qu’on ne peut pas refuser à l’Afrique noire (les symboles Adinkra, idéogrammes Gicandi, etc). Concernant l’abstraction, T. Obenga démontre bien que les écritures africaines sont capables d’abstraction et il proposera même une transcription algébrique d’un problème. De plus à la page 335, T. Obenga propose un cas d’abstraction avec la numération Ibaa. Bref depuis longtemps on sait que la volonté de calculer, d’accumuler ou de savoir combien d’éléments ont existé chez tous les peuples.

3) Les discours de Griaule et Lacroix.

Il est intéressant de signaler les discours de Calame-Griaule et Lacroix à propos des graphies et signes africains. Ils signalent que le Dr Dalby a répertorié dans deux articles les graphies africaines. Calame-GRIAULE et LACROIX avancent dans leurs théories que ces graphies sont d’apparition récentes (début du siècle) et qu’elles ont pratiquement disparu avec l’imposition par les missions colonisatrices des transcriptions romanisées .Ils ont constaté que ces systèmes de graphies sont caractérisés par leur capacité à évoluer vite pour coller à la réalité. Par exemple le Bamoun est passé de 500 à 80 signes en l’espace de 10 à 15 ans. Les graphies Basa se réduisent de 35 à 32 signes et on ne peut pas dire que leur apprentissage peut être entravé par leur nombre.
Mais leur originalité se retrouve dans cette contribution notoire à propos des graphies africaines. « Ceci considéré, il apparaît donc que sur le plan strictement technique, les écritures africaines étaient parfaitement utilisables ; leur fortune n’a pourtant été en général qu’assez médiocre et leur fréquence d’emploi demeurait dans l’ensemble assez restreinte » p 260.
Ces graphies n’ont pas été que des inventions futiles, elles étaient destinées à des missions bien précises. Par exemple les graphies Bamoun étaient utilisées pour la rédaction des traditions dynastiques, à des traductions de textes religieux ou à la correspondance. La jalousie ou la volonté de faire comme le voisin a pousser certaines régions à inventer des systèmes de graphies ce qui pouvait montrer aussi leur pouvoir. N’oublions pas que dans l’Egypte ancienne, le fait de pouvoir écrire donnait un certain pouvoir et était une marque de reconnaissance.
Certains hommes politiques comme le chef des Bamoun avec son organisation bien structurée avait pu étendre beaucoup plus son système d’écriture chez les Bamiléké par exemple alors que les colonisateurs avaient pu freiner voir éliminer ceux de ses voisins en imposant la forme romanisée.
Les discours de Calame-GRIAULE et Lacroix ont un véritable intérêt parce qu’ils ont su analyser de façon rigoureuse les types d’écritures qui existaient sans manquer de faire remarquer les lacunes et défauts. Ces défauts sont caractéristiques d’ailleurs de toutes les écritures africaines et autres. Par exemple le Loma possède des combinaisons syllabiques impossibles à transcrire avec le syllabaire.

Anne ZALI et Annie BERTHIER après un travail remarquable ont établi une sorte de cartographie des écritures africaines et voici ce qu’elles en disent : « la plus ancienne de ces écritures est la graphie Vai, qui apparaît aux confins du Libéria et du Sierra Léone en 1833. Ses deux cents douze caractères sont révélés en songe par un « homme blanc » et transmis sous la forme d’un « livre » à son inventeur, Momulu Duwalu Bukele, qui lisait l’alphabet latin. L’inventeur de l’écriture Mende, Kisima kamara, un tailleur musulman d’origine Mandika, comme l’alphabet arabe et Vai. Les cent quatre-vingt-quinze caractère du Mende lui sont inspirés en 1921. A la même époque au Libéria, le Dr Thomas Flo Lewis, d’origine Bassa, s’inspire également du syllabique Vai pour présenter un système de trente-cinq signes, capables de transcrire les tons.

Au Libéria Wido rêve que Dieu est auprès de lui et hésite à lui donner l’écriture, de crainte que les hommes ne s’éloignent de la tradition et négligent les rites secrets de l’initiation. Dieu accepte de donner l’écriture à Wido à condition qu’il ne le révèle aux femmes. Les cent quatre-vingt-cinq signes de l’alphabet Loma lui apparaissent le lendemain. La même année, Gblili, chef traditionnel Hanoye, au sortir de sept années d’une maladie incurable, les quatre-vingt-huit signes de l’écriture Kpelle et retrouve le pouvoir.
Au Cameroun, le roi Njoya vit au contact des Haoussa et des peuls lettrés en Arabe. A partir de 1903, il invente un alphabet de quatre-vingt signes. La pratique graphique lui est inspirée par un songe prémonitoire. L’îlot dialectal Bagam (tsop) appartenant à l’ensemble Bamiléké qui s’inspire de cet alphabet pour établir, autour de 1915, un alphabet qui leur est propre ».
Il est clair que les écritures existent bien en Afrique même si elles ont des origines surnaturelles (le songe etc).

C.A. DIOP a bien essayé avec des arguments forts de montrer la parenté génétique entre les écritures égyptiennes et le wolof.
Obenga reprend ses idées et ce que nous tenterons de montrer ici en relayant ses idées. Pour lui il n’y a pas de raison sérieuse pour qu’un scientifique récuse l’idée que les hiéroglyphes sont apparus aux environs 3000 avant notre ère (première dynastie). Champollion avait cette idée selon laquelle : « L’Europe qui reçut de la vieille Egypte les éléments des sciences et des arts, lui devrait encore l’inappréciable bienfait de l’écriture alphabétique ».

Quand on cherche plus loin, Obenga affirme que c’est en vain, qu’on chercherait un quelconque embryon d’écriture spécifique à l’Europe. Et voici qu’il tente de définir la notion d’écriture qui selon lui a partie liée avec la psychologie. Il a emprunté les théories de Paul Brocca ( 1824-1850) et de Jean Marie CHARCOT (1825-1893) qui ont montré les éléments physiologiques qui sont mobilisés dans l’acte d’écrire ». Les gestes, le jeu des muscles du front, des paupières, des lèvres, du nez, des mâchoires, etc ; aident l’homme, ainsi que les singes par exemples à exprimer un nombre considérable et varié de sentiments. Ces gestes, ces mouvements de la physionomie, ont précédé, semble-t-il, le langage proprement dit, le langage articulé ».
Après cette phase langagière, l’homme a essayé d’écrire, de transcrire ses émotions, en clair il a tenté de décrire sa parole. C’est la naissance de la conservation de la parole à travers des signes, une schématisation graphique et dynamique.

Obenga cherche à comprendre les arguments des uns et des autres pour ensuite en extirper une définition de l’écriture : l’écriture selon lui consiste à construire des formes organiques (signes graphiques) appropriés à des attitudes générales de l’expression humaine.
Les vocables sont transformés en véhicule symbolique. Le langage écrit est une représentation du langage articulé à l’aide d’images, signes ou caractères dessinés ou gravés sur une surface quelconque avec matière quelconque.
L’acquisition de la graphie ou de l’écriture s’inscrit dans la durée, elle est le fruit d’un long processus, fruit du tâtonnement intellectuel durant des siècles. C’est en tous cas ce qui selon T. OBENGA explique que les peuples qui ont une écriture endogène n’ont pu accéder à l’écriture phonétique c’est-à-dire le stade de l’alphabet.
Il a répertorié différents systèmes d’écritures dans différentes aires géographiques Le système mnémotechnique avec des cordelettes à nœuds appelées quippos. Ce système d’écriture était en usage chez les péruviens à l’époque des Incas.
L’autre système d’écriture est pictographique, c’est-à-dire qu’à chaque élément correspond une image. Il y a aussi le système idéographique qui fait qu’un mot est représenté par un signe étranger. On a connu aussi l’écriture synthétique, c’est-à-dire qu’un élément abstrait est représenté par une image, un dessin. On peut prendre comme exemple les hiéroglyphes : représentation d’un homme à genoux, les mains levées.Le système phonétique.
Bref T. Obenga a compris qu’il y a eu une évolution notoire dans les systèmes d’écriture. Il ne fallait plus reproduire verbalement le langage articulé, c’est-à-dire transcrire le son des mots. Du coup on passe du système phonétique au phonétisme alphabétique.
Selon Obenga l’idée selon laquelle les africains préfèrent la parole à l’écriture est un argument faux et infondé. On peut entendre ce que Platon disait de la qualité de l’oralité pour la conservation de la mémoire par rapport à l’écriture. ( La Banquet).

Les écritures historiques ( Aroko, Gicandi, nsibidi, mende, toma, vai, et mum). Il remarque la pauvreté des informations qui sont fournies sur le compte de ces écritures, ce qui au demeurant freine toute possibilité de suivre les stades d’évolution de certaines de ces écritures. On a reproché aux écritures africaines leur incapacité à formaliser des opérations. C’est une façon bien entendu et comme d’habitude cette volonté de nuire à l’Afrique en lui refusant ceci ou cela.
Obenga a montré par l’exemple que les écritures africaines sont bien capables de transcrire les pensées les plus fortes. On a traduit des vers de Lucrèce en Mbossi et en Kikongo les quatre premières règles de du discours de la méthode de Descartes.
On s’est demandé si le système graphique est un élément caractéristique de l’écriture ou si c’est une écriture. De plus, il est souvent arrivé que des auteurs disent que ces soit disant systèmes graphiques ne sont pas des écritures et qu’ils sont limités dans le temps et l’espace. Selon Obenga, les messages symboliques constituent bien un système graphique en ce sens qu’ils fixent des idées, des sentiments.

L’écriture selon A ZALI et A BERTHIER est un outil supérieur à la parole dans un sens (Cf. Platon) en cela qu’elle donne à voir, elle représente. Dans cette présentification, elle fonctionne dans et par la production ou l’usage d’objet matériel et donc il y a création d’objet-support. Les écritures africaines ont donné l’occasion de penser qu’un système d’écriture n’a pas besoin de vocalisation pour devenir un moyen de communication efficace.
Il nous semble que ces deux auteurs ont exprimé des pensées fortes qui mettent en lumière le discours qu’on peut tenir sur ces écritures.
Un autre texte éclairant de ces mêmes auteurs nous dit ceci : « Avec les écritures africaines, on comprend qu’un système d’écriture n’a pas besoin d’un système de vocalisation pour devenir un moyen de communication efficace.

L’écriture se « met en place » dans une surface définie, sur un support qui n’est pas neutre mais choisi. Une « grammaire visuelle » s’organise au-delà de la simple correspondance saussurienne signifiant-signifié et fait appel à une gamme de ressources iconiques, de contrastes visuels que le langage ne rend pas. Avant d’être matérialisé, le monde existait sous forme de traces ; l’écriture s’offre au regard par a présence de traces qui ravivent dans l’espace du support élu, l’ordre de la création. Dans ces « lieux de l’écriture », des composants iconiques et iconiques, le vide même des blancs laissés entre les signes, font sens et permettent à l’invisible, immanent ou divin, d’atteindre immédiatement le présent des hommes. Le signe n’imite pas le réel, il est à interpréter : l’activité interprétative n’est pas sans rappeler la divination. Qualifier l’Afrique de continent « sans écriture », c’est oublier, aveuglé par la place privilégiée de l’écriture dans notre conception occidentale de la communication, que dans les systèmes graphiques africains, les signes et les figures tracées viennent exprimer de façon concrète et visible ce que la parole ne dit pas.

Le travail de Battestini est aujourd’hui incontournable, il est riche en enseignements et inaugure une réflexion critique nécessaire à l’avancée des idées sur les graphies ou discours sur ce sujet.
Donnons la parole à Guy Spielmann « Le primat de l’écriture s’explique moins par des raisons de fonctionnalités que par une croyance quasi métaphysique dans la « perfection » de l’alphabet romain, homologue à la perfection de la civilisation qui la produit ». Battestini enfonce le clou et va révolutionner les grilles de lecture ou d’analyse imposées par l’intelligentsia occidentale. Pour lui il faut considérer comme texte « toute séquence signifiante formant un tout cohérent et lisible et comme « script » terme d’acceptation plus large qu’« écriture » tout système de représentation matérielle pouvant servir à élaborer ce texte ».
La conséquence d’une telle idée est double, d’abord elle incite à reconnaître d’autre mode d’expressions graphiques ( les pratiques africaines) et ensuite le bouleversement de la problématique générale de l’écriture et du texte. Battestini nous fait remarquer que l’écriture résulterait d’une faculté de l’espèce humaine diversement exploitée, elle est multiforme et hétéroclite, il récuse toute tentative ethnocentrique, évolutionniste et biblique. Le discours de Battestini tout en reconnaissant certains aspects pertinents de la démarche de Diop C.A, Obenga et de Senghor réfute tout diffusionnisme culturel qui fait de l’Egypte l ’épicentre du monde. Cela dit Battestini montre que des peuples africains ont inventé des systèmes d’écritures et d’autres non ; c’est pourquoi il invite les africanistes à plus de modestie et de vigilance pour ne pas tomber dans un ethnocentrisme qui ne profite en rien au savoir scientifique. L’Afrique n’est ni inférieure ni supérieure elle est et existe et il faut la prendre avec ses acquis et ses faiblesses.
Pour mieux défendre ses arguments Battestini dans son ouvrage « Écriture et texte » a mobilisé des discours multiples et variés sur les écritures africaines pour ensuite montrer leurs limites. Ainsi des théoriciens et spécialistes avaient avancé des idées et par le simple fait qu’ils étaient reconnus dans leurs domaines de compétence donnait du crédit aux absurdités les plus farfelues. Ainsi Levi-strauss et des auteurs comme Barthes etc, ont accrédité des théories, des gens peu ou même pas informé comme Hume, Kant et Hegel sur ce qu’ils ont appelé des « sociétés sans écritures ».
C’est l’auteur de « Race et histoire » 1952 qui voit dans l’écriture unique inéluctable de progrès intellectuel.
On est surpris que Levi-Strauss ne puissent reconnaître en dehors des écritures d’autres systèmes. Pour Battestini la méthode pour gérer ce travers est l’utilisation de la sémiotique (science et théorie des signes). Elle est par sa dynamique seule capable de détecter et d’exposer les contre-vérités. En utilisant divers domaines du savoir, elle favorise l’éclatement de la vérité en tenant compte de tous les systèmes de communication ce qui évite d’exclure sans raison.
Battestini dans sa quête de vérité émet cette hypothèse que la sémiotique, au sens où elle a pour fonction de représenter non pas la parole ou la langue, ce qui est généralement admis en occident, mais des penseurs, qui ont des manières différentes et concevables de penser.
On ne peut se limiter à une vision univoque du monde sans tomber dans un nombrilisme qui est contraire à l’esprit scientifique, ce dernier accumule, teste pour éliminer jusqu’à l’élément qui résistera au test. Si ce résultat n’est pas admis comme vrai éliminer jusqu’à l’élément qui résistera au test.
Si ce résultat n’est pas admis comme vrai universellement on ne pourra pas dire que les moyens d’investigation et le souci ou l’exigence de vérité n’a pas été mobilisée en ce sens. Ce n’est pas en opérant une sélection qu’on arrivera à la vérité dans ce monde et parlant des écritures africaines. Opposer les cultures sur la base du diptyque avec écriture et sans écriture ou tradition orale, sans histoire et avec histoire n’est pas la bonne manière pour rendre compte de ce que l’on veut démontrer. Il nous semble que les discours sur l’Afrique se sont souvent déclinés sur la base d’un malentendu volontairement choisi pour assouvir ce désir d’occulter et d’asseoir sa supériorité au nom de ses propres paradigmes taillés sur mesure.
L’hypothèse de Battestini est en cela novatrice et c’est pourquoi, les arguments avancés méritent attention même s’ils bousculent des habitudes de penser et sa conception sur l’existence. Ce n’est pas parce qu’une vérité a fonctionné pendant des années qu’elle est inamovible ou éternelle.
Les dispositifs nouveaux avec les apports de certaines sciences permettent de dénoncer cette soi disante vérité pour la remplacer par une autre qui est plus commode, plus concevable et c’est pourquoi le texte de Battestini doit être l’occasion de renverser la vapeur ou sujet à critique pour traquer la Vérité Universelle mais non parcellaire.
Les dispositifs nouveaux avec les apports de certaines sciences permettent de dénoncer cette soi disant vérité pour la remplacer par une autre qui est plus commode, plus concevable et c’est pourquoi le texte de Battestini doit être l’occasion de renverser la vapeur ou sujet à critique pour traquer la Vérité Universelle mais non parcellaire.
Conclusion
Nous voici au terme de notre parcours, la fin n’est que provisoire vue l’étendue du champ d’investigation. Il est évident comme en matière d’esthétique, la problématique des écritures africaines fera couler beaucoup d’encre et c’est tant mieux. Si l’objectif unique est de comprendre tous les paramètres qui entrent en scène pour une meilleure approche.
Cette réflexion sur écritures pose et posera toujours le malentendu orchestré par les peuples colonisateurs ou développés qui fabriquent des vérités sur mesure.
Il est évident que si les canons sont définis sous un angle et pour fortifier les hypothèses de départ , il est certain que tous ceux qui n’ont pas accès aux moyens sophistiqués de l’information sous toutes les formes sont à la marge et ne devront pas participer mais assister au film qui se déroule sous leurs yeux.
Les écritures africaines existent bel et bien. Bien entendu elles n’ont pas la publicité de celle romane que la majeure partie de l’univers utilise aujourd’hui. Ce n’est pas parce qu’une écriture a un rayonnement limité qu’elle n’existe pas. Ce n’est pas parce qu’elle ne se lit pas facilement qu’elle n’existe pas. Les discours sur les écritures africaines ont fait naître des arguments polysémiques partout.
Mais à la vérité on sait que la volonté de dresser des stades de développement ( Bachofen, Organ, Lennan) par lesquels toute société doit ou devait nécessairement passer, cache une forme de racisme ou de ségrégation. L’Europe se voyait chargée d’une lourde mission, sortir de l’obscurité les peuples sauvages et sans écritures pour leur montrer les bienfaits de la civilisation. On perçoit clairement que la théorie de l’évolutionnisme s’apparentait à une caution scientifique portée à l’idéologie dominante celle de l’homme blanc » dit civilisé », l’émancipateur.
On se croirait dans la caverne de Platon au Livre 7 de la République. C’est oublier que le monde, ou l’évolution peut prendre différentes voies et que donc le schémas n’est pas unique, comme certains le pensent. Les Chinois avec leur système d’écriture continue de fonctionner. Les nouvelles technologies de l’information utilisent des écritures ou langages nouveaux qui ne dérangent en rien l’existence des gens, il suffit de les apprendre et le tour est joué.
L’Afrique est riche en signes pour celui qui veut les regarder. (Adinkra et autres). Ces signes ont un sens, une cohérence pour celui qui veut les apprendre sans les rejeter d’avance. Il me plaît de terminer mon propos par celui du sage T. Monod dans la préface au livre de Baumann et Westerman « Des civilisations sont en contact et, par conséquent, en conflit. Persuadés que la nôtre est non seulement la seule bonne, mais la seule possible, nous accepterions volontiers de la voir, dans une conquête planétaire, se substituer à toutes les autres. Eventualité qui épouvantera, comme la plus redoutable des menaces, ceux qui tiennent la personne, celle des peuples comme celles des individus, pour une irremplaçable richesse. Non pas malgré sa prodigieuse diversité : à cause de celle-ci. Et pour la même raison qui fait nécessaire à la symphonie de variété des instruments, à l’harmonie du tableau la polychromie des palettes ».
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https://www.universitepopulairemeroeafrica.org/HISTORIOGRAPHIE-DES-ECRITURES-AFRICAINES-SUITE.html